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Posté (modifié)

Observation du premier passage de Mercure devant le Soleil par le chanoine Gassendi le vendredi 7 novembre 1631.

 

 

Bonjour à toutes et bonjour à tous, :)

 

Le lundi 7 novembre 2011 il y aura exactement 380 ans qu'un passage d'une planète inférieure devant le disque du Soleil, en l'occurrence Mercure, fut observé. L'astronome qui eu le premier l'occasion de voir Mercure se profiler devant le disque du Soleil fut le chanoine Pierre Gassend, dit Gassendi, alors âgé de 39 ans½ (il était né à Champtercier, actuel département des Alpes-de-Haute-Provence, le mercredi 22 janvier 1592).

 

 

Pierre Gassend, dit Gassendi (1592-1655) :



 

 

220px-PierreGassendi.jpg

 

 

Gassendi savait que début novembre 1631 la planète Mercure allait sans doute être visible lors de son passage devant le Soleil. Comment l'avait-il appris ? Eh bien, en lisant l'ouvrage en latin que le brillant calculateur Johannes Kepler (né le 27 décembre 1571 près de Stuttgart en Allemagne et mort le 15 novembre 1630 à Ratisbonne en Bavière) a fait paraître en 1629 intitulé "Admonitio ad astronomos. De raris mirisque anni 1631. Phaenomenis, Veneris puta et Mercurii in Solem incursu" ("Avertissement aux astronomes. Au sujet de phénomènes rares et étonnants de l'an 1631 : l'incursion de Vénus et de Mercure sur le Soleil"), Leipzig 1629. Le génial Johannes Kepler avait calculé que Mercure devait passer devant le Soleil le 7 novembre 1631 (à 13h 17m 30s, heure d'Uraniborg, le lieu de l'observatoire du Danois Tycho Brahé, son "Maître") et Vénus le 6 décembre 1631 (à 21h 41m l'après-midi, heure d'Uraniborg).

 

Hélas pour lui, Johannes Kepler ne sut jamais si ses calculs étaient exacts car il s'est éteint à l'âge de 59 ans le 15 novembre 1630 à Ratisbonne en Bavière, donc juste un an trop tôt... :( :( :(

 

 

Johannes Kepler (1571-1630) :

 

 

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En quoi ces deux observations allaient être très importantes ? Eh bien, tout simplement parce que les tenants du système "géocentrique" objectaient aux partisans du système copernicien "héliocentrique", que si vraiment c'étaient les planètes qui tournaient autour du Soleil et non l'inverse, on devrait pouvoir de temps en temps apercevoir les disques de Mercure et de Vénus se détacher sur le disque du Soleil. Or, avant Johannes Kepler, personne n'avait été capable de calculer à l'avance la date et les horaires d'un tel phénomène… D'où l'intérêt d'observer au télescope ces deux passages.

 

Si vous voulez des détails précis sur l'observation du passage de Mercure devant le Soleil par Gassendi, je vous conseille l'ouvrage "Passage de Mercure sur le Soleil. Avec la préface de Frisch", traduit du latin en français par Jean Peyroux, ingénieur des Arts et Métiers, librairie Albert Blanchard, 9 rue de Médicis, Paris 6ème, décembre 1995.

 

 

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Sinon, voici l'essentiel de l'observation de ce passage par Gassendi telle que l'a très bien raconté Michel Toulmonde (astronome à l'Observatoire de Paris) dans un article intitulé "Les passages de Mercure devant le Soleil" publié dans le numéro de l'Astronomie (le bulletin mensuel de la Société Astronomique de France) de mars-avril 2003 (volume 117), pages 126 à 131.

 

Voici un extrait de cet article (pages 128 et 129) :

 

« Le passage de 1631, très attendu, a effectivement été observé à Paris par Gassendi (Pierre Gassend, 1592-1655), lequel a eu l'heureuse initiative de s'y préparer, et de l'observer par projection avec une lunette de deux pieds de longueur focale (65 cm) disposée sur un quart de cercle, cette technique étant utilisée pour observer les taches solaires. L'image projetée a un diamètre de 3/4 de pied (24 cm) que Gassendi partage en 60 petites parties, correspondant à 30" chacune (en réalité, le diamètre du Soleil mesure 32,3' mais Gassendi l'estime à 30').

