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Lumières des terres arides, épisode I : Compagnons des bords du monde


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I : Compagnons des bords du monde

 

Récit d’un voyage au Chili du 23 octobre au 14 novembre 2018, centré sur la nouvelle lune du 7 novembre.


 

Pour Pierre Vesper, tout a commencé par une nuit très sombre, alors qu’il cherchait une petite galaxie qu’il ne trouva jamais.

C’est là qu’il les vit, ses compagnons des terres désolées et lumineuses.

La voie lactée, tresse brillante tourmentée de nébuleuses obscures et de diamants, leur restituait une ombre dans la nuit d’encre.

“Où vas-tu ?” demandais-je à l’un, mais il poussa un cri strident et s’enfuit épouvanté vers son écran rougeâtre, car il ne m’avait pas reconnu.

 

Mais n’anticipons pas.

 

Roissy, 23 octobre 2018 vers 20h30. Après mon TGV depuis Strasbourg et quelques heures d’attente et autres déambulations dans les halls bondés, XavierC arrive tout sourire avec sa fidèle valise et son vénérable flying Strock 254 en sac à dos. Il m’informe derechef qu’il a mangé deux endives et un camembert pour vider son réfrigérateur. Etant parti depuis près de 6 heures je commence à ressentir les tous premiers effets hypnotiques du voyage et reste coi. Chacun ses goûts, me dis-je en m’efforçant de ne pas penser trop fort. Je lui souhaite silencieusement une bonne digestion. Voici un voyage qui commence sous les meilleurs auspices. Lire les présages dans le camembert aux endives n’est pas donné à tout le monde.

 

Nous abordons les contrôles de sécurité. Une légende urbaine affirme désormais que les miroirs seraient devenus indésirables en cabine au motif que, une fois brisés, leurs éclats pourraient former de dangereuses échardes susceptibles de servir d’armes. Décidément, nous sommes à l’ère de la rumeur. Et d’ailleurs nous passons sans encombre. Les douaniers ne sont même plus étonnés par les astro-pèlerins et leurs flying dobsons. L’ère glorieuse des pionniers, des ouvreurs de voies, est déjà dépassée. Tempus fugit, le temps s’enfuit...

 

...Et d’ailleurs nous aussi, dont l’avion décolle non sans avoir embarqué notre troisième co-voyageur, à savoir Bruno, adorateur d’électrons, de pixels, et pratiquant du culte de l’écran rougeâtre.

 

Quelques instants après nous nous ruons vers la lumière.

J’ai gagné mon ciel.

 

Nous planons sur une très longue pente descendante, vers le grand sud-ouest.

Ni évidemment morts, ni plus tout à fait vivants. Boîte de Schrödinger volante. Brel chantait Aristote : “Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts et ceux qui sont en mer.” Aristote ne pouvait envisager ceux qui seraient un jour en l’air.

J'aime cette sensation de ne plus appartenir au monde.

 

Près de 15h plus tard. Nous sortons de la boîte de Schrödinger et retrouvons les couleurs lumineuses du Chili, loin des brumes pré-hivernales méphitiques du nord.

 

Santiago, gare routière Alameda. Le Chili a une spécialité de transports en autocar, de plusieurs niveaux de confort, aux prix dérisoires pour un occidental du nord, si on peut dire, et d’une ponctualité à la logique floue. Sur un quai, notre marée de bagages : mon premier a son flying Strock, mon second des caméras et autre lunette à grand champ, mon troisième une paire de Naglers et deux jumelles. Qui suis-je ? Et, d’ailleurs : où vais-je ? Je mobilise mes souvenirs d’espagnol de classe de troisième et m’enquiers un peu partout comme une âme en peine : “¿Dónde está el autobús a Ovalle?”- où est le bus pour Ovalle, charmante mais sans éclat petite ville du Coquimbo ? “Se fue !” - Il est parti !, me répond virilement et en claquant des mains un chilien râblé d’âge moyen. Bigre. Va-t-il falloir racheter des billets ? Retrimballer les pesantes valises ? Moi j’ai mes semelles de vent, mais les autres, et surtout les astro-imageurs ? Les mines s’allongent, nous sommes partis depuis plus de 24 heures, lorsque… mais, mais oui c’est lui, notre autocar, qui s’avance et affiche fièrement sur son front en lettres de lumière “El Salvador - Le Sauveur”, bon sang mais c’est bien sûr, le bien nommé !

