Séquences célestes au pays des amandiers

Etoiles et amas sur l’anti-Atlas, du 11 au 17 Février.

De quelques distances

Le trajet d’Orly à Agadir (quelques milliers de kms) nous prend environ 3 heures 30 minutes. Après une soirée et une nuit dans cette inintéressante ville («Agadir, rien à dire»), il y a environ 3 heures de route pour parcourir 150 kms vers le Sud est et parvenir à Targa Touchka, dans les montagnes rocailleuses qui constituent l’anti-Atlas.

De là, en 6 jours de marche modérée (Ce sont les vacances !), nous couvrirons de l’ordre de 80 kms pour rejoindre Tafraout, la métropole locale, d’où nous repartirons en minibus pour Agadir.

Mais de plus belles et fantastiques distances seront couvertes lorsque la nuit sera venue. Il me suffira pour cela de parcourir les quelques mètres séparant ma tente de la TV60 installée sur son pied photo, ou de m’éloigner un peu du camp avec mes jumelles.

Le ciel

Le jour commence à s’estomper vers les 18 heures (Ici, c’est l’heure GMT), avec Vénus qui fait sa belle à l’Ouest sans attendre l’obscurité. A l’autre extrémité, c’est Sirius qui surgit, l’œil du chien précédant de peu le maître chasseur.

Il n’y a pas, ou très peu, de lumière artificielle par ici. Quoique M6 (Il s’agit du roi du Maroc, pas du Papillon…) ait un ambitieux plan d’électrification des villages les plus reculés, et que certains lampadaires commencent à fleurir discrètement ici et là, au gré des regroupements de maisons à flanc de montagne.

Le matériel

Une paire de jumelles Oberwerk (fabrication chinoise) 11X56, champ de 6 °.

Une lunette Televue 60 sur pied photo léger (Sunpak).

Oculaires : Panoptic 22, nagler 9 et nagler 5.

Pocket Sky Atlas.

Observations, bal(l)ades

Comme à l’accoutumée dans ce genre de situation, je m’installe pour la soirée (thé à la menthe, bavardage et dîner…sous la tente nomade, il fait frais le soir en cette saison et à cette altitude modérée) près de la sortie, avec mes jumelles autour du cou, et je sors régulièrement admirer le ciel nocturne qui s’impose progressivement.

La situation au Sud est intéressante car très vite, Orion est haut dans le ciel, ainsi que le Grand Chien, puis en soirée, Canopus le phare austral se lève. Le Lièvre, une bonne partie de l’Eridan, ainsi que le Fourneau, sont très visibles.

Aux jumelles, je reconnais des objets de par là-bas : M79, Collinder 132 et 140. Collinder 135. Ces amas ouverts sont absolument splendides, sous le Grand Chien et dans la Poupe. En particulier Collinder 135 et l’amas ouvert lâche NGC2451 qui conduit à un amas ouvert serré, NGC2477…

Le guide berbère, Redouane, connaît un peu quelques constellations. Il me parle de Cassiopée et des deux Ourses. Je lui montre Persée et Andromède, le Taureau, le Cocher… On admire aussi Orion, et il me parle de cette histoire de fâcherie entre le chasseur et le Scorpion qui expliquerait leur non présence simultanée dans les cieux. Je ne peux malheureusement pas lui montrer le Scorpion qui ne sera là qu’un peu avant l’aube. Cela aurait été une occasion de lui montrer M6.

La Polaire est basse ici, et en début de soirée seules Merak et Dubhe émergent de l’horizon de granit.

Plus tard je cherche le Lion…et trouve Saturne qui défigure la gueule du fauve. Voilà commeent on trouve les planètes, quand on ne suit pas l’actualité… De même, le matin, avant l’aube (il fait frais !), le Scorpion est flanqué d’une étoile inhabituelle à son Est : C’est Jupiter. (J’ignorais lors de ce voyage qu’il y avait aussi une nova par là).

Le premier matin, il y avait un joli croissant de Lune dans la queue du Scorpion, un Scorpion entièrement sorti et dominant l’horizon. .

Petits bonheurs célestes : Recherche (Vaine ! Mais qu’importe…) au-delà de Gomeisa de la nébuleuse de la Méduse.

