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Salut tous,

 

Dans la série "Les histoires passionnantes de Tonton Arxiv ..."

 

Voici ...

 

TIC 400799224 est un objet variable vraiment étrange.

https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2022/01/la-surprenante-variabilite-dune-etoile.html

Le papier originel (ENG) :

https://doi.org/10.3847/1538-3881/ac2c81

 

 

****

Qui nous rappelle l'incroyable histoire de ...

 

"l'étoile de Tabby", KIC 8462852, ou la courbe de lumière qui ne voulait pas se laisser dompter.

https://fr.wikipedia.org/wiki/KIC_8462852

Le papier original (ENG) :

https://arxiv.org/abs/1509.03622

Et la suite :

https://arxiv.org/abs/1509.03622

 

light_curves.jpg.b97e9a4b5f944eabdfcbc11a3b0d0a43.jpg

 

 

****

 

Passionnante également, l'histoire de cette planète désintégrée qui transitait autour d'une naine blanche :

WD 1145+017 - EPIC 201563164

 

L'article originel (eng, encore)

https://arxiv.org/search/?query=disintegrating+minor+planet+transiting+a+white+dwarf&searchtype=all&source=

https://fr.wikipedia.org/wiki/WD_1145%2B017

 

****

Enfin, pour pousser plus loin, et peut-être donner l'envie d'observer, ce tableau

Liste d'étoiles qui s'assombrissent de façon inhabituelle

(C'est en français, mais le texte est un peu maigre)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d'étoiles_qui_s'assombrissent_de_façon_inhabituelle

 

 

 

****

Désolé pour tous ceux qui ne lisent pas l'anglais ; les chercheurs ont l'habitude de publier en anglais, et bien peu de ces papiers ont la chance d'atteindre le grand public et bénéficier d'une traduction. C'est bien triste, mais difficilement contournable.

 

 

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Merci @chrismlt pour les liens.

il y a une heure, chrismlt a dit :

Désolé pour tous ceux qui ne lisent pas l'anglais ; les chercheurs ont l'habitude de publier en anglais, et bien peu de ces papiers ont la chance d'atteindre le grand public et bénéficier d'une traduction. C'est bien triste, mais difficilement contournable.

Il suffit de faire "clic droit" et "traduire en français" ;)

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Le 10/01/2022 à 07:45, Patcubitus a dit :

Merci @chrismlt,

pour ces liens très intéressants.

N'y connaissant rien aux étoiles variables, c'est l'occasion de m'y mettre. ;)

 

Bon ciel

Pat

 

 

Salut Pat,

 

Dans le genre intéressant et plutôt mystérieux - j'entend, étoiles dont les mystères n'ont pas encore été entièrement élucidés ; on n'est pas sur de l'Agatha Christie 😉 - ,  il y a :

 

Epsilon Aurigae

Binaire à éclipses à longue période (environ 27 ans), régulièrement éclipsée par un gros nuage de débris.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Epsilon_Aurigae

https://www.google.fr/search?q=epsilon+aurigae&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwjjov6W1ab1AhVO14UKHVDtBc4Q_AUoAXoECAEQAw&biw=1352&bih=925&dpr=1

 

 

VVCephei

Période 20 ans.

https://en.everybodywiki.com/VV_Cephei

 

Bonne lecture,

C

 

 

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  • 11 mois plus tard...
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TIC 114936199

Une rare étoile quadruple à éclipses

 

Parmi la quantité phénoménale de courbes de lumières obtenues par TESS, il en est une qui étonne immédiatement de par son aspect, et la longueur du phénomène sous-jacent : 12 jours.

Découverte initialement en aout 2020 dans un lot de data obtenu en 2019, l'étoile a, depuis, été observée trois de plus par TESS. Si les trois derniers lots de data ne montrent somme toute que ce qui ressemble à une étoile binaire à éclipses (EB – Eclipsing Binary) très banale, de période p=3.3 jours, c'est bel et bien le premier batch de données qui interpelle.

 

 

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L'enquête est à lire dans le phénoménal papier ci-dessous, publié le 20/10/2022 (en anglais).