 

Lentement nous remontons la panaméricaine, plein nord. A gauche, le Pacifique déroule de longs rouleaux gris. Nous achetons des pâtisseries locales trop sucrées comme toujours et nous rendormons les yeux ouverts, de ce sommeil hypnotique dont on s’enivre à force d’heures non dormies.

 

Ville de Ovalle, 24 octobre 2018 au soir. J’ai quitté Strasbourg il y a un peu plus de trente heures. Nous retrouvons Raymond, notre hôte, après 5 années d’absence. Il a toujours le regard des coureurs d’espaces ouverts.

Nous poursuivons notre périple dans le 4x4 qui a dû faire l’aller-retour Terre-Lune et une partie d’un troisième voyage. C’est une mule fidèle, un animal de bât dont Raymond connaît les moindres hoquets, une mécanique incassable qui, même cassée, rentrera à l’écurie.

Accélérant sur les pistes sèches, il y a dans le voyage des frémissements temporels, tout s’étire, s’étend et se contracte, il y a des accélérations dans l’accélération, je suis maintenant en hypnose, c’est l’ivresse du voyage et Raymond a le pied sur la pédale d’avance rapide d’un film aux contours flous.

 

Retrouver ces terres arides est un peu rentrer chez soi après une longue absence. Un mélange de souvenirs d’autres années, pas si lointaines mais déjà éloignées, nostalgie d’anciennes nuits éblouies de coups de millions de soleils et au goût de menthe poivrée, tisane vespérale du lieu.

 

Nous trouvons pour la première fois la Canelilla, notre lieu de résidence, sous les nuages. C’est inédit, ici au pied des Andes, à 25 km à vol d’oiseau du Gemini Sud. Je n’avais jamais vu ce paysage ennuagé. Nous pouvions compter sur un ciel coronal de façon implacable, sans faille, mécaniquement. Le changement climatique opère globalement, c’est un fait avéré.

 

Nous retrouvons Nadine, maîtresse des lieux, hôte aux petits soins et à la cuisine savoureuse.

Le chien Baladin est mort, j’espère qu’il course les chèvres au paradis des animaux heureux. Grisette, autrefois chatte libre du désert, est désormais à la retraite dans la nouvelle maison de nos hôtes. Elle se cache, terrorisée par le successeur de Baladin, une jeune doberman recueillie ici pour le meilleur et qui vibre d’énergie.

 

La colline - observatoire est peuplée d’installations récentes. En plus du traditionnel observatoire à toit roulant du C14 il y a maintenant un abri qui cache un dobson 530 en location séparée et trois constructions basses qui hébergent des instruments automatisés. Un RC 520, une lunette de 127 mm, un Newton 350 et leurs bazars électronifiés respectifs. Pour un peu on entendrait, venu de quelque micro resté ouvert dans l’hémisphère nord, le son nasillard d’un journal de 20H ou autre émission d’infotainment

L’électricité est solaire et il faudra un jour conter comment Raymond a acheminé du wi-fi ici, dans une vallée perdue sur les marches des Andes.

Cette capacité à bâtir, dans un endroit reculé et sans aide, à quatre heures de 4x4 du plus proche magasin de bricolage, l’ensemble des bungalows, installations et maintenant observatoires en remote, me laisse toujours admiratif et incrédule à la fois. Moi qui ai les deux mains dans la même moufle et les pieds dans le même sabot me demande toujours, comme devant les pyramides, si cela a réellement été possible sans une aide venue d’ailleurs.

 

Pantois et pantelant après quasiment 40h de voyage, je descends la colline pour rejoindre ma chambre. Hélas très momentanément car si je n’ai qu’une envie, m’allonger, encore faut-il que je m’acquitte d’une tâche ardue : reformater ma lourde valise pour qu’elle passe du statut “3 semaines” au statut “1 semaine”. Demain matin tôt, nous partons en effet pour l’Atacama.

