Sa majesté du Sculpteur

Il y a quelques semaines, suite à l’annulation de dernière minute des projets qui étaient miens pour les fêtes du nouvel an, me vint l’envie soudaine d’un bon bol d’air et d’un isolement digne d’un hermite. Je me mis à rêver de petits sentiers perdus, de villages endormis, de téléphone portable et d’internet coupés et bien sûr de ciels noir d’encre : « the call of the Wild », en quelques sorte.

Je me mis donc à la recherche d’un petit gîte de moyenne montagne digne de répondre à ces attentes, et tombait rapidement – grâce à la grande et implacable logique Chadockienne régulant ce monde – sur un nouveau membre de Webastro offrant exactement les services que je cherchais : un petit gîte – astronomique qui plus est – perché dans un hameau des Hautes Alpes, répondant au nom prédestiné d’Etoile (ça ne s’invente pas…) et aussi éloigné qu’il se pouvait des turpitudes et des lumières de notre société moderne.

Un coup de fil rapide à ce certain « Olly Penrice », propriétaire du gîte et représentant de sa majesté Elisabeth 2 en exil chez les froggies, suffit à me convaincre. L’affaire fût donc bouclée en quelques minutes, et ma dernière semaine de décembre réservée : je ne voyagerais pas seul, qui plus est, puisqu’Edwin (mon OO 300/1200 lui aussi « made in England ») m’accompagnerait et irait rejoindre temporairement les quelques instruments déjà disponibles au gîte.

Et vint le jour du départ… si un jour vous allez vous aussi à Etoile, pas la peine d’essayer d’aller plus loin en voiture ! La petite route départementale qui dessert le village fait à sa hauteur une jolie boucle, qui vous renverra invariablement d’où vous venez. A moins d’être équipés de bonnes chaussures de randonnée ou de raquettes (selon le temps), vous êtes arrivés au bout de la route. Un paysage superbe vous y attend : le village est situé sur l’adret d’un versant montagneux formant un grand cirque de 3 ou 4 kilomètres de large et de 5 kilomètres de long, dont on ne sort que par l’Est. A cet endroit, le paysage s’ouvre un peu pour offrir une vue imprenable sur les hauts massifs alpins. En bref, un endroit idéal pour faire de l’astronomie, loin des cieux pollués auxquels je suis habitué dans ma pourtant aimée région normande.

 

Le site des Granges, avec le village d’Etoile en arrière plan, le 27 décembre 2008

Après une arrivée tardive et un accueil chaleureux du maître et de la maîtresse de maison, vint le temps de la première nuit à Etoile… et à étoiles. Le ciel des Hautes Alpes occidentales est une petite merveille, éloigné autant que se peut des tentacules lumineuses de la Vallée du Rhône et de la Provence, où la voie lactée trace un sillon impressionnant allant du Cygne couchant à l’Ouest au Grand Chien levant à l’Est… Pas besoin de chercheur pour viser les grands classiques, des objets comme M38 (mag. 6,4) sont parfaitement perceptibles à l’œil nu. Seuls les 5 lampadaires du village, situé à 250 mètres du gîte, grignotent légèrement l’horizon Nord. Sur les 6 nuits que je passais sur place, 3 furent parfaitement découvertes et me laissèrent contempler les merveilles de l’hiver par une fenêtre très privilégiée. De toutes ces merveilles, que retenir et que vous raconter ici ? Les souvenirs se bousculent dans ma tête et fourniraient sûrement de la matière pour une épopée Jeff-Hawkienne : les bras spiraux de M 81 entrevus avec Edwin et magnifiques au 500 de Olly, la tête de canasson se dévoilant enfin au 300 (récompense bien méritée après 12 ans de recherches vaines), la grande nébuleuse semblant s’étendre à l’infini, le petit amas Abell 426 perdu au milieu des rivières d’étoiles de Persée…

 

Cachou, la chienne d’Olly, attentive gardienne d’un troupeau un peu spécial

Afin de vous épargner un trop long récit, et de noyer mes impressions sous un flot de descriptions, je vais m’en tenir à un seul objet dans ce CROA. Un seul, peut être, mais quel Objet !

