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La comète de 1770 dite comète de Lexell.


roger15

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La comète de 1770 dite comète de Lexell.

 

 

Bonjour à toutes et bonjour à tous, :)

 

Je vous propose de continuer l'examen que j'avais commencé voici quelque temps sur Webastro à propos de quelques comètes remarquables :

 

- 1°) la comète périodique 35/P Herschel-Rigollet (http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=25171) ;

 

- 2°) La comète périodique 2P/ Encke (http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=64998)

 

- 3°) la comète 1/P Halley (http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=65469)

 

- 4°) La comète périodique 3D/ Biela (http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=68680)

 

- 5°) La comète périodique 153/P Ikeya-Zhang (http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=65883)

 

- 6°) La comète périodique 109/P Swift-Tuttle (http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=80691)

 

Voici maintenant l'histoire de la découverte de la comète périodique D/Lexell (1770 I).

Au soir du jeudi 14 juin 1770 l'astronome français Charles Messier (surnommé par le roi de France Louis XV "le furet des comètes"), âgé de 39 ans et demi (il fêtera ses quarante ans dans douze jours puisqu'il est né le lundi 26 juin 1730 en Lorraine à Badonviller, futur département de la Meurthe entre le 27 janvier 1790 et le 6 septembre 1871, actuel département de la Meurthe-et-Moselle depuis le 7 septembre 1871) observe le ciel depuis son observatoire situé au sommet de la tour de l'hôtel de Cluny (c'est devenu aujourd'hui le Musée du Moyen-Age, 6 place Paul Painlevé 75005 Paris).

 

 

800px-Messierbadon.JPG

 

 

Au soir de ce jeudi 14 juin 1770 la Lune (qui vient tout juste de se lever à 23h00 Temps Universel) était âgée de 20,92 jours (la Pleine Lune avait eu lieu le 8 juin 1770 à 08h59 Temps Universel et le Dernier Quartier aura lieu dans deux jours le 16 juin 1770 à 12h00 Temps Universel). Vers 23h30 Charles Messier termine une observation de la planète Jupiter. Il pointe alors son télescope de deux mètres de longueur focale dans la constellation du Sagittaire et vois son attention attirée par une petite nébulosité assez faible et à peine visible. Cette petite nébulosité avait une magnitude de +5,2.

 

Je précise que tous les renseignements que j'ai indiqués ci-dessus (et ceux que je vais mentionner plus loin) proviennent de l'excellent logiciel astronomique "Guide 8" de l'Américain Bill Gray et sont basés sur l'équinoxe J1770,5.

 

Charles Messier déclare qu'il a vu cependant un "noyau vif et blanc" ; donc aucun doute pour lui : ce n'est point une "nébuleuse" (c'est ainsi qu'à l'époque on désignait tous les objets du ciel profond) mais une comète qu'il a observée ce soir-là. Charles Messier ajoute que cette comète était « assez similaire à la nébuleuse située entre la tête et l'arc du Sagittaire » (il s'agit probablement de l'amas globulaire M22, qui a une magnitude totale de 5,1 et un diamètre de 29 minutes d'angle).

 

Dans son carnet d'observations Charles Messier a indiqué que la largeur de la tête de la comète a augmentée très rapidement pendant le reste du mois de juin 1770 :

* le dimanche 17 juin 1770 au soir : 5 minutes et 23 secondes d'angle ;

* le vendredi 22 juin 1770 au soir : 18 minutes d'angle ;

* le dimanche 24 juin 1770 au soir : 27 minutes d'angle ;

* le vendredi 29 juin 1770 au soir : 54 minutes d'angle.

 

Charles Messier a indiqué que la comète était devenue visible à l'œil nu le mercredi 20 juin 1770 ("Guide 8" indique une magnitude de +3,9 et une largeur théorique du noyau de 40,0 minutes d'angle le mercredi 20 juin 1770 à 23 heures 30 Temps Universel) et que le dimanche 24 juin 1770 il a noté que « la comète était brillante comme une étoile de deuxième grandeur » ("Guide 8" indique une magnitude de +2,7 et une largeur théorique du noyau de 74,3 minutes d'angle [1° 14,3'] le dimanche 24 juin 1770 à 23 heures 30 Temps Universel).

 

Le mardi 26 Juin 1770, des observateurs Chinois ont observé « une "étoile extraordinaire" d'une couleur jaune grisâtre, et qui était "aussi grande qu'une boulette." » ("Guide 8" indique une magnitude de +1,9 et une largeur théorique du noyau de 106,24 minutes d'angle [1° 46,24'] le mardi 26 juin 1770 à 23 heures 30 Temps Universel).