 

https://iopscience.iop.org/article/10.3847/1538-4357/ac8934

 

(Petit résumé pour ceux qui ne lisent pas Orwell dans le texte)

 

Il y est montré que TIC 114936199, étoile de magnitude G=12.9, est en réalité une étoile quadruple dont les membres évoluent dans un même plan orbital, très exactement vu par la tranche depuis le Système Solaire, et produisant à intervalles de très complexes séries d'éclipses mutuelles : une configuration extraordinairement rare.

 

R.A. (hh:mm:ss) 19:01:28.627 TIC

Decl. (dd:mm:ss) +24:55:33.86

(Petit Renard)

 

Mieux ! Des observations additionnelles en provenance de GAIA permettent de démontrer que le système est en réalité non pas quadruple, mais quintuple, ce qui ajoute encore à la complexité de la chose. Ce cinquième membre du système, éloigné de quelque 120 UA, sur une orbite décrite en 900 ans ne produisant toutefois pas d'éclipses susceptibles d'être observées.

 

La configuration du système interne, à quatre étoiles, est telle que l'on observe facilement les éclipses mutuelles de Aa et Ab, de période p=3.30889 jours, d'une durée d'environ deux heures, pour une profondeur égale à environ 2%.

 

 

 

systeme.jpg.655afcda710da7a84d03d4b258c90b85.jpg

 

 

system.jpg.dd8183b7953f6a1442e72c24d5096cde.jpg

 

 

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Les éclipses mutuelles des corps A et B, et A/B et C sont éminemment plus rares, en revanche, et il est démontré qu'au cours du 21ieme siècle, elles n'ont lieu qu'à sept reprises, en raison, d'une part, de la configuration de ce système (mouvements de précession), et d'autre part, de la relative longueur de l'orbite A/B-C : environ 2100 jours.

 

Ainsi, les « super éclipses » , celles qui ont une durée de douze jours, dont l'une d'elle a été enregistrée tout à fait par hasard, mais de façon incroyablement opportune par TESS, ne sont observables que de façon marginale. L'une d'entre-elles, pour les plus récentes, ayant eu lieu très probablement en 2013 (non observée), et une autre en 2019 (vue par TESS). La suivante pouvant se produire en 2025, avant qu'une très longue période de repos ne soit imposée par la géométrie du système (plus rien avant l'an 2071).

 

 

 

1752322192_supereclipses.jpg.e1150961de26fa6a1d61655fa7dc5e4f.jpg

 

 

Une spectroscopie au long cours sera mise en œuvre dans les mois à venir afin de circonscrire au mieux les orbites de chacune des étoiles Aa Ab B et C, ce qui devrait permettre de donner plus de réalité à la super-éclipse de 2025.

On parle d'un éventuel caractère ellipsoïde du système.

 

Et on notera aussi de possibles effets de "grazing" - occultations partielles, ou appulses.

Voire de possibles effets d'occultation par les atmosphères des étoiles elles-mêmes [Interprêtation personnelles : ce dernier point n'étant pas donné de façon explicite dans le papier mais marginalement suggéré - voir section "detrending" de LC de Tess]

 

 

 

 

 

Affaire à suivre, et à observer !

Je la colle à mon agenda .

😋

Christophe

 

 

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Le 14/12/2022 à 15:59, polorider a dit :

Il suffit de faire "clic droit" et "traduire en français" ;)

 

Dans quel environnement Polo ?

Je suis sous Win/Moz, et je n'ai pas ça avec un clic Dt.

Merci.

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Salut les astrams,

 

Petit quizz !

 

J'imagine que tout le monde se fait une idée à peu près claire de ce à quoi correspond ceci :

☺️

 

 

Image2.jpg.edda99532a2122c4dbea8f028a8e9158.jpg

 

 

C'est un ....

Ouiouioui.

 

Bien bien bien !

 

Mais alors ... ça ?

Kessequecé ?

 

Des idées ?