Petit relevé de galaxies aux jumelles : M106, M51, M101, M64, M94, M81 et 82, M65, 66...

Les amas du Cocher.

M34

NGC3077

En soirée au campement. Il y a des chansons sous la tente mess, avec le groupe et l’équipe berbère, guide, cuisinier, chauffeur du 4X4 logistique….Genre « Dans le Maroc lointain, on entend les berbères…» sur l’air de Coucou Hibou… Irrécupérable, je me suis glissé près de la sortie, puis hors de la tente avec mes jumelles, puis suis carrément parti rejoindre ma TV60 qui attendait patiemment sous les étoiles.

Le noir m’entoure, quelques petits lampions électriques ça et là dans la montagne, sans conséquence, des chiens aboient au loin… Je navigue…

M81 et M82 commencent de surplomber suffisamment l’horizon. Je voulais voir NGC3077. Où est-elle ? Ah, maudite inversion gauche droite des lunettes, tellement plus difficile à neutraliser que la basique inversion totale des télescopes de Newton, qui ne fait que retourner l’image alors que l’inversion latérale la transforme. Pas de carte sous la main (L’atlas est dans ma tente, si loin, là-bas…), ni de lampe rouge...La désinvolture impose un effort de mémoire. M81 et M82 sont faciles à distinguer l’une de l’autre, même à petit diamètre et faible grossissement. NGC3077 devrait être par là. Je mets le 9mm. Et je balaie autour de la supposée zone cible. Je tourne. Je regarde en biais…Et voilà ! Je l’ai vue. Je resserre l’étreinte visuelle sur ma proie. Elle se renforce et se stabilise. Je la vois presque en vision directe. Ca y est ! Je passe au 5 mm, elle est toujours là, plus grosse. 3 galaxies dans le champ (360/5 = 72 X 82°/72 = 1.14 ° de champ réel).

D’une oreille j’entends les voix et les rires du groupe là-bas, et de mon œil directeur je suis à quelques millions d’années-lumière. Cette nuit de Février est douce malgré les quelques 1000 m d’altitude. La Voie lactée resplendit. Le temps s’écoule doucement.

Veux-tu voir une belle galaxie ?

C'est un autre soir, un autre lieu de bivouac. Il doit être dans les 21h, 21h30 (GMT). Vers l’Ouest, Andromède et Persée sont de toute beauté. Pégase a déjà amplement plongé. L’œil nu révèle sans difficultés le double amas, Melotte 20 et bien sûr M31. M33 est aussi visible, mais c’est un peu plus ardu. Il faut repérer l’étoile Alpha du Triangle, et surtout ne pas regarder directement à son Ouest 2 à 3 °, car c’est là qu’elle est la galaxie, c’est là qu’on la voit, du coin de l’œil…Une fois détectée, elle tient, mais faiblement, en vision directe.

J’ai pointé M31 avec la TV60 et le Panoptic 22, elle occupe une partie importante du champ.

Ma compagne se rendant à la tente passe dans le voisinage et je me propose de lui montrer une galaxie digne de ce nom, elle qui est peu sensible aux beautés du ciel vues au travers d’un oculaire (à part Saturne et la Boite à Bijoux (!)). Mais elle apprécie la voûte étoilée à l’œil nu.

D’abord, elle ne voit rien…

« Comment ça rien ?»

« Oui, c’est tout noir.»

« Bouge l'œil au dessus de l’oculaire, cherche un peu...»

« Ah oui, ça y est, je vois.»

« Tu vois quoi ?»

« Des étoiles…Plein de petites étoiles. »

« Oui, des étoiles. Mais tu vois la galaxie ?»

« Euh, non…»

« En plein milieu du champ, étendu !»

« Non…Euh attends, oui, je vois un truc vaguement flou au milieu...»

« Flou ? Attends, je regarde».

Je vais à l’oculaire, c’est impeccable, le noyau brillant au centre, le halo étendu, on voit très bien M32 et M110…Je lui repasse l’oculaire

« Ah ? C’est ça Andromède ? Cette trace floue…»

Bon. J’ai laissé tomber la suite du programme que j’avais initialement prévu pour elle, les deux galaxies satellites… et la vision décalée à l’œil nu de la Grande Galaxie notre voisine…

Coupable irrévérence féminine ! Je connais.... :

"Viens voir Saturne, elle est magnifique!"

