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L’ÉTOILE DE LA VICTOIRE DANS LE CIEL LE 8 JUIN 1918.

 

Le samedi soir 8 juin 1918 (il y aura donc 90 ans dans quatre jours) était une soirée de nouvelle Lune, donc toutes les étoiles, même les plus faibles, brillaient dans le firmament. Dans les tranchées depuis près de quatre ans les soldats alliés et allemands avaient pris l’habitude de se familiariser avec les constellations célestes lors de leurs tours de veille. Ils devaient redoubler d’attention les soirs de nouvelle Lune, censés pouvoir favoriser un coup de main des adversaires.

 

Le centre du Soleil s’était couché à 20h42, heure française d’été (c’était la troisième année de cette pratique) en avance alors d’une heure sur l’heure solaire, donc il était 19h42 en Temps Universel (TU - l'heure du méridien de Greenwich). Dès 21h23 (20h23 TU) le ciel était devenu presque noir, car c’était le début du “ crépuscule civil ” (le Soleil étant à 6 degrés au-dessous de l’horizon) ; à 22h22 (21h22 TU) la nuit était très noire (début du “ crépuscule nautique ” ; le Soleil étant alors à 12 degrés au-dessous de l’horizon) et à 00h33 (23h33 TU) il était noir d’encre (début du “ crépuscule astronomique ” ; le Soleil étant à 18 degrés au-dessous de l’horizon).

 

En regardant vers l’Est, donc vers les lignes allemandes, du côté opposé du coucher du Soleil, les Poilus virent comme d’habitude se lever à 20h32 (19h32 TU) la merveilleuse étoile de première grandeur Altaïr (Alpha de l’Aigle). A 22h30 (21h30 TU) Altaïr était à 18 degrés au-dessus de l’horizon Est. Mais, Oh surprise, non loin d’elle (à 17 degrés à sa droite, donc vers le Sud-Est) il y avait une deuxième étoile de première grandeur et même plus brillante qu’Altaïr !… Les Poilus se frottèrent les yeux pour vérifier qu’ils n’étaient pas victimes d’une illusion d’optique, mais non : cette étoile mystérieuse était bien réelle !… On vérifia sur les cartes de l’Almanach Hachette de 1918 (qui était un des ouvrages les plus lus à l’époque) : aucune étoile de première grandeur, à part Altaïr (magnitude : 0,9), ne devait se trouver là !… L'étoile atteignit le jour même de sa découverte, vers 23 heures (soit 22 heures Temps Universel), son maximum d’éclat (magnitude : - 1,1) ; elle était donc aussi étincelante que Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel !… André Danjon (1890-1967), le futur directeur de l’Observatoire de Strasbourg de 1930 à 1940 (il en fut chassé par les soldats nazis après la défaite de juin 1940), puis de l’Observatoire de Paris de 1945 à 1963, a raconté qu’étant alors soldat au front on lui demanda, en tant qu’étudiant en astronomie jusqu’à sa mobilisation en août 1914, d’authentifier cette nouvelle étoile. Selon lui il n’y avait aucun doute : c’était simplement l’apparition soudaine d’une nova, très brillante. Le terme nova était apparu dans la langue française à la fin du dix-neuvième siècle, c’était la contraction de l’ancienne terminologie latine nova stella (étoile nouvelle). André Danjon expliqua à ses supérieurs militaires que très rapidement cette nova allait perdre de son intensité lumineuse. Effectivement, dès le lendemain cette étoile nouvelle commença à baisser de 0,3 magnitude par jour pour atteindre la troisième grandeur en quinze jours. Elle continua par la suite sa perte d’éclat, un peu plus lentement, et ne fut plus qu’une étoile de sixième grandeur (donc à la limite de la visibilité à l’œil nu) en novembre 1918.

 

De partout sur le Front des messages furent envoyés à l’État-Major des armées françaises à Chantilly le soir du 8 juin 1918 et le lendemain : ils signalaient que la majorité des soldats étaient persuadés d’une intervention divine, indiquant clairement, vu l’apparition vers l’Est, donc vers l’Allemagne, que Dieu annonçait par cette étoile mystérieuse une prochaine victoire des armées alliées face à la barbarie “ boche ” . Le ministère de la Guerre, après réflexion, refusa que la presse française évoque cette apparition et la soumis à une censure rigoureuse. Le fait que cette étoile nouvelle apparaisse dans la constellation de l’Aigle était fâcheux : cet animal étant le symbole de l’Empire allemand ! On pourrait en déduire que Dieu voulait favoriser le pays de Guillaume II ...