Un (gros) paquet de caramels mous à celui qui trouve 😉

 

C

 

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Bonjour,

Que mesure l'ordonnée ? Un flux lumineux ?

Le Q me fait penser à Quasar. Donc je dirais bien un sursaut lié à un Quasar.

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Il y a 4 heures, Denis Udrea a dit :

Que mesure l'ordonnée ? Un flux lumineux ?

Le Q me fait penser à Quasar. Donc je dirais bien un sursaut lié à un Quasar.

 

Salut Denis, salut tous,

 

En ordonnée, on a un flux lumineux, effectivement. Il s'agit donc bien d'une "sorte" de  sursaut.

Le Q visible dans les graphs n'est qu'un élément de décor, si l'on veut. C'est issu d'un papier de recherche, et en l'occurrence il s'agit que Q comme Quater, une réference temporelle que les scientifiques américains utilisent parfois. Rien à voir avec le phénomène observé ici.

 

On n'est pas à l'échelle du quasar, mais à celle de l'étoile.

 

Un autre document. Il s'agit du phénomène observé en Q9 et Q13, déjà montré dans les graphs précédents, mais les datas ont été phasées.

 

 

 

Image4.jpg.49d470584f04536d6f95e3ca57f68c71.jpg

 

 

A vos cogitations 😉

Christophe

 

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Il y a 1 heure, Michel Boissel a dit :

Effet de microlentille gravitationnelle dû à une exoplanète autour de son étoile ?

La courte durée et la faible augmentation de lumière me font penser à ça.

 

 

Ah ! intéressant Michel, très intéressant ! Il y a un peu de ça, quelque part, mais on n'y est pas encore.

 

Bon, un transit d'exoplanète devant son étoile, j'en ai donné un en exemple en haut du quizz. Cela donne un creux dans la courbe. Tandis que la microlentille gravitationnelle, ça nous donne une bosse, ça c'est très bien vu. Cependant, la microlentille G, on la voit venir de loin. De très loin. On voit parfois monter la courbe sur des dizaines de jours, et même, parfois, ça se compte en centaines de jours, avec un accroissement de lumière qui tutoie les 5 à 8 magnitudes, parfois 10 ou 12 magnitudes, quand c'est bien central. La courbe est très en aiguille.

Ce n'est pas le cas ici. Les graphs Q9 et Q13 sont tout à fait plats.

 

 

Voici une courbe OGLE typique de lentille gravitationnelle 'simple', et en dessous, une courbe sur laquelle apparaît un transit d'exoplanète.

(bon, en même temps ça peut prendre d'autres formes que ça, en M, en W etc)

 

 

microlensing1.jpg.d1933a9db1e67f3fa4cb7a991ec8caa4.jpg

 

 

 

microlensing2.jpg.0ab7af417fef70b91bb5988c75791c2d.jpg

 

 

 

Je repasse ci-dessous la courbe phasée, sur laquelle on voit que le phénomène 'quizz' dure quelque chose comme 0.8 à 0.9 jour, ce qui permet de se faire une idée plus précise des échelles, distances, et masses en jeu (à comparer avec la durée classique d'un transit d'exoplanète, par exemple).

 

Alors, pour préciser un peu, je dois bien dire que je ne connaissais pas ce phénomène. Je suis tombé tout à fait par hasard sur un papier récent, et j'ai tiré sur le fil, la pelote s'est ensuite dévidée comme qui dirait toute seule.  😄

 

Il s'agit donc d'un phénomène qui est supputé depuis longtemps (plusieurs décennies), mais qui n'a été observé pour la première fois qu'en 2014. Les différents papiers que j'ai lu, et la doc qu'on trouve là-dessus tendent à penser que c'est très rare et difficile à mettre en évidence. Il semble que la "chose" n'ai été observée qu'à 8 reprises. Huit cas au total.

 

Certains de ces phénomènes doivent être accessibles à l'amateur bien déterminé, j'imagine, un peu de la même manière qu'observer un transit d'exoplanète n'ai pas aisé, mais faisable.

 

 

Des idées ?