 

Malgré un temps gris et pluvieux les 5 et 6 novembre, le Soleil arrive à percer les nuages le matin du 7. Gassendi ignore que le passage a débuté deux heures avant le lever du Soleil Un peu avant 9 heures (en temps vrai de Paris), il voit « quelque chose de noirâtre » sur l'image projetée du Soleil et s'étonne de la petitesse de cette tache qu'il évalue à 20" grâce aux divisions qu'il avait tracées sur l'écran. Quand le Soleil réapparaît entre deux nuages, la “tache” noire n'est plus au même endroit : c'est donc bien Mercure qui s'est déplacé ! « Je l'ai trouvé et je l'ai vu, ce qui n'était arrivé à personne avant moi » écrit-il tout joyeux à son ami Wilhelm Schickard (1592-1635), professeur à Tübingen (près de Stuttgart).

 

Gassendi détermine la sortie de Mercure à 10h 28 (temps vrai de Paris), ce qui est l'instant correct calculé aujourd'hui (cette sortie n'est pas instantanée mais dure environ deux minutes). Connaissant la latitude de Mercure au moment de la conjonction qu'il évalue à + 1' 30" (en réalité + 2' 30") et les moyens mouvements en longitude de Mercure et du Soleil, et bien qu'il n'ait pas pu observer le début du passage de Mercure, Gassendi en calcule la durée totale : 5 heures, puis l'instant de l'entrée : 5h 28. Il en déduit l'instant de la conjonction : 7h 58 (7h 33 TU). Les coordonnées écliptiques de Mercure sont alors, d'après lui, de :

 

  • longitude écliptique de Mercure : 14° 36' du Scorpion (soit 224,6°) ;
     
     
  • latitude écliptique de Mercure : 4' 30" (soit + 0,075°).

 

Il calcule ainsi que Kepler s'est trompé de 4 heures et 50 minutes sur l'instant de la conjonction (on a vu précédemment que c'était de 5 heures) à cause d'une erreur de 13' dans la longitude de Mercure. Cette observation permet d'améliorer les Tables Rudolphines qui donnent pourtant d'excellents résultats, bien meilleurs que les tables coperniciennes [dites Tables Pruténiques] de Erasme Reinhold (1511-1553), publiées en 1551. Les tables de Reinhold conduisent par exemple à des écarts de 5° sur la longitude de Mercure. Bien qu'incomplète cette observation de Gassendi établit de façon convaincante la supériorité du modèle képlérien sur les orbites circulaires de Copernic. C'est l'abandon définitif du système géocentrique de Ptolémée.

 

Plusieurs astronomes en Europe ont observé ce passage très attendu, comme Schickard ou Scheiner, mais seul Gassendi a effectué méthodiquement des mesures utilisables.

 

Dans son “admonitio” de 1629, Kepler avertit également qu'un passage de Vénus devant le Soleil se produira un mois après celui de Mercure, le 6 décembre 1631 « à 9 heures 41 minutes en temps moyen d'Uraniborg » . Il annonce que ce phénomène ne sera pas visible en Europe car le Soleil y sera déjà couché, mais qu'on pourra le voir en Amérique ! En réalité, le passage de Vénus aura lieu huit heures plus tard que prévu, le 7 décembre 1631, et ne sera visible qu'en Asie et en Afrique. On ne connaît pas d'observateurs éventuels. »

 

Michel Toulmonde (l'Astronomie de mars-avril 2003, pages 128 et 129).

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Modifié par roger15
Posté

Je suis extrêmement impressionné par les observations de Gassendi tout comme par les calculs de Kepler.

 

Réussir ceci en 1630, malgré l'imprécision des mesures du temps de l'époque constitue un incroyable tour de force.