 

Le matin n’est pas encore levé, si je puis dire, lorsque je reprends ma désormais légère et magnifique valise pour un départ d’une semaine vers le grand nord. Je ne sais plus en réalité où je suis exactement : entre les fuseaux horaires, les lenteurs et les accélérations du voyage, les quelques heures de sommeil grapillées ici n’ont pas permis à mon esprit de retrouver mon corps, en quelque sorte. Tel un automate, j’embarque. Pour quelques heures de piste et une bonne journée de panaméricaine.

C’est presque une expérience de décorporation et il reste forcément peu de souvenirs de cet épisode, autres que ceux d’être passé au large de La Silla dont nous apercevons les mythiques coupoles, et de m’être observé, comme flottant hors de mon corps au son d’une musique andine jouée je ne sais plus comment par Xavier. Au rythme d’une flûte de pan endiablée, les regards s’éclairent d’étincelles étranges et de sourires entendus. C’est une secte, d’accord, mais laquelle ? Je n’arrive plus à m’en rappeler. C’est à la lisière de ma conscience. Nous avalons la panaméricaine à haute vitesse. Tout est trouble sur les bords. Et au milieu aussi, un peu.

Un flux d’air baigne mon front. Parfois il se relâche, mais la plupart du temps il est fort et constant. Une main tire sur mon crâne et m’emporte à Copiapo. La porte de l’Atacama.

 

A l’hôtel, en chambre double avec Xavier et dans l’incapacité de trouver le sommeil, nous regardons des dessins animés en italien. Il faut le faire, me dis-je, venir de France, ici au Chili, au seuil du désert, pour rigoler devant des dessins animés en italien. Xavier se penche à la fenêtre pour essayer de distinguer, dans la nuit orange de Copiapo, l’une ou l’autre étoile. En se dévissant le cou il en trouve une, quelque part au zénith, et aussitôt exhibe avec désinvolture et à ma stupéfaction un gigantesque smartphone qui lui indique derechef, toujours à ma surprise, qu’il s’agirait de Fomalhaut. Moi qui ai toujours connu un Xavier low tech je suis, comme disent les anglo-saxon, flabbergasted.  Je range, reformate et défragmente le contenu de ma valise pour que les choses et les événements reprennent un cours normal.

 

Vendredi, 26 octobre 2018. Au matin tôt et après une courte nuit (durant cette partie du voyage les nuits seront toujours courtes, faut-il continuer à le mentionner ? C’est ensuite que les nuits prendront l’avantage sur les jours), nous attaquons la piste pour les hauts-plateaux de l’Atacama. L’ascension, lente et régulière, commence en faux-plat. Au début, nous croisons encore quelques camions. D’imposants trucks, à l’américaine. Mais rapidement nous sommes seuls. Le ciel bleu roi touche la terre sans dégradés, sans nuances, sans pudeur.

Au bout de quelques heures de route le paysage est surréaliste : ici un lac de soufre rejoint le ciel, le jaune vif touchant le bleu intense, profond et uniforme, tandis que là un champ de pénitents, silhouettes de neige sculptées par le vent froid, tend ses échardes comme des doigts glacés.

 

Plus loin le salar de Maracunga s’étire en plaine de sel jusqu’à l’horizon. Le blanc pur touche le ciel coronal, c’est une vision de début des mondes.

 

Nous passons en Argentine puis revenons au Chili car ici les frontières se chevauchent, forment des boucles, et dépassons les 4000 m pour continuer à monter. Les sommets des “Tres cruces”, trois volcans andins, occupent l’horizon. Massifs, ils semblent cependant peu hauts et assez proches. Mais nous sommes bernés par l’altitude : ces volcans culminent à 6749 m et, s’ils dépassent assez peu de l’horizon c’est que nous sommes déjà vers 4700 m. La distance est trompeuse également, ici tout semble proche car l’air est d’une transparence de cristal. Aucune poussière, très peu d’humidité : la sensation est d’avoir de nouvelles lunettes. Les myopes comprendront.