Malgré mes douze ans d’observations, je ne l’avais jamais observé avant mon séjour à Etoile, et pour cause : il traîne dans une petite constellation de l’hémisphère céleste Austral inaccessible depuis mes contrées normandes, le Sculpteur. Je dis « il », mais c’est bien de « elle » qu’il s’agit : la grande galaxie du Sculpteur, ou NGC 253. Les descriptions que j’avais lu de cette galaxie – de magnitude 7,5 et d’un dimension respectable (30 minutes d’arc) – me laissaient un peu frustré car même si elle pointait théoriquement le bout de son nez au dessus de l’horizon normand en début d’hiver, le relief et la pollution lumineuse locaux m’en privaient irrémédiablement. Or, rien de plus frustrant pour un amoureux des galaxies que de voir une belle lui filer ainsi entre les doigts. Le voyage d’Etoile était donc l’occasion ou jamais, car bien que les chaînes montagneuses locales grignotent une petite dizaine de degrés sur l’horizon Sud, elle passerait quand même largement au dessus de la mêlée et serait visible tout le début de soirée.

La rencontre eu donc lieu dans la soirée du 28 décembre, et dépassa toutes mes espérances. A peine ma vision nocturne établie, je me mettais à chercher les quelques faibles étoiles composant le sculpteur, et les repérais sans trop de mal quelques degrés en dessous de Deneb Kaitos (Béta de la Baleine), toutefois un peu effacées par la clarté du ciel à cette hauteur (clarté toute relative, puisque des étoiles de magnitude 5 y étaient encore parfaitement repérables). NGC 253 se trouvait là, à mi chemin ou presque entre Alpha du Sculpteur et Deneb Kaitos : ne me restait plus qu’à la trouver.

J’eu la bonne idée de faire un petit repérage aux jumelles, histoire de… Quelle ne fut pas ma surprise de tomber immédiatement sur cette petite tâche allongée de 10 à 20 minutes d’arc, bien visible même en vision directe : « pas bien farouche, pour se dévoiler comme ça aux jumelles », me dis-je… L’aspect aux jumelles de NGC 253, je ne le décrirai pas mieux qu’en disant qu’il est très comparable à celui de M31 à l’œil nu : même forme allongée, même inclinaison et même éclat.

 

NGC 253 aux jumelles Bresser 10*50

(NGC 288 est visible comme une étoile « floue » à 1,5 degrés au Sud-Ouest)

Garfieldthecat, Les Granges, Etoile Saint Cyrice, 28/12/2008 vers 19h

je restait quelques minutes sur la galaxie, imaginant déjà l’effet que la belle produirait au 300, quand je remarquait une petite étoile un peu floue à 1,5 degrés au Sud Ouest de celle-ci. Après confirmation sur la carte, je savais que je venais d’identifier l’amas globulaire NGC 288, petit frère bien plus discret et pourtant bien plus proche que sa grande sœur cosmique.

Après cette mise en bouche intéressante, il était temps de se mettre aux choses sérieuses… Je pointais Edwin dans la bonne direction, l’armais du Nagler 26 et collait l’œil à l’oculaire. Les sensations qui suivirent, tout le monde les connaît ici : découvrir pour la première fois un objet magnifique, laisser des photons venant de parcourir 10 millions d’années lumière chatouiller votre pupille, être saisi par l’ampleur de l’objet puis être charmé par les petits détails qui finissent par apparaître en son sein… la galaxie du Sculpteur offre tout cela, et plus encore ! Au Nagler 26, un magnifique fuseau de 30 minutes d’arc de long (autant que la pleine Lune !) et de 5 minutes d’arc de large s’offre à la contemplation. En son centre, un superbe noyau brillant, en forme de Z, s’étale sur environ 5 minutes d’arc. A l’extrémité Nord-Est de celui-ci, deux nuages sombres au moins barrent le halo sur quelques minutes d’arc. Plusieurs étoiles apparaissent en surimpression du halo. La majorité des détails apparaissent en vision directe, l’œil n’ayant pas besoin de trop travailler pour aller chercher quelques faibles photons, ce qui rend l’observation extrêmement agréable. La galaxie flotte tranquillement sur un fond d’étoiles et tient le quart du champ de deux degrés offert par l’oculaire.