 

C'est le dimanche 1er juillet 1770 à 17h30 Temps Universel que la comète frôle la Terre à seulement 0,01508 Unité Astronomique (soit 2,260 millions de kilomètres seulement). C'est la plus proche approche d'une comète de la surface de la Terre de tous les temps !!!... Ce soir-là Charles Messier a indiqué que la largeur de la tête de la comète était de 2° et 23' d'angle ("Guide 8" indique une magnitude de -1,2 et une largeur théorique du noyau de 436,51 minutes d'angle [7° 16,51'] le dimanche 1er juillet 1770 à 17h30 Temps Universel). En réalité tous les observateurs ont estimé ce soir-là la largeur de son noyau à 2° 23' (voir l'article de G F Chambers "Les comètes perdues" dans la revue astronomique belge francophone mensuelle "Ciel et Terre" de 1909 (page 382) : http://articles.adsabs.harvard.edu/cgi-bin/nph-iarticle_query?1909C%26T....30..382C&data_type=PDF_HIGH&whole_paper=YES&type=PRINTER&filetype=.pdf).

 

La comète 1770 I est passée au périhélie le mardi 14 août 1770 à 00h 58m 53s (Temps Universel) soit le jour julien 2 367 764,54090.

 

Bien sûr, immédiatement tous les calculateurs cherchèrent à déterminer l'orbite de cette comète si brillante. Ils trouvèrent assez rapidement une période de 5,60 ans. Donc cette comète fort brillante devait être de nouveau observable en 1776. Cependant certains ont commencé à se poser la question : comment se faisait-il qu'une comète périodique aussi brillante n'avait pas été observée avant 1770 ? Cela fut le premier mystère de cette comète 1770 I.

 

La comète perdit progressivement de l'éclat et fut observée jusqu'au mercredi 3 octobre 1770.

 

La comète 1770 I repassa bien au périhélie cinq ans et demi plus tard, le vendredi 22 mars 1776, mais elle ne fut hélas pas observée car la Terre était mal placée... :(

 

C'est alors qu'apparut le nom de l'astronome et mathématicien russo-suédois Anders Johan Lexell (24 décembre 1740 - 11 décembre 1784) (voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Anders_Lexell).

 

Cet astronome âgé de 42 ans résolut tout seul en 1783 (donc un an avant son décès) à trouver la réponse qu'aucun calculateur n'avait réussi à formuler avant lui : pourquoi cette comète si brillante n'était pas apparue avant 1770 et pourquoi n'avait-elle pas été ré-observée lors de son retour prévu en mars 1776 ni non plus celui prévu en 1782 ?... Selon Johan Lexell c'est à cause de deux passages trop proches de Jupiter, ce qui a bouleversé son orbite.

 

C'est le 27 mars 1767 que cette comète a frôlé une première fois Jupiter et cela a raccourci sa distance au périhélie de 3 Unités Astronomiques (UA ; la distance moyenne de la Terre au Soleil ) [donc cela explique pourquoi cette comète n'avait pas été observée jusqu'alors : sa plus courte distance au Soleil était de trois fois la distance de la Terre au Soleil, donc d'un éclat trop faible pour être observée depuis la Terre] à 0,7 UA (donc cela explique pourquoi cette comète a pu frôler la Terre). C'est le 2 juillet 1779 que cette comète a frôlé une seconde fois Jupiter qui la renvoyé cette fois sur une troisième orbite très éloignée de la Terre (sans doute un périhélie supérieur à 4 UA) et une période de révolution supérieure à peu près de 200 ans, ce qui explique que plus jamais cette comète ne fut observée depuis la Terre ...

 

Johan Lexell étant décédé le samedi 11 décembre 1784, à l'âge de 43 ans et demi seulement, le monde astronomique décida, pour le remercier de ces brillants calculs, de nommer la comète 1770 I "comète Lexell" (et non "comète Messier")

 

La comète Lexell était donc une comète perdue ("lost comet") à tout jamais...

 

 

Voici grâce à Michel-Alain Combes un schéma qui récapitule très bien les trois orbites successives de la comète de Lexell (voir : http://www.astrosurf.com/macombes/fig7-2me.htm) :

 

 

fig7-2me.JPG

 

 

Michel Alain Combes commente ainsi son schéma des trois orbites de la comète de Lexell:

 

« La figure raconte l’histoire mouvementée de cette comète qui a changé trois fois d’orbite en 18 ans. Avant 1767 (Lexell 1), elle suivait l’orbite (a). Sa période de révolution était de 9,23 ans et sa distance périhélique voisine de 2,90 UA l’empêchait d’être aisément visible depuis la Terre. Le dernier passage sur cette orbite eut lieu le 18 mars 1764 (position marquée 1764).