 

 

 

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il y a 59 minutes, chrismlt a dit :

Ah ! intéressant Michel, très intéressant ! Il y a un peu de ça, quelque part, mais on n'y est pas encore.

 

Trouvé ! Effectivement, il y avait de l'idée dans mon raisonnement. C'est effectivement très intéressant.

Je laisse les autres éventuels candidats chercher.

PS : je t'envoie en MP mon adresse pour le (gros) paquet de caramels mous 😏 ?

 

Les publications sur ce sujet sont vraiment intéressantes. Merci pour la découverte !

 

Modifié par Michel Boissel
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Bon au vu de la réponse de Michel je tente autre chose :

Une "auto" lentille gravitationnelle au sein d'un système stellaire multiple. Avec un objet très dense passant devant la principale. Genre naine blanche ?

Merci pour ce teasing.

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Je m'avance un peu dans l'inconnu...

 

Vu la forme de la courbe il sagit d'un objet sphérique mais qui laisse passer plus de lumiere...

 

Un trou dans la sphere de dyson autour de son étoile?

 

Le trou causé par la presence d'une exoplanète en formation dans un disque de poussieres assez dense et homogène?

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Salut les astram,

 

C'est bien vu, les réponses 😉

Bonne réponse collégiale !

 

Charpy, une sphère de Dyson ? Why not, après tout. Un exemple célèbre où l'hypothèse avait été avancée, de façon plus ou moins sérieuse, est l'étoile de Tabby, dont je causais dans le tout premier post de cette série.

https://arxiv.org/pdf/1609.03505.pdf

https://arxiv.org/pdf/1606.08992.pdf

 

Toutefois, c'est bien l'hypothèse avancée par Denis (et Michel ? Bénéfice du doute hahaha ) qui est privilégiée pour l'instant.

 

Je poste un cro sur le sujet dans un moment.

 

Double tournée de caramels mous pour tout le monde !

 

 

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KIC 12254688 et le mystère du Self-Lensing Pulse

 

(Illustrations et graphs : NASA, ou tirés des papiers cités)

 

 

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Et donc, en ce début d'année, aux cieux fortement arrosés, il faut trouver à s'occuper. Quoi de plus gratifiant, dès lors, que d'aller faire un petit tour du côté de chez Tonton Arxiv, histoire de voir s'il n'y aurait pas un peu de nouveauté à se mettre sous la dent. Tonton Arxiv, dont on sait qu'il est le tenancier de ce petit troquet à l'ambiance feutrée où pas mal de scientifiques over the world aiment à venir causer boutique à l'occasion.

 

Très vite, un papier attire notre attention, dans la section Astro-ph.SR, une arrière-salle un peu tranquille, dévolue à l'astrophysique solaire et stellaire, loin de l'agitation coutumière aux grands salons cosmologiques.

 

The First TESS Self-Lensing Pulses: Revisiting KIC 12254688, par Nicholas M. Sorabella et al, sousmis le 03 01 2024.

https://arxiv.org/abs/2401.01477

 

Rien de véritablement révolutionnaire en soi : des courbes de lumières tirées des bases de données du satellite TESS, l'une de nos marottes du moment. Encore des courbes de lumières. Toujours des courbes de lumière. Comme si la connaissance pouvait perfuser au travers des colonnes de chiffres, dans un tableau Excel, ou assimilé.

 

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Même s'il n'y a pas loin d'un petit exploit dans la performance des auteurs de ce papier, qui ont su extraire d'infiniment subtiles informations de presque rien (graphs ci-dessus), ce n'est pas grand chose que tout ceci, il faut en convenir. Deux petits blips lumineux à peine discernables, dans un fatras de points aléatoirement disposés en nuages. De tous petits rehauts, équivalents à un millième du flux lumineux disponible, autant dire presque rien. Mais TESS est le satellite spécialiste de la chose, des courbes de lumière difficiles et des transits d'exoplanètes qu'il faut savoir tirer du presque néant, alors pourquoi pas, après tout ? D'autant que l'objet KIC 12254688, une binaire constituée d'une étoile de type spectral F2 associée à une naine blanche, a déjà été observé par le passé – et perdu de vue depuis - par Kepler, le précurseur en la matière, l'autre fameux télescope spatial, découvreur de planètes extra solaires, arrivé en fin de mission en octobre 2018.