 

Encore une fois un excellent travail Roger. Merci de nous le faire partager.

Posté (modifié)

Bonsoir à toutes et bonsoir à tous,

 

Tout d'abord, grand merci Benoît pour tes encouragements qui me vont droit au cœur. :wub: :wub: :wub:

 

Ensuite, voici deux liens intéressants de Patrick Rocher de l'IMCCE sur les passages de Mercure devant le Soleil :

 

* les circonstances précises du passage du 7 novembre 1631 : http://www.imcce.fr/en/ephemerides/phenomenes/passages/html_passage/MercureP1631.html

 

* le "canon" des passages de Mercure devant le Soleil entre 1631 et 2100 : http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/systeme/promenade/pages6/618.html

 

 

Voici, toujours grâce à Patrick Rocher de l'IMCCE, la carte du passage de Mercure devant le Soleil le 7 novembre 1631 :

 

 

Mercure1631.jpg

 

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Modifié par roger15
Posté

Humilité devant ces arpenteurs de génie!

 

Avant que l'amateur, pourvu d'instruments et outils performants, n'arrive à penser d'envisager une faible espérance d'aboutissement d'une tentative de parvenir à ces déductions, à ces mesures...ah oui, c'est vrai: nous sommes majoritairement de simples amateurs.

 

Merci Roger pour cette belle page d'histoire,

 

Patte.

Posté

Bonjour Patrick, :)

 

Merci pour ton sympathique commentaire. :be:

 

Sinon, en 1631, à l'époque de Gassendi, il n'y avait point encore la distinction entre les "astronomes professionnels" et les "astronomes amateurs" car il n'y avait - et encore étaient-ils très peu nombreux de par le monde (ne pas oublier que c'était seulement 22 ans après les premières observations télescopiques de Galileo Galilei à l'automne 1609) - que des "astronomes professionnels" (le plus souvent des ecclésiastiques ou des mathématiciens). La notion d'astronome amateur n'aura réellement de signification qu'au début du 19ème siècle.

 

Gassendi, c'est très bien dit dans l'article de Michel Toulmonde, doit surtout être félicité pour avoir soigneusement préparé son observation. C'est en cela que ce doit être un exemple pour tous les astronomes amateurs d'aujourd'hui. ;)

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté

Quelle émotion que de lire l'histoire de ces pionniers et de leurs découvertes. On ne peut qu'imaginer l'exaltation que pouvait ressentir Gassendi lors de son observation minutieuse, confirmant les calculs de Kepler.

 

Grâce au travail considérable de Roger, on touche d'un peu plus près ces instants magiques qui ont permis d'avancer dans notre connaissance du ciel. Merci encore, le Cantalien.

Posté

« Je l'ai trouvé et je l'ai vu, ce qui n'était arrivé à personne avant moi »

 

Peut-être pouvez-vous rajouter que Kepler a cru pendant quelques années avoir effectivement observé un transit de Mercure en 1607, avant de se rétracter et considérer qu'il avait dû voir une tâche solaire ce jour là.

 

Concernant le transit de Vénus de 1631, il me semble que les calculs modernes indiquent que celui-ci aurait été observable dans la péninsule italienne et plus à l'est en Europe, et qu'on ne sait pas trop pourquoi personne ne l'a vu (Gassendi n'avait par contre aucune chance depuis Paris).

 

Cordialement,

Posté
Peut-être pouvez-vous rajouter que Kepler a cru pendant quelques années avoir effectivement observé un transit de Mercure en 1607, avant de se rétracter et considérer qu'il avait dû voir une tâche solaire ce jour là.

 

Du coup, une question me vient au sujet de la qualité des optiques de l'époque. Pourquoi a-t-il eu un tel doute? Quelle "taille" avait l'image du soleil projetée par leurs petites lunettes?

 

Merci pour ton article.

Posté

Je me pose une question d'ordre technique.