Ici les nuits doivent être de diamant. Mais il semble que le manque d’oxygène finisse par dégrader sévèrement la vision de nuit. Et puis il fait déjà très froid de jour, ça doit être intenable pour des observations prolongées.

D’ailleurs l’air est tellement léger que les efforts semblent un peu plus difficiles même si, à ma grande autosatisfaction, je constate que je réagis bien. Il suffit de s’économiser un peu, me dis-je avec une pointe d’orgueil. Ces histoires de malaises en altitude, c’est forcément pour les inconscients, les imprudents, les inconséquents. Tous défauts que je n’ai manifestement pas. Je me sens bien, très bien même : léger, pour tout dire. Intérieurement, je me ris de la difficulté.

 

Un peu plus loin et un peu plus bas, à 4300 m, nous abordons la Laguna Verde. Ici, l’eau turquoise éclabousse les flancs des volcans. Ceux-ci dépassent de l’horizon avec leurs plumetis enneigés au sommet. Bleu sombre du ciel, turquoise de l’eau, brun et blanc des volcans : telle est l’ambiance, telles sont les couleurs du lieu.

Il y a une sorte de refuge décati au bord du lac, une cabane montagnardo-routarde où Raymond nous fait chauffer une infusion de feuilles de coca. Parfaitement légale ici, cette infusion légère anesthésie un peu la gorge mais produit l’effet d’un double expresso.

Ragaillardis, nous nous attardons en contemplations. C’est au moment où, en fin de journée, nous remontons en voiture pour aborder la redescente qu’un mal de tronche terrible me tombe dessus. Brutalement et sans crier gare. Mon orgueil de montagnard tout frais s’écroule d’un coup. Puis je suis assailli alternativement de moucherons noirs et de lucioles brillantes. Sans oublier de puissantes nausées. Je suis victime de la terrible Puña, le mal d’altitude qui sévit en ces hauteurs. Il faut redescendre, et vite. Mais vite, tout le mot est là. Ai-je dit qu’il s’agissait, à l’aller, d’un faux-plat s’étirant sur des centaines de kilomètres ? Eh bien au retour c’est pareil. Dans l’autre sens.

Ainsi le malaise dura-t-il longtemps, s’étirant au fil des kilomètres de piste de redescente. Je me suis senti tel un Icare qui aurait la migraine dans sa chute.

 

Samedi, 27 octobre 2018. Rétabli sans séquelles (quoi que, diront les esprits forts…) de cette terrible Puña, je prends place dans le 4x4 pour redescendre de Copiapo vers la mythique Silla.

 

Nous filons bon train et nez au vent sur la panaméricaine, dans le sens de la descente si l’on peut dire, lorsque j’aperçois un énergumène planté au beau milieu de l’autoroute. Solidement campé sur ses deux jambes, à cheval sur la bande discontinue, il semble agiter une lampe. Ses fringues bizarres renvoient la lumière, par endroits.

“Piéton sur la piste ! “ dis-je de façon humoristique à Raymond juste avant qu’il n’entame de lui-même un freinage d’urgence.

Nous arrivons à hauteur de l’inconscient, à qui j’envisageais vaguement de rappeler les règles élémentaires du code de la route (...en français !) lorsque la réalité et la fatalité nous rattrapent d’un seul coup : le costume bizarre était un uniforme, les réflexions sont dues aux décorations, ou plutôt devrais-je dire à la déco’ style latino brillant au soleil, et la lampe… est un radar. Le flic s’avance, très macho, viril, sud-américain quoi. Il n’a pas l’air content d’être encore en vie, bizarrement.

Il s’accoude à la portière et sans un mot nous montre l’arrière de sa lampe, qui arbore un nombre : 148. En kilomètres par heure, s’entend. Au lieu de 120, il faut le dire. Oui bon, ce n’est pas non plus la vitesse de la lumière, hein. Mais le gars semble sincèrement en colère. Je saisis qu’il dit des choses définitives et désagréables, du genre “inutile de s’excuser”, “ce coup-ci vous n’y couperez pas”, “amende grillée” et autres paroles blessantes. Plus sérieusement, il a vraiment l’air sérieux, lui, et j’ai la conviction sur l’instant que Raymond va devoir manger son permis de conduire. Mais comme souvent au Chili, les choses prennent une tournure étrange.

