Il y a des dates qui réveillent de très mauvais souvenirs.

[roger15]

Il y a des dates qui réveillent de très mauvais souvenirs.

 

 

Le samedi 16 octobre 2021 l'actuel Président de la République française a fait publier une déclaration indiquant (à l'occasion du soixantenaire du massacre de très nombreux Algériens le mardi 17 octobre 1961 au soir [voir :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_du_17_octobre_1961  ]) : “Cette tragédie fut longtemps tue, déniée ou occultée", indique la présidence, qui qualifie cette soirée du 17 octobre 1961 de "répression sanglante". "Les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République ” [voir :   https://www.france24.com/fr/france/20211016-17-octobre-1961-emmanuel-macron-va-reconnaître-une-vérité-incontestable  ].

L'attitude de la police parisienne lors des débuts de la Guerre d'Algérie reste dans mes souvenirs de jeune garçonnet à l'époque assez en accord avec ce qu'en pensait le “petit peuple” de la banlieue parisienne où j'habitais alors :

• j'avais d'abord été assez effrayé par ce qu'évoquaient devant moi les “grandes personnes” en plein mois d'août 1955 au sujet du massacre de très nombreux Français d'Algérie habitant Philippeville (aujourd'hui  Skikda ) le samedi 20 août 1955 (voir :   https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacres_d'août_1955_dans_le_Constantinois  ). Bien entendu on ne parlait pas alors de la terrible répression de l'armée française (entre 3 000 et 5 000 morts algériens).

L'an prochain, en 2022, Benjamin Stora (auteur d'un rapport sur la guerre d'Algérie remis à Emmanuel Macron ; voir :   https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/guerre-d-algerie-ce-quil-faut-retenir-du-rapport-stora-remis-aujourdhui-a-emmanuel-macron_4265199.html   ) sortira enfin des documents exhaustifs sur la guerre d'Algérie ; eh bien j'espère qu'une chaîne de la télévision française rediffusera alors un documentaire de Benjamin Stora que j'ai vu sur une chaîne de la télévision française (j'avoue hélas ne plus me souvenir de laquelle) dans les années quatre-vingt-dix sur le témoignage d'un médecin français (qui fort heureusement pour lui comprenait et parlait arabe) qui disait à peu près ceci : comme il faisait chaud ce matin j'avais ouvert ma fenêtre et avais baissé les stores. Tout à coup j'entends des hommes en armes hurler à l'intention de mes voisins “Il est où le toubib français ?” Et mes voisins (qui savaient très bien que j'étais chez moi) ont répondu en arabe “Il n'est pas chez lui aujourd'hui” ; cela m'a sauvé la vie car s'ils m'avaient dénoncé je ne serais pas là aujourd'hui pour vous parler. Le lendemain l'armée française a encerclé Philippeville et a conduit tous les Maghrébins dans le stade de la ville. Alors des dizaines de femmes sont venues me trouver en me disant : “Docteur, nous vous avons sauvé la vie hier en ne vous dénonçant pas, alors allez trouver les militaires qui ont conduit nos maris au stade pour sans doute leur faire un mauvais sort.” Je suis donc allé au stade et ai demandé au capitaine qui commandait les soldats français de libérer mes voisins, ce qu'il accepta. Et voyant cela des centaines d'autres Maghrébins m'ont dit : “Docteur, tu me connais, fais-moi libérer aussi”, et je n'ai hélas rien pu faire pour eux...

• j'avais ensuite été également assez effrayé par ce qu'évoquaient devant moi les “mères de famille dont le garçon était soldat en Algérie” au sujet de l'embuscade de Palestro le vendredi 18 mai 1956 qui vit 21 soldats français massacrés et même mutilés pour certains  (voir :   https://fr.wikipedia.org/wiki/Embuscade_de_Palestro  ). Une cousine de ma mère avait un de ses deux fils soldat en Algérie (le second devait y aller également trois ans plus tard) et correspondait régulièrement avec ma maman dans des lettres où elle racontait la réalité assez terrible des combats entre l'ALN (l'armée du FLN) et l'armée française lors des permissions de celui-ci car le courrier des soldats français était censuré s'ils osaient évoquer cela...