 

Et les soldats allemands dans les tranchées, ont-ils vu eux aussi cette étoile nouvelle ? Sans doute, mais ça les a moins marqué que les soldats alliés car cette étoile brillait vers l’Est, donc à l’opposé de la ligne de front.

 

Pourquoi cette nova (qu’on appelle aujourd’hui l’étoile variable V 603 de l’Aigle ; de 12ème magnitude, donc invisible à l’œil nu) a-t-elle tant frappé les esprits ? Tout simplement parce que la guerre était interminable !… Il faut se rappeler que la mobilisation générale avait été lancée par mes collègues télégraphistes des PTT depuis le central télégraphique du 101 rue de Grenelle (Paris 7ème), le samedi après-midi 1er août 1914 à 16h00. Le premier jour de la mobilisation étant le lendemain, dimanche 2 août 1914. A l’époque les soldats sont partis avec l’espoir de revenir pour les vendanges, donc en septembre ou octobre 1914 au plus tard. Or le samedi 8 juin 1918 la guerre en était à son 1 406ème jour, ou à sa 201ème semaine, ou encore à son 46ème mois.

 

Depuis près de quatre années il y en avait eu des tas de rumeurs sur la fin imminente de la guerre, hélas toutes avaient été chaque fois démenties par les faits. Aussi ce signe du ciel fut particulièrement bienvenu en ce 8 juin 1918.

 

Hélas, cinq mois après la guerre durait toujours et semblait ne jamais devoir prendre fin … Les civils eux non plus n’y croyaient plus, la guerre paraissait installée pour de nombreuses années encore, avec son sinistre cortège de morts, de blessés ou de disparus aux combats …

 

C’est pourquoi dans toutes les communes de France il y a eu un moment de stupeur et d’incrédulité lorsque le lundi 11 novembre 1918, jour de la Saint-Martin, à onze heures du matin (donc une heure avant l’Angélus de midi) les cloches de toutes les églises de France se sont mises à sonner à toutes volées. Passé le premier moment de doute, tout le monde a abandonné ses occupations pour se rendre en courant à la mairie la plus proche pour avoir des nouvelles. La confirmation officielle de la fin des hostilités fut un immense soulagement pour tous. La fête dura tout l’après-midi et une partie de la nuit. Ce fut un moment de joie collectif extraordinaire comme on n’en retrouvera qu’un seul exemple lors de la Libération de la France entre juin et octobre 1944.

 

Chers lecteurs, comme nous sommes en juin 2008, pensez-y le vendredi 1er août prochain (quatre-vingt-dix ans après le tocsin de la “ Grande Guerre ” ) et arrêtez-vous un instant au monument aux morts de la commune où vous serez en vacances et regardez simplement l’âge auquel sont morts tous ceux qui sont partis de ce bourg en août 1914 pour n’en jamais revenir … Ce jour-là regardez aussi avant de vous coucher, vers 23h00 (21h00 Temps Universel), alors que la nuit sera tombée, l’horizon Sud-Est et vous verrez à 45 degrés au-dessus de l’horizon (c’est la moitié de la hauteur entre l’horizon et le zénith, le point le plus haut dans le ciel) une merveilleuse étoile de première grandeur briller : Altaïr, l’étoile Alpha de l’Aigle. Vous aurez alors une pensée pour la nova voisine qui a apporté tant d’espoir aux Poilus dans les tranchées ce samedi 8 juin 1918 au soir. Le 8 juin 2008 la Lune (à l'Ouest de Régulus, l'étoile Alpha du Lion) sera en croissant le soir vers l'Ouest, ce sera deux jours avant le Premier Quartier.

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

 

PS : pour les calculs j'ai pris les données du logiciel astronomique"Guide 8" pour la soirée du 8 juin 1918, et pour ville de référence Verdun (Meuse), ville située à 49° 09' de latitude Nord, 5° 23' de longitude Est, et 300 mètres d'altitude.