 

On voit ici qu'il est nullement parlé de verre noirci à la fumée, comme on peut peut lire ça et là. Par exemple Galilée qui serait devenu aveugle suite aux observations du soleil (à mon avis, ces déformations de l'histoire ont pour but d'éviter des accidents)

 

Non, il s'agit de projection oculaire.

 

Faut attendre l'héliosope de Herschel (1800) avant l'observation directe à l'oculaire...et encore: suivant le principe, on a encore 4% de lumière solaire, soit beaucoup trop!

Je n'ai pas trouvé d'informations quant-aux premières observations à l'oculaire et j'imagine l'audace qu'il a fallu pour "tester" les dispositifs.

 

Ah, on est gâtés avec notre feuille astrosolar et les instruments Halpha!

 

Patte.

Posté

Bonsoir

 

Un grand merci à Roger le Cantalien pour cette évocation ! :wub:

 

Du coup, une question me vient au sujet de la qualité des optiques de l'époque. Pourquoi a-t-il eu un tel doute? Quelle "taille" avait l'image du soleil projetée par leurs petites lunettes? (...)

 

Roger a déjà répondu implicitement à cette question avec une gravure de Scheiner observant le soleil par projection, voir http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=62277

 

Les doutes étaient en partie causés par les défauts optiques des lunettes de cette époque :( Les images étaient plutôt floues, bien plus celles obtenues avec une petite lunette par n'importe quel astram d'aujourd'hui. Ce que nous appelons aujourd'hui le "pouvoir séparateur" était du même ordre de grandeur que le diamètre apparent de Mercure, de l'ordre de 5 à 10 secondes d'arc !

 

Ce n'est que vers 1650 que la qualité des objectifs a été nettement améliorée, avec les frères Huygens en particulier.

 

Bon ciel à tous !

Posté

Bravo et merci Roger pour ton fort bel article :).

 

 

Hélas pour lui, Johannes Kepler ne sut jamais si ses calculs étaient exacts car il s'est éteint à l'âge de 59 ans le 15 novembre 1630 à Ratisbonne en Bavière, donc juste un an trop tôt...

 

Alors ça c'est balo pour Kepler ... :be: Je préfère en rire même si c'est dramatique dans le fond, avoir un tel géni et ne pas pouvoir le prouver le moment venu.

 

 

 

Plusieurs astronomes en Europe ont observé ce passage très attendu, comme Schickard ou Scheiner, mais seul Gassendi a effectué méthodiquement des mesures utilisables.

 

C'est précisément ce qui le fait rentrer dans les livres d'Histoire. Cette anecdote me fait penser ... à nous, quand on observe un objet du ciel, qu'on se dit que nous sommes les seuls à voir ça (sans y croire), et que finalement nous avions été des centaines voire des milliers à observer la même chose au même moment. Mais à cette époque, c'est très fort ! Gassendi pouvait légitimement avoir été le seul à observer ce phénomène !

 

 

 

Très très impressionnants ces grands Bonhommes astronomes et mathématiciens de l'époque.

Posté

Bonsoir à toutes et bonsoir à tous, :)

 

Merci à vous tous pour vos sympathiques commentaires. :be: :be: :be:

 

Sinon, si vous désirez en savoir davantage sur les passages de Mercure devant le disque du Soleil, je vous poste ce qu'en avait écrit François Arago dans son "Astronomie Populaire" (Tome II [paru à titre posthume en 1855], Livre XVIII, Chapitre III "Passages de Mercure sur le Soleil", pages 493 à 498) : http://www.archive.org/stream/astronomiepopula02arag#page/493/mode/1up.

 

 

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Enfin, si vous désirez en savoir encore plus sur ce sujet je vous conseille de lire l'excellent article de Bruno Morando (astronome au Bureau des Longitudes) paru dans l'Astronomie de février 1971, pages 45 à 57, intitulé "Les passages des planètes inférieures devant le Soleil" : http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1971LAstr..85...45M&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf.

 

Bonne lecture à toutes et à tous. :)

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

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