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Posté

Date : Samedi 22 février 2014, de 20h à 23h15

Site : Colline de Grambois

Matériel : Dobson 254/1200, Panoptic 24, Pentax XW 14 et Nagler 7, Powermate x2,5, filtres UHC, H-Beta et OIII.

Conditions : Ciel parfaitement dégagé, bonne transparence et turbulence très faible.

 

Rapport de Blagourf, éclaireur du 89ème système, année 10.265 de l'Empire Galactique

 

L'étude du jour vise à analyser le comportement d'un humain typique dans sa relation avec l'univers. Nous savons depuis longtemps que les terriens disposent de connaissances primaires sur le cosmos. Ce test vise à préciser les fondements psychologiques humains dans le cadre de leur compréhension de leur environnement.

 

Pour les besoins de l'expérience, je suis dissimulé sous la forme d'un caillou proche. Camouflage idéal dans la mesure où de nombreux cailloux de ce type sont déjà présents sur les lieux.

 

Dès son arrivée, le sujet s'équipe d'un revêtement isolant, incluant la partie haute de son individu. La température extérieure étant quasiment au niveau nécessaire au gel de l'eau à la pression locale, et donc à un niveau plus que confortable, on exclura immédiatement l'hypothèse que cette démarche serve à se protéger du froid. Il est plus probable que le sujet cherche ainsi à se défendre contre les radiations cosmiques ou les chutes de météorites, dont les occurrences sur sa planète sont certes rares, mais bien réelles.

 

Le sujet installe ensuite un appareil destiné à amplifier la lumière reçue. Aucune analyse poussée n'a pu être conduite sur le dispositif en question, mais sa surface fortement réfléchissante et son importante masse apparente (à en juger par les efforts que fournit le sujet pour le mettre en place) suggèrent un appareillage complexe et très sophistiqué. J'en déduis, là aussi, que le sujet présente une forte inquiétude et souhaite protéger son environnement immédiat au mieux, même contre les menaces les plus rares.

 

Ce sujet est particulièrement bien sélectionné, car il a pour habitude d'énoncer dans un petit appareil portatif le résultat de ses observations. Je saurai ainsi comment les habitants de cette planète nomment les objets de leur ciel.

 

A ma grande surprise, le sujet commence par observer le cadavre d'une étoile. Il nomme ce qu'il observe "NGC 1535, ou Œil de Cléopâtre". Une recherche rapide dans les archives connues de la planète montre que ce nom fait référence à une reine ancestrale, depuis longtemps disparue (on aura soin de retenir ce détail important pour la suite de l'étude, et en parfaite adéquation avec le reste des observations rapportées). Le sujet semble si fasciné par l'observation des restes de l'étoile morte qu'il en trace même le portrait avec moult détails sordides, dans une indécence qui me fait un instant perdre mon détachement de scientifique.

 

Fort heureusement, il semble ensuite quitter ses penchants morbides pour pointer ce qu'il appelle "M42" et semble se réjouir à la vue de 6 étoiles dans ce qu'il appelle un "trapèze". Cette erreur grossière vient corroborer mon hypothèse des désastreuses facultés géométriques des terriens. Il passe encore un temps à pousser de petits soupirs satisfaits à la vue de quelque filaments verts, jaunes et rouges, puis s'en tourne pointer une autre cible.

 

Il choisit alors l'une des planètes de son propre système, la plus grande d'entre elles, une gazeuse qu'il nomme "Jupiter". Et très vite, il se rend compte, avec une joie parfaitement incompréhensible, qu'il observe un bête transit de satellite à sa toute fin. Callisto, l'une des lunes de la géante gazeuse, vient d'émerger du disque, et cela semble l'émerveiller. Je devine par là la piètre maîtrise de l'astronomie par ces êtres qui parviennent encore à donner une dimension quasiment mystique à un simple phénomène gravitationnel ordinaire.

 

A cet instant, le sujet prend la décision d'évacuer ses fluides usagés, et le fait très exactement à l'endroit où je me trouve. L'analyse révèle une certaine acidité, bien inoffensive pour mon dispositif d'observation. Mais est-ce là une indication qu'il a, d'une manière ou d'une autre, remarqué ma présence, et qu'il cherche à me causer quelque dommage ? Dans le doute, je reste immobile et poursuis l'observation. La suite me donne raison : il s'agit bel et bien d'une fausse alerte, le sujet semble ragaillardi, et je souhaite qu'il se lance dans une observation intéressante.

 

Hélas, bien vite, les instincts dépressifs de mon sujet reprennent le dessus. Avec un dégoût que seul mon professionnalisme me permet de combattre, je le vois pointer ce qu'il nomme "NGC 2371-2", un autre cadavre d'étoile. Et c'est bien l'aspect morbide de la chose qui l'intéresse, car il présente les signes habituels de sa satisfaction lorsqu'il parvient à détecter ce qui reste de l'étoile centrale. Là encore, il s'attarde sur la charogne, et là encore, il dessine même les détails les plus écœurants de ce qu'il en reste...

 

Le sujet pousse même le vice jusqu'à se réjouir du spectacle de l'explosion d'une étoile lointaine, dans une galaxie qu'il nomme "M82". Et c'est même avec regret qu'il remarque qu'elle a baissé en intensité depuis sa dernière visite ! Preuve s'il en était encore besoin, de la fascination morbide de cette étrange espèce...