Dialogue reconstitué (et librement adapté de l’espagnol) :

 

- “Je m’excu…”

- “Silence. Inutile de vous excuser. Ni de promettre : je ne vous croirai pas”

- “Mais…”

- “Et vous allez où ? Vous vous croyez tout permis ? Et qui sont vos passagers ?”

- “Nous allons à la Silla. Et ce sont des astronomes français, enfin amateurs…”

- “Mmmhhh. Ahh. Moi aussi, je suis passionné d’OVNIS… Mmmhhh…”

- ???

- “Et dites-moi : vous en avez déjà vu ?”

- “Euh, bah, bon ben c’est que, vous savez, en fait l’astrono…”

- “Je le savais, je le savais ! C’est passionnant…”

- “Moui bon (prudent)”

- “Ici on en voit assez régulièrement…”

- “C’est-à-dire qu’en fait je suis propriétaire d’un gîte - observatoire…”

- “Un observatoire ! J’en étais sûr, j’en étais sûr ! Et bien sûr…”

- “Bien sûr… (?)”

- “Ah je le savais, c’est fabuleux, et toutes ces planètes extra-terrestres, enfin extra-solaires, enfin c’est extra et ça confirme tout le reste !”

- “(?) Oui, euh, c’est... vrai… (sentant venir le bon coup)”

- “Ah c’est fabuleux, c’est extraordinaire !!”

- “Oui, euh, magnifique, hemm…”

- “Bon ben vous savez quoi ?”

- “Euh, non… (espoir)”.

- “C’est bon pour cette fois. Mais soyez prudent à l’avenir !”

- “Oh merci, oui, oui, oui ! Et passez nous voir, à la Canelilla, avec la famille, une soirée on vous montrera tout ça…”

- “Je le savais ! J’en étais sûr ! C’est magnifique ! Merci !”

- “Merci à vous ! Qué le vaya bien !

 

Raymond passe la première et repart sur les chapeaux de roue. Je suis bouche bée. Pour un peu je lui aurais fait le salut de vulcain (“Star Trek”. On a les références qu’on peut). Décidément ces reptiliens sont bizarres.

Quelques instants plus tard nous filons aux alentours de 150. Ce gars-là était marrant mais il ne faut pas exagérer : il nous a mis en retard.

 

Le site historique de l’ESO se présente comme une crête de dragon pustuleux, à seulement 2400 m (car nous sommes maintenant aguerris, n’est-ce pas). Les coupoles sont ici nombreuses et témoignent de l’activité de recherche et développement qui anime le lieu depuis les années soixante. Nous visitons d’abord le 3,60 m Cassegrain. Le vénérable est désormais accouplé au bien connu spectrographe HARPS, pionnier dans la détection d’exoplanètes. Notre flic serait heureux. Sous la coupole néanmoins, l’ambiance fleure bon les années 70. On se croirait un peu dans un film rétrofuturiste, ou steampunk.

 

Non loin, voici le résolument plus moderne NTT. Précurseur des technologies déployées au VLT, l’ambiance est ici plus contemporaine. Il y a deux foyers Nasmyth. Xavier reconnaît ça et là des pompes à vide. Sur un mur, un tableau blanc affiche une procédure manuscrite au feutre, en plusieurs langues. Il y a un schéma de câblage du type : “le fil vert sur le bouton rouge, le fil rouge sur le bouton vert” (“La 7e compagnie”. Les références qu’on peut, etc). Sage précaution ici : mieux vaut en effet ne pas se planter.

Le miroir de 3,58 m est à portée de main, nous nous en étonnons et frémissons en voyant des visiteurs tendre leurs téléphones juste au-dessus de sa surface pour le photographier. Avec bien plus de précautions et de respect, nous effleurons des doigts la tranche de l’oeil du cyclope.