Le 27 mars 1767, la comète passa à 0,020 UA de Jupiter et son orbite fut profondément modifiée (Lexell 2). La nouvelle orbite (b), beaucoup plus excentrique, amena le périhélie à l’intérieur de l’orbite de Vénus. Le 1er juillet 1770, la comète fit sa fameuse approche record à 0,015 UA seulement de la Terre (au point marqué X). Le passage au périhélie eut lieu le 14 août 1770. Sur cette nouvelle orbite, la période de révolution était de 5,60 ans. Il faut noter que l’approche record eut lieu lors du premier passage sur la nouvelle orbite. Lors du retour suivant (périhélie le 22 mars 1776), la comète ne fut pas observée parce que la Terre était mal placée.

Le 2 juillet 1779, la comète repassa près de Jupiter, et cette fois à 0,002 UA seulement (300 000 km). Son orbite fut donc une nouvelle fois profondément modifiée (Lexell 3). Le périhélie de la nouvelle orbite (c) prit la place de l’aphélie de l’ancienne, près de l’orbite de Jupiter, avec une distance aphélique de l’ordre de 80 UA. D/Lexell n’a jamais été réobservée, mais le sera peut-être dans le futur. »

 

Mais, grâce aux nouveaux puissants moyens de calcul informatiques le calculateur Japonais Kazuo Kinoshita réussit en 2005 à affiner les orbites successives de la comète de Lexell (voir : http://www.aerith.net/comet/catalog/1770L1/index.html).

 

« En 1770, elle est passée très près de la Terre à 0,0146 UA le 1er juillet et a atteint une magnitude de -2. La courbe de lumière observée pendant trois mois et demi entre Juin et Octobre 1770 donne une magnitude absolue de H10 = 7,5. Le retour de 1776 a été le pire, car personne n'a pu l'observer. »

 

Les calculs de Kazuo Kinoshita ont révélé que cette comète est passée très près de Jupiter le 27 mars 1767 à 0,0016 UA, ce qui a entraîné une augmentation de sa distance périhélique de 0,7 UA à 5,2 UA. A une distance de 5,2 UA du Soleil, donc de 4,2 UA de la Terre, sa magnitude observable serait comprise entre 18 et 20. :confused:

 

Kazuo Kinoshita a calculé que la comète de Lexell, qui a maintenant une période de révolution de 200 ans exactement, est repassée au périhélie le dimanche 15 janvier 1984 mais que sa magnitude était alors inférieure à 18 et de ce fait n'a pas pu être observée depuis la Terre. Il a enfin calculé que le prochain passage au périhélie de la comète de Lexell interviendra le lundi 29 novembre 2184.

 

Patience : dans 172 ans nos descendants pourront, grâce aux moyens d'observation sophistiqués de l'époque, revoir la comète de Lexell pour la première fois depuis 514 ans !!!... Un très beau challenge pour les astronomes amateurs de 2184.

 

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

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Bonjour Roger :),

 

Bravo pour le septième chapitre de ton Histoire des comètes remarquables. Celui-ci, comme les six précédents, est fort réussi et très instructif évidemment.

 

On peut regretter que le nom de Messier n'ait pas été associé à celui de Lexell. Peut-être d'ailleurs que dans le futur on l'appellera la comète Messier-Lexell. Tous les deux sont en fait co-découvreurs, l'un de la comète elle-même, le second de l'orbite.

 

Ce que les gens ne savent pas, en général, c'est que la comète de Lexell a eu une importance historique et épistémologique. Venant peu de temps après le retour calculé de la comète de Halley, elle a permis aux savants de l'époque de se rendre compte que le catastrophisme d'origine cométaire n'était pas une vue de l'esprit, mais un danger réel sur le long terme. Le danger des comètes qui était un fantasme depuis l'Antiquité devenait une possibilité, une probabilité quand le facteur temps était pris en compte. Laplace a écrit sur ce sujet un texte bien connu et explicite.

 

La comète de Lexell, qui détient toujours le record d'approche à la Terre, est une comète qui a changé la mentalité des savants. Elle est donc l'une des plus importantes de l'histoire des comètes.

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Je reviens sur l'approche calculée du spécialiste japonais Kazuo Kinoshita pour la comète de Lexell. D'après ses calculs, la comète serait passée près de la Terre en 1984 avec la magnitude 18.

 

Aucun des grands spécialistes du calcul des comètes américains n'a confirmé cette approche et les éléments orbitaux calculés par Kinoshita. Notamment, Brian Marsden, LE spécialiste de ces questions, n'a pas semblé convaincu. Seules des observations, très possibles en 1984 auraient permis de confirmer cette prédiction. Il semble que le spécialiste japonais n'ait pas pris suffisamment en compte les perturbations non gravitationnelles subies par la comète. Cela arrive fréquemment.

 

Je crois plutôt que durant le XXIe siècle, un observateur chanceux, ou plus probablement un survey américain spécialisé, arrivera à retrouver D/Lexell. J'espère alors que l'on en profitera pour rebaptiser la comète Messier-Lexell-X (du nom du redécouvreur).

 

Affaire à suivre, mais pas dans l'immédiat.

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