 

Car oui, ce n'est que cela en définitive, le papier de Sorabella et al, et cela aurait pu s'intituler : on a retrouvé KIC 12254688 !

 

On passera sur les détails (l'histoire est passionnante malgré tout, qui peut se consommer en tant que telle), car là n'est pas le principal, après tout. Non, ce qui achoppe, c'est plutôt ça : mais qu'est-ce donc que ces petits blips lumineux qui ont été observés à l'aide de Kepler et de TESS, dans la courbe de KIC 12254688 ? Et à quoi correspondent exactement ces self-lensing pulses dont il est question dans le titre du papier, dont, pour être tout à fait honnête, personne, ou si peu, n'a jamais entendu parler. Les creux, les trous, dans les courbes de lumière, on connait. Mais les bosses ?

 

Petit retour forcé par le comptoir de chez Onc' Arxiv, histoire de voir ce qui pourrait bien tomber dans notre escarcelle, en tapant le mot clé « self-lensing ».

 

Très peu de choses, en fait : trente cinq références seulement, un chiffre ridicule, comparé à d'autres (essayez « exoplanet », ou « galaxy »), dont assez peu se rapportent réellement à notre sujet, et dont les deux plus anciennes correspondent à de courts articles théoriques, en date d'août et septembre 1994, signés Andrew Gould, à l'époque publiés dans l'Astrophysical Journal. Eux-mêmes extrapolations de travaux précédents de Alcock et Gould, notamment, publiés entre 1989 et 1994, et basés sur une hypothèse publiée par André Maeder, Université de Genève, en 1973. Autant dire que le sujet n'est pas particulièrement neuf.

 

On trouve ensuite, dans la liste retournée par Onc'Arxiv, ce papier signé Hajime Kawahara et al, publié en janvier 2018, qui est cité dans la biblio du papier de Sorabella et al, et ayant servi de base aux études des courbes de lumière de KIC 12254688 au travers de TESS (2024) :

 

Discovery of three self-lensing binaries from Kepler

https://arxiv.org/abs/1801.07874

 

dont l'abstract dit tout ou presque :

 

We report the discovery of three edge-on binaries with white dwarf companions that gravitationally magnify (instead of eclipsing) the light of their stellar primaries, as revealed by a systematic search for pulses with long periods in the Kepler photometry. We jointly model the self-lensing light curves and radial-velocity orbits to derive the white dwarf masses, all of which are close to 0.6 Solar masses. The orbital periods are long, ranging from 419 to 728 days, and the eccentricities are low, all less than 0.2. ./...

 

Traduction auto (un peu arrangée en presque vrai français qui se lit) :

 

Nous rapportons la découverte de trois binaires se présentant de profil, avec des compagnes naines blanches qui amplifient gravitationnellement (au lieu d'éclipser) la lumière de leurs étoiles primaires, comme le révèle une recherche systématique de pulses à longues périodes au travers des courbes photométriques de Kepler. Nous modélisons conjointement les courbes de lumière à self-lensing et les orbites obtenues grâce à des mesures de vitesses radiale, pour en dériver les masses des naines blanches, qui sont toutes proches de 0,6 masses solaires. Les périodes orbitales sont longues, allant de 419 à 728 jours, et les excentricités faibles, toutes inférieures à 0,2. ./...

 

 

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Un autre papier signé Masuda, Kawahara et al, encore, en date d'août 2019, signale l'identification formelle en tant que self-lensing d'une quatrième étoile, déjà citée dans le papier précédent, mais pour laquelle il était demeuré un certain nombre d'incertitudes :

 

Self-lensing Discovery of a 0.2M⊙ White Dwarf in an Unusually Wide Orbit Around a Sun-like Star

https://arxiv.org/abs/1907.07656

 

Ce qui porte à cinq, en tout et pour tout, le nombre de systèmes stellaires à self-lensing connus, contre huit annoncés dans un post précédent (il y avait des faux positifs et des redondances dans les listes dans les papiers de Kawahara et al). Ceci en comptant le tout premier d'entre-eux, observé et publié par Ethan Kruse et Eric Agol en 2014 :

 

KOI-3278: A Self-Lensing Binary Star System

https://arxiv.org/abs/1404.4379

 

Alors, nous y voilà. KOI-3278. L'origine de tout.