"Je connais, je l'ai déjà vue!"

Toujours un plaisir d'évasion de lire les récits de tes voyages Jeff!

As-tu lu les histoires d'Orion (et le Scorpion) dans ton nouveau bouquin astro d'occasion?

C'est aussi pour cela que j'apprécie ce photoguide du ciel nocturne.

J'ai déjà du essuyer pas mal de revers quand certaines personnes (pas spécialement une compagne) n'apprécient pas la vue de ce qui nous semble d'une pure beauté.

Je reste indulgent me disant que l'oeil d'un astram ne se forme pas en un clin du même: on l'entraine, on l'éduce, on apprend à s'en servir.

Patte.

PS: à moins qu'elle ait fait semblant, voulant rejoindre les cieux d'une façon plus matelas à terre????

Coupable irrévérence féminine

Oh, mais je ne visais nullement à critiquer une quelconque catégorie de personnes, et certainement pas les femmes, en rapportant cette anecdote...

Si j'avais tenté l'expérience avec n'importe qui de la dizaine de personnes du groupe, homme ou femme, je pense que j'aurais eu le même résultat, amusant par son contraste : Moi sidéré de la vision magnifique, lumineuse, brillante...et elle qui ne voyait pas trop qu'est-ce que je pouvais bien chercher à lui montrer de si spectaculaire...

Je reste indulgent me disant que l'oeil d'un astram ne se forme pas en un clin du même: on l'entraine, on l'éduce, on apprend à s'en servir

Of course, nulle once de jugement dans ce que je rapporte. De toutes façons, c'est elle qui est indulgente de ne pas me considérer comme complètement naze (ou du moins de ne pas me le dire ) à rester des heures à regarder dans un oculaire où il n'y a pour ainsi dire rien à voir...

à moins qu'elle ait fait semblant, voulant rejoindre les cieux d'une façon plus matelas à terre????

Très probable en effet.

As-tu lu les histoires d'Orion (et le Scorpion) dans ton nouveau bouquin astro d'occasion?

C'est aussi pour cela que j'apprécie ce photoguide du ciel nocturne.

Non, pas encore !...

A ce propos, il en reste encore tout plein de ces photoguides Nathan à 5 Euros, chez Mona Lisait, rue St Martin (et sans doute ailleurs. J'ai vu qu'il existait un Mona Lisait à Toulouse par exemple).

Un petit zoom entre Chien et Poupe

C’est au Sud du Grand Chien, entre sa queue et la superstructure hors-bord de la poupe du navire Argo. J’ai mentionné de merveilleux amas ouverts que j’ai trouvés là, aux jumelles. Une étude plus détaillée à l’aide de l’atlas, et des observations plus attentives à la lunette permettent quelques précisions :

Collinder 132 se localise immédiatement entre Eta (Aludra) et Epsilon (Adhara) de Canis Major. Il forme le sommet Nord Ouest d’un trapèze dont les 3 autres sommets sont Collinder 140 (Nord Est) à 2 degrés de Cr132, Collinder 135 (Sud Ouest, nous voilà dans la Poupe du navire légendaire) et le superbe couple NGC2451 - NGC2477 (Sud Est), situé à 6/7 degrés de Cr135, et à proximité de Zéta Puppis (Naos).

Collinder 132 est un amas plutôt lâche et étendu, comme un petit bout de Voie Lactée.

Collinder 140 est un peu plus serré que le précédent. :)

Collinder 135 est lâche comme Cr132, mais un peu moins étendu et plus pétillant. :)

NGC2451/2477 : :) :) Le clou de cet ensemble Sud canin, un couple d’amas ouverts étonnant. NGC2451 est étincelant, pleïadesque, avec une forme légèrement étirée dans le sens Est-Ouest, des colorations d’étoiles perceptibles à la TV60. Et vers l’Est, cette structure allongée conduit en douceur vers une pâle silhouette cotonneuse, encore un amas «ouvert» mais dense celui-là, étiré dans la direction Nord Sud. De magnitude 5.8, il accepte un début de résolution avec la lunette de 60 et un grossissement de 40 X. L’intérêt du grand champ est éclatant pour ce genre d’objets, les deux amas apparaissant ensemble dans l’oculaire, se renvoyant leur altérité de densité.