 

Nous finissons avec le radiotélescope Suédois submillimétrique. L’oreille de géant termine la crête du dragon. Une structure puissante dresse fièrement le disque d’acier de 15 m. C’est une oeuvre d’ingénieur, campé sur des certitudes inébranlables et une foi constante en la culture du progrès technologique. Mais il est néanmoins réformé et tend désormais vers l’horizon son oreille unique et inutile, tel un antique pavillon de gramophone. Sic transit…

 

C’est vers l’océan Pacifique que nous redescendons plus tard. Sur la route, nous croisons des renards peu farouches et une famille de Guanacos, petits lamas du coin.

Ici on passe rapidement d’un milieu ultra-sec à un milieu ultra-humide : un brouillard côtier nous accueille, la Camanchaca.

Nous prenons nos quartiers dans un bungalow de bord de mer. Avant de m’écrouler sur une couchette je fais et défais ma valise, sorte de reformatage et de défragmentation rituels. Les choses retrouvent ordre, calme et sérénité sous l’oeil de Xavier qui se paye ma fiole. Au programme demain, visite de la réserve de Humboldt et autres promenades en mer.

 

Il fait froid la nuit au bord de l’océan. Un courant frais s’est infiltré jusque sur mes épaules par la fenêtre disjointe. J’ai dormi au vent du Pacifique.

Nous partons tôt voir les pingouins, lions de mer et autres mouettes. Les bêtes ne sont pas farouches et nous pouvons leur dire bonjour de très près. Même avec mon 50 mm qui tire forcément bien trop court, je réussis quelques jolis portraits. C’est dire. Xavier, avec son super zoom, traque la moindre moustache de Morse (ou apparenté). Bruno se bat pour sortir d’un mode de pose lente que lui impose son compact depuis le début du voyage. Il y a quelque chose d’héroïque dans ces efforts un peu vains, comme une lutte désespérée entre l’homme et la machine.

Des pics dentelés sont visibles sous l’eau. Un rocher affleure comme une bouche ouverte et semble pousser un cri vers le ciel. Un peu plus loin, les plages sont immenses.

 

Quant à moi j’ai oublié ma crème solaire et, malgré la journée grise, j’attrape un fort coup de soleil. C’était pourtant évident et pas très malin : maintenant j’ai la tronche qui pèle.

Heureusement j’aurai bientôt quinze nuits pour me soigner.

Car demain, après la visite des villes portuaires de La Serena et Coquimbo, nous rentrerons à la Canelilla.

Demain s’ouvre le théâtre des contemplations.

Demain, flambée d’étoiles.

 

[à suivre]


 

Modifié par Vesper
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  • Merci / Quelle qualité! 4
Posté

Très très beau récit, écrit avec beaucoup d'élégance et aussi d'humour. J'ai adoré le passage du f...Euh pardon du policier. Bon faut penser à lever le pied tout de même !!!😃

J'attends désormais la suite, le plus intéressant bien sûr : la contemplation 

Posté

Magnifique récit que je lirai à tête reposée

tu aurais dû le mettre dans CROA car ici c'est la spectro et photométrie

c'est vrai que le titre de la section peut évoquer des voyages lointains :)

jamais personne ne vient dans cette section, le dernier qui s'y est hasardé n'a jamais été retrouvé :o

cela serait dommage que ton récit passe inaperçu, j'ai demandé son déplacement dans CROA, il y sera plus lu

Posté
Le 23/02/2019 à 15:46, gerard33 a dit :

jamais personne ne vient dans cette section, le dernier qui s'y est hasardé n'a jamais été retrouvé

Comme le dirait mon petit-fils :

- Faut pas ézazérer, komême !

 

Et vivement une bonne flambée pour continuer ce texte riche et savoureux ! ;)

  • 5 semaines plus tard...
Posté

Bonjour vesper,

Quelle aisance, ton style d'écriture est captivant. De plus je suis les post Chili reboot de Xavier donc j'ai les images qui ressurgissent! C'est super les gars! Félicitations à toi, heu à vous, mais là... à toi quand même ! 

Lolo dobs le dévoreur de mondes 

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