KOI, mis pour « Kepler Object of Interest ».

Le satellite Kepler, encore.

 

Et qu'avons-nous là, au final, après lecture de cet autre papier ? Un fascinant système, tiré de nombreuses pages de théorie, extirpé d'obscures équations.

 

Les études montrent, compte tenu des connaissances actuelles de l'évolution stellaire, qu'une demie douzaine de systèmes de type « self-lensing » doit être trouvée dans le champ visé par Kepler (115 degrés carrés) en définitive, et c'est finalement ce qu'on a trouvé.

 

KOI-3278. Un objet exotique, considéré pendant un temps comme pouvant abriter une ou plusieurs planètes, d'où sa présence sur la liste of interest, avant qu'il ne soit étudié plus en détail. Un objet qui présente la particularité de montrer une courbe de lumière plate exhibant alternativement, tous les 42 jours, un creux très léger mais bien marqué, pouvant faire penser à un passage de planète, suivi par un petit pic de luminosité non moins discret mais tout aussi réel, identique à ceux brandis par KIC 12254688, et inexplicable celui-ci.

Un mystère d'illogisme, à moins de faire appel aux théories d'Einstein, et de constater, une fois de plus, que ce qui avait été prédit de longue date peut être observé.

 

 

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KOI-32-78a.jpg.fcafced0d48acd40e8aa4c028edc73d9.jpg

 

 

Ainsi, dans le cas de KOI-3278, une naine blanche (0.6 M⊙) semble orbiter circulairement autour d'une étoile de type G (1.04s M⊙, une étoile ressemblant fortement au Soleil, donc), qui disparaît derrière l'étoile primaire en créant un petit creux dans la courbe de luminosité, un creux de nature identique à ceux que l'on observe dans les cas les plus classiques de binaires à éclipses, et puis qui « ploie » la lumière de la primaire et l'amplifie, lorsqu'elle vient à transiter en devant de sa surface, en créant une petite bosse dans la courbe, une sorte de minuscule flash ne se produisant pas chez les binaires à éclipses normales. Creux et bosses représentant environ un millième de la luminosité totale du système.

 

 

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L'amplification de la lumière par la naine blanche est due à la très forte densité de la naine, étoile en fin de vie, de masse relativement importante, mais de faible diamètre. Une demie masse solaire dans un volume de taille de la Terre.

 

Le système KIC 12254688 est assez similaire : une naine blanche (0.56 M⊙) orbite en un peu plus de 418 jours autour d'une étoile plus massive (1.37 M⊙), de façon un peu plus excentrique, ce qui ne permet pas d'observer les creux. Reste les flashs.

 

Les trois autres systèmes observés par Kawahara et al présentent les caractéristiques suivantes (tableau).

 

 

KOI-32-78b.jpg.cbc8c971e1328bf6cffd1728f8f9ed97.jpg

 

 

***

 

 

Carte_1.jpg.78d21ef24f1d7f4e316297a79eaf27aa.jpg

 

KIC 12254688 - Position 2000 : 19h17 29.72 +50d 56 03.63

 

 

 

Savoir si de si faibles variations de lumière peuvent être observées depuis le sol (par des amateurs ?) est sujet à débat, à minima. Et la balance pencherait même assez largement vers le non. Quoi qu'il en soit, l'observation de transits d'exoplanètes toujours plus pointus d'année en année montre que les amateurs ne sont dépourvus ni de ressources, ni d'inventivité ou de courage, même s'il s'en faut sans doute d'un ordre de grandeur pour que ce soit faisable à l'heure actuelle. Peut-être avec des instruments associatifs de grand diamètre, ou en ayant accès à un miroir professionnel ?