Donc pour moi l'Algérie était un lieu hostile pour les Français et leurs soldats.

• un jeudi après-midi d'octobre 1957 ma maman m'emmène (j'avais alors neuf ans) avec elle à Paris (elle aimait y aller car ça la changeait d'Antony qui lui rappelait trop la mort de mon pauvre papa un an et demi auparavant).  Nous sommes allés quelque part sur la rive droite où elle aimait aller regarder les boutiques de vêtements (toujours de couleur noire car à l'époque les veuves devaient ne s'habiller qu'en noir pour le restant de leur vie). Puis brusquement ma maman me dit : “Roger, je vais avoir la colique [aujourd'hui on dirait la diarrhée] , on va aller dans le premier café qu'on trouvera pour que je puisse satisfaire mes besoins”. Nous entrons donc dans le premier café sur notre chemin et ma mère commande un café pour elle et un jus de fruits pour moi. Nous nous asseyons au fond du café, non loin des toilettes. Et là, je constate que ce café, à part nous, n'était rempli que de clients Maghrébins qui m'avaient tous fait un large sourire quand nous sommes entrés car aucun français blanc n'y allait pour consommer. Une fois revenue des toilettes ma maman boit son café et moi mon jus de fruit. J'étais assis face au mur du fond et ne voyais donc pas l'entrée du café. Tout à coup je vois le visage de ma maman devenir blême !... Je me retourne alors vers l'entrée et vois une douzaine de flics (tous en imperméables, sauf un en uniforme de gardien de la paix avec son bâton blanc). Et l'un d'entre eux hurle : “Contrôle de police, vos papiers !...” [Eh bien, chaque fois que dans un film traitant de la seconde guerre mondiale je vois des soldats allemands ou des miliciens à la solde des allemands demander aux consommateurs d'un café leurs papiers je repense à cet épisode qui m'a traumatisé à tout jamais].
 

J'entendais très bien ce que disaient les flics aux consommateurs Maghrébins : “Tes papiers, vite !...”

J'avais repéré le “Chef” de ces policiers et le fixais en permanence avec mes yeux furibards !... Qu'allions-nous devenir ma maman et moi ? Allait-on nous mettre en prison, et pour quel crime sinon être entrés par hasard dans ce café fréquenté par des Maghrébins ? Il faut dire qu'alors j'avais des cheveux blonds et ne portais pas de lunettes ce qui augmentait la couleur bleue de mes yeux gris-bleus. Donc, pour un flic normal je n'étais pas l'archétype du jeune arabe. Ce “Chef” a fait un signe à son adjoint nous désignant. Ce dernier est alors venu vers nous en souriant et a dit à ma mère “Bonjour Madame, pourriez-vous me montrer vos papiers ?” Les autres consommateurs ont dû repérer qu'il ne l'a point tutoyée comme eux.  Il a examiné très rapidement la carte d'identité de ma maman et a dit : “Vous êtes parfaitement en règle, veuillez régler vos consommations, puis vous pourrez partir.” Ce que ma maman fit très rapidement. Une fois dehors, ma maman m'a dit : “Tu vois Roger, les agents de police s'étaient vraisemblablement renseignés et pensaient ne trouver que des Arabes dans ce café, notre présence les a très surpris, aussi ont-ils voulu que nous partions le plus rapidement possible pour continuer à vérifier les papiers des autres consommateurs, bien sûr sans être aussi polis qu'avec moi !...”.

Comme quoi c'était une très sale période que lors de cette détestable “guerre d'Algérie” qui ne disait alors même pas son nom...  

Roger le Cantalien.  

Modifié 18 octobre 2021 par roger15
Rectification d'une erreur de frappe. Désolé...

[Pyrene]

Bonjour Roger,

Je pense que ça a été une sale période pour beaucoup de gens. Au point qu'elle laisse encore beaucoup de traces actuellement, hélas.