Posté

Evoquer ainsi, la vie et la mort de ces gens d'il y a si longtemps en prenant pour prétexte un changement brutal de magnitude d'une étoile...

c'est inattendu, cela glace un peu le sang, mais c'est bien

je ne me souviens plus exactement de l'écrivain russe (vers 1950) dont le personnage songeait (à peu prés) en contemplant la voute céleste "quand il n'y aura plus aucune trace de vie sur terre et où tout souvenir de l'humanité et de ses fureurs aura disparu, ces étoiles seront toujours là"

merci Roger

  • 3 années plus tard...
Invité Julie Charland
Posté

Cher Roger,

J'ignorais totalement que tu avais déjà posté sur le sujet avant d'en faire un quizz. Mais vu tes passions pour l'histoire et l'astronomie, je n'en suis pas surprise.

 

Dès que le temps de Fêtes sera passé et que j'aurai du temps, je le consacrerai en priorité à la lecture attentive de ce poste.

 

Joyeux Noël!

 

Julie

Posté
Cher Roger,

J'ignorais totalement que tu avais déjà posté sur le sujet avant d'en faire un quizz. Mais vu tes passions pour l'histoire et l'astronomie, je n'en suis pas surprise.

 

Dès que le temps de Fêtes sera passé et que j'aurai du temps, je le consacrerai en priorité à la lecture attentive de ce poste.

 

Joyeux Noël !

 

Julie

Bonjour Julie, :)

 

Eh oui, pour moi l'histoire et les choses du ciel (astronomie et astronautique) sont mes deux passions favorites !... Tu es tout à fait excusée de ne pas avoir lu ce sujet sur "l'étoile de la victoire dans le ciel le 8 juin 1918" vu que j'en ai postés tellement sur Webastro et ceci dans des domaines très variés.... ;)

 

Je te souhaite également un très joyeux Noël ainsi qu'à tous les Internautes du forum Webastro. :be: :be: :be:

 

 

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Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté

Bonjour à toutes et bonjour à tous, :)

 

Je fais remonter ce sujet car depuis juin 2008 l'excellent site Internet américain SAO/NASA ABS [Astronomy Abstract Service] (http://adsabs.harvard.edu/bib_abs.html) a continué à numériser plusieurs autres années de la revue mensuelle de la Société Astronomique de France l'Astronomie, dont l'année 1918.

 

Voici donc les références des articles de l'Astronomie, entre juin et décembre 1918 qui traitent de la nova de l'Aigle de juin 1918 :

 

* tout d'abord l'article écrit par Camille Flammarion lui-même dans le numéro de l'Astronomie de juin 1918 aux pages 193 à 195 "Une étoile nouvelle du plus grand éclat" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..193F&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) et aux pages 227 à 220 de ce même numéro de l'Astronomie de juin 1918 l'article "L'étoile de l'Aigle-Ophiucus" concernant l'observation de cette nova par différents observateurs (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..217L&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) ;

 

* ensuite l'article écrit toujours par Camille Flammarion dans le numéro de l'Astronomie de juillet 1918 aux pages 225 à 237 "La nova de 1918 et les étoiles temporaires" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..225R&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) puis dans ce même numéro de l'Astronomie de juillet 1918 aux pages 237 à 239 l'article de Félix de Roy "Comment observer la nova de l'Aigle" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..237D&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) ;

 

* après cela l'article écrit aux pages 276 à 285 du numéro de l'Astronomie d'août 1918 intitulé "La nova de l'Aigle-Serpent" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..276V&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) ;

 

* après cela l'article écrit aux pages 316 à 324 du numéro de l'Astronomie de septembre 1918 intitulé lui aussi "La nova de l'Aigle-Serpent" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..316L&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) ;

 

* après cela l'article écrit aux pages 353 à 359 du numéro de l'Astronomie d'octobre 1918 toujours intitulé "La nova de l'Aigle-Serpent" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..353B&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) ;

 

* ensuite l'article écrit aux pages 408 à 412 du numéro de l'Astronomie de novembre 1918 (donc le mois de l'Armistice entré en vigueur à la 11ème heure du 11ème jour du 11ème mois de l'année 1918 ;) ) toujours intitulé "La nova de l'Aigle-Serpent" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..408R&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf) ;

 

* enfin l'article écrit aux pages 455 à 461 du numéro de l'Astronomie de décembre 1918 toujours intitulé "La nova de l'Aigle-Serpent" (http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1918LAstr..32..455M&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf).

 

En parcourant tous ces articles, rédigés il y a 93 ans, vous pourrez vous croire revenu en plein dans l'époque où cette nova très brillante a été soudainement aperçue dans la constellation de l'Aigle. :)

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

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