 

NGC 253 dans Edwin (300/1200 OO)

Garfieldthecat, Les Granges, Etoile Saint Cyrice, 28/12/2008 19h – 19h30

Je ne pourrais mieux décrire la sensation offerte qu’en citant les propres mots de Olly, que j’invitais à profiter du spectacle. A peine l’œil à l’oculaire, je l’entend s’exclamer « Oh my Golly, it’s Huge ! » (traduction pour les non anglophones : « nom d’un chien, mais c’est énorme !). Il resta quelques minutes à l’observer, puis fonça dans son petit observatoire d’imagerie pour prendre la belle en photo tant qu’elle voulait bien nous honorer de sa présence. Quand à moi, je replongeais pour me perdre dans ses méandres et essayer de la coucher sur le papier.

 

NGC 253 imagé par Oliver Penrice

Meade 127, Atik 16HR, EQ6 guidée par WO66/AstroArt

(luminance non complète)

Olly Penrice, Les Granges, Etoile Saint Cyrice, 28/12/2008

Cette observation fut la première d’une longue soirée, mais c’est sans doute le plus beau souvenir que je garderai des nuits à Etoile. Car cette galaxie n’est pas simplement une grande galaxie, c’est une majesté : sa majesté du Sculpteur…

Ah, superbe.

Heureux de voir que cette galaxie peut s'attraper dans de bonnes conditions "ici" (un peu au Sud quand même).

C'est qu'il a l'air tentant, le gite Etoile...

Dommage pour la fin d'année, j'aurais bien tenté l'expérience.

Les nuances ocres-violets de ton dessin, c'est comme ça que tu l'as perçue ?

Magnifique, j'adore ce genre de récit, ça fait voyager, c'est très prenant et on partage l'enthousiasme de l'auteur.

Merci de nous faire partager.

Bravo

Nicolas

 

Les nuances ocres-violets de ton dessin, c'est comme ça que tu l'as perçue ?

Non non, aucune nuance de couleurs particulières. C'est la teinte naturelle du crayon de charbon qui a du ressortir à l'inversion de couleurs ... faudra que je le passe en noir et blanc

Tu es non seulement tres bon observateur mais tres gentil dans ton article, et Cachou est tres fiere de se trouver sur internet grace a toi!!!

A la prochaine, j'espere.

Olly

Ah, la Galaxie du Sculpteur...je l'ai vu cet automne dans les Monts d'Arrée, et depuis je suis fan de galaxies vues par la tranche!

Tres bon recit et ca me donne encore plus evie d'y aller , j'ai l'habitude d'aller dans des gites dans chaques vacances scolaires.

Merci encore pour ce croa

Orion

Ah, la Galaxie du Sculpteur...je l'ai vu cet automne dans les Monts d'Arrée, et depuis je suis fan de galaxies vues par la tranche!

Oui, c'est vraiment une superbe galaxie, que je conseille fortement à tous ceux et toutes celles qui ont un horizon sud dégagé... la première impression que j'ai eu à l'oculaire, c'est vraiment le gigantisme de la "chose". On a très peu de galaxies comparables dans le ciel boréal, c'est une sorte de mini M31

bonsoir à tous

Sympa comme coin.

agréable à lire ce CROA, ah la première fois que l'on aperçoit ce petit bout noir du dada! Pour 253 la prochaine fois essaie d'augmenter un peu le GR

mon dernier dessin de cette belle réalisé au T560mm(aluminure à 40%)

126X et détails à 293x.

A plus faible GR (petit instrument ou jumelles) j'aime bien aussi la vision avec l'amas globulaire tout près, quelle perspective, en plus on dirait un amas ouvert celui là

le contexte ci dessous

http://pagesperso-orange.fr/planetarn/manu/CROA2008/BeilleBCB.htm

bonnes observations à tous