 

Il y a bien un bref instant où il se tourne vers un objet plus vivant, en l'occurrence, "M67", un amas d'étoiles dont il se réjouit du fourmillement. Mais on notera que dans la mythologie terrienne, l'amas se trouve dans la région du "Cancer". Or, ce terme désigne l'un des ennemis les plus acharnés qui soient au genre terrien. Je n'ai jamais pu déterminer avec précision quelle était cette espèce manifestement concurrente des humains, mais il est clair que la priorité d'une bonne partie de la population de la planète est de la combattre. Pourquoi alors donner ce nom à une région du ciel où se trouve un amas dont il s'émerveille ? Ma conclusion se fait de plus en plus nette à mesure que j'observe et comprends ce sujet à la fois répugnant et fascinant.

 

La soirée d'observation du sujet s'achève comme je l'avais prévu, et comme elle avait commencé : par un cadavre d'étoile. C'est cette fois "NGC1501" qui attire son attention. Mon sujet, n'étant plus à une provocation près, regrette que les détails ne soient pas plus nombreux, et une fois de plus, trace un dessin afin de conserver un souvenir de cette observation ! Heureusement, car la nausée commençait vraiment à me saisir, c'est après ce dernier épisode navrant de sa soirée qu'il décide de quitter les lieux.

 

Mes conclusions quant à la psychologie humaine sont sans appel : cette espèce est vouée à disparaître à brève échéance. Ses connaissances mathématiques sont à peu près nulles, malgré une certaine ingéniosité pour la conception de dispositifs performants. Mais la fascination hors du commun des terriens pour tout ce qui touche à la mort et à la disparition, indique une tendance suicidaire sous-jacente qui les pousse sans nul doute à chercher l'anéantissement de manière inconsciente. Raison sans doute pour laquelle ils ne parviennent pas à combattre ce fameux "Cancer", l'un de leurs pires ennemis. Ou alors est-ce une simple invention de leur part, traduction d'un mysticisme effréné les poussant à imaginer des adversaires terrifiants pour mieux se morfondre et disparaître à petit feu.

 

Quoi qu'il en soit, il paraît évident que les terriens affichent à la fois une fascination et une peur de leur environnement, comme nous l'avons vu en début d'étude, par les moyens mise en place pour se prémunir des dangers les moins courants. Cette dualité devrait conduire à un arrêt de leur évolution technologique à court terme, par prudence excessive et peur incontrôlée des dangers de leur environnement, voire au suicide collectif. On consultera avec profit, à ce sujet, cet article titré "Morale moderne" d'un autre humain désemparé, qui aboutit aux mêmes constatations.

 

La publication des dessins des cadavres d'étoiles sur ce document en annexe, et leur consultation par de nombreux autres terriens, achèvera de convaincre mes pairs de ces conclusions.

 

Préconisation : pas de prise de contact, espèce à laisser évoluer jusqu'à l'auto-destruction, avant toute tentative de colonisation de la planète.

Posté

J'adore!

un collier de perles :D

Je devine par là la piètre maîtrise de l'astronomie par ces êtres qui parviennent encore à donner une dimension quasiment mystique à un simple phénomène gravitationnel ordinaire.
e sujet prend la décision d'évacuer ses fluides usagés, et le fait très exactement à l'endroit où je me trouve
Preuve s'il en était encore besoin, de la fascination morbide de cette étrange espèce...

et la potéose*:

Préconisation : pas de prise de contact, espèce à laisser évoluer jusqu'à l'auto-destruction, avant toute tentative de colonisation de la planète.

tu refais ça quand tu veux :be:

un grand merci de la part de mes zygomatiques épuisés

 

* c'est comme l'apothéose mais cela ne s'écrit pas pareil

Posté

:D:D:D

 

Excellent ! :be:

 

J'ai bien ri, adoré l'humour et apprécié le bon français !

 

Voilà qui fait plaisir, à garder dans les annales ! ;)

Posté

GENIALISSIME!!!

 

Punsaise, je me demande où tu vas chercher tout ça mais vraiment....déjà au titre, je savais que ce ne serait pas un récit comme les autres et en connaissant mieux maintenant tes écrits, on sait que tu es capable de tout...:p

 

On se croitait dans un bon fim de SF...mais n'as-tu jamais songé à devenir scénariste?

 

NGC 2371-2 dit "le Bonbon" , grand merci de la rappeler à nos bons souvenirs tant il est vrai qu'elle est fort jolie et que l'on ne lui rend pas souvent hommage!

 

En tout cas, chapeau pour ce CROA une fois de plus, très inspiré(!)....reviens souvent nous raconter tes périples célestes qui valent franchement le détour...

 

Merci! :)

Posté

Je verrais bien ce texte publié dans Ciel & Espace par exemple ! ;)

 

N'y aurait-il pas une personne influente de Webastro pour leur suggérer ? :)

Posté

Oui, je me suis bien fait plaisir. :cool:

 

Content que vous soyez entrés dans le délire en tout cas !

 

Par manque de temps notamment, j'ai bien plus de mal qu'auparavant à suivre la rubrique CROA, et je le regrette... Du coup, quand j'y participe, autant que ce soit pour faire quelque chose d'un peu original !

Posté

Salut Vakoran :)!

 

Et beh, quel Croa original que voilà:p...on peut dire qu'il n'y a pas que la Terre qui tourne, tes neurones aussi...:be::D;)!!!

Vraiment, c'était Super à lire, j'ai réellement passé un bon moment...:cool:

 

Sinon côté observations, j'espère que tu trouveras le temps d'admirer le ciel et ses joyaux...et que tu passeras de temps en temps dans la rubrique Croa...

Moi, de mon côté, j'observe toujours en milieu urbain, avec mon télescope de 203mm.

 

Je te remercie pour le partage, et je te souhaite un bon ciel:rolleyes: !

Bonne continuation.

A plus ;)!

 

Philippe.

Posté

Un astram au microscope, quelle passionnante observation !

Merci pour le partage et et les idées de cibles : Il faut que je découvre cet oeil de cléopatre ! :)

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