Je conseille vivement la lecture de Stephen James O'Meara, The Caldwell objects, sur cet amas (le 2477) qui porte le numéro 71 dans le catalogue de l'antipathique Patrick Moore. Il y est question de l'abbé Lacaille, voyageur céleste et maritime, et d'une joli légende inventée par Stephen mettant en scène Sagitta et NGC2451...

Citation:

à moins qu'elle ait fait semblant, voulant rejoindre les cieux d'une façon plus matelas à terre????

Très probable en effet.

En tout cas belles soirées, et tu as toujours l'art de raconter cela de telle façon qu'on s'y croirait

Moi j'étais à marrakech la semaine avec la lulu lidl de 70mm.

Bon la lune était prépondérante dès le lundi. Donc j'ai observé les amas que tu m'avais conseillés. J'ai redécouvert le plaisir dobserver dans un petit instrument. Des amas "trop résolus" dans le dob ici sont magnifiques. Toute la semaine la trubu était très faible, pas un jour couvert, cela fait réver.

C'était imprésionnant de voir des rainures sur la lune, des petits craterelets dans clavius. Pas ou peu de mouvements turbulents, j'ai poussé pourtant la lulu à 115X.

Une anecdote:

Le premer soir je suis allé observer loin dans le parc de l'hotel (dans la palmeraie magique!!) installation je cherche un amas et je lève les yeux, un gardien était là. Bonsoir bonsoir vous voulez regarder oui, je pointe la lune il s'éloigne presque en courant, vous vous regarder, oui oui dit il en accélérant. Je ne l'ai jamais revu

ils sont foux ces français.

Merci Jeff pour ce beau récit, tu faisais du trekking, c'est ça ?

Toujours agréable à te lire

et tu n'as pas sauté sur l'occasion

D'occase... elle est peut-être pas neuve mais ça se dit pas ces choses là :be:

Une anecdote:

Le premer soir je suis allé observer loin dans le parc de l'hotel (dans la palmeraie magique!!) installation je cherche un amas et je lève les yeux, un gardien était là. Bonsoir bonsoir vous voulez regarder oui, je pointe la lune il s'éloigne presque en courant, vous vous regarder, oui oui dit il en accélérant. Je ne l'ai jamais revu

ils sont foux ces français.

Il t'a pris pour un terroriste au bazooka !

tu faisais du trekking, c'est ça ?

Trekking est peut-être un mot un peu fort...(c'est comme pour le marathon Messier...Moi il m'a fallu 3 ans.). Une randonnée à pied.

En anglais, il y a la nuance entre "hiking" (rando-balade relativement peinard) et "trekking" (rando un peu plus arrache, pas trop le temps de regarder les petites fleurs, faut avancer !).

Au passage, Février est la saison des fleurs pour les amandiers, c'est le bon moment pour aller là-bas, c'est joli (et il ne fait pas encore trop chaud).

Un croa plein de souvenir car j'ai inauguré ce parcours en 1999 ou en 2000 avec quatre compagnons de voyage : magnifique et somptueux (on avait râté la floraison des amandiers car le printemps fut précoce cette année)!

Mais je n'étais pas encore rongé par l'astro à cette époque, d'ailleurs je retourne aux pays des amandiers en fin de semaine pour faire une cure d'astro dans le merveilleux atlas.

Magnifique Jeff Hawke, très plaisant à lire, ton récit

Un petit UP suite au post du projet Astratlas.

A propos des intentions de M6 et l'électrification, il y a Fabrice des "les4vieux" qui m'a invité à visionner son reportage consternant la pollution lumineuse.

Le voyage commence au Maroc.

Il y a au début l'interview avec Mr Zouhair Benkhaldoun de l'Association d'Astronomie Amateur de Marrakech 3A, que je ne tarderai évidemment pas à contacter.

C'est ici:

http://www.lesquatrevieux.com/

Puis vous cliquez sur le lien en bleu : le film Le jour ...

Sinon, cliquez droit sur le même lien et enregistrer le film.

Patte.