 

Voici déjà, en attendant, de quoi contenter leur éventuelle curiosité. KIC 12254688 est la moins inabordable de ces self-lensing stars, dont on doit pouvoir retrouver d'autres traces dans le « matériel » TESS, dans de futurs « secteurs », ce qui représenterait déjà un joli challenge, si l'on en juge de par le papier qui a initialement attiré notre attention sur Arxiv. Il faut dire qu'on est quelque part en bout de logique s'agissant de la stratégie déployée sur TESS. Les instruments n'ont qu'un diamètre de 10 cm (certes à F1.4), contre 95 cm sur Kepler ; quant à l'échantillonnage, on est à 21 '' par pixel sur TESS, contre 4'' sur Kepler, ce qui n'est pas aussi discriminant, dans les secteurs particulièrement fréquentés de la Voie Lactée. Il y a contamination par d'autres étoiles proches des cibles (et pas que). D'où les difficultés rencontrées par Sorabella et al. Les seules étoiles brillantes étaient initialement considérées comme atteignables par TESS (magnitude inférieure à 13). On descend désormais à la magnitude 21 sur certaines zones, mais le SN n'est pas au même niveau, évidemment.

 

SelfLensingEphemeris.jpg.87297602a09e97ef58375abdc1f26c0e.jpg

 

 

 

Il faudra rechercher des flashs d'une durée proche d'un jour, si l'on veut se faire plaisir, ayant une intensité comprise entre 1 et 2.5 millièmes de flux dans la plupart des cas. S'agissant de KOI-3278, la  durée des phénomènes sera proche de 0.3 jour, avec une intensité à la hausse ou à la baisse proche de 1.2 millièmes de flux.

 

Cela ressemble malgré tout à un joli challenge.

 

En attendant, quant à traîner pour un moment encore au bar, du côté de chez Tonton Arxiv, bière pour tout le monde !

 

Bons cieux,

C

 

Post-Scriptum :

Une recherche systématique de self-lensing stars, sur le ciel en son entier, est actuellement menée au travers des data obtenues par le Zwicky Transient Facility (ZTF). On est là sur une optique de 122 cm de diamètre - il s'agit de l'ancien grand Schmidt de 48'' du Mont Palomar, en fait, réhabilité et upgradé en 2017 pour accueillir des caméras modernes. Les poses sont très courtes, 30 secondes, échantillonnées à 1'' par pixel, qui permettent de descendre au-delà de la magnitude 20. Les données de 2018 ont permis d'identifier 19 candidats qualifiés de « plausibles ».

 

Mais en l'occurrence, tout est contenu dans ce que l'on entend par « plausible ».

 

A y regarder de plus près :

  1. on est très au-delà du millième de flux en sus, bien au-delà, trop au-delà.

  2. la forme des flashs est plus que douteuse

  3. il est pour l'instant impossible de trouver une périodicité quelconque pour aucun des caandidats détectés.

C'est tout le problème de l'identification des faux positifs. Kawahara et al  insistent, notamment, sur la forme des bosses qui doivent présenter une montée et une descente très abrupte, et un plateau.

Les auteurs du papier (Allison Crossland et al) supputent d'éventuelles étoiles éruptives.

 

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Kawahara et al, ci-dessus.

Crossland et al, en dessous.

 

 

 

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Cette première étude/tentative est néanmoins considérée comme une étape nécessaire vers quelque chose de plus abouti. On veut bien le croire. Il ne fait aucun doute qu'en cherchant, on finit toujours par trouver, même si cela doit prendre du temps.

 

A Pilot Search for Gravitational Self-Lensing Binaries with the Zwicky Transient Facility

Allison Crossland et al, nov 2023

https://arxiv.org/abs/2311.17862

 

Affaire à suivre.

 

A nos optiques 😉

 

 

 

 

 

 

Simulation du self-lensing pulse de KOI-3278.

(Eric Agol)

 

 

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T CORONAE BOREALIS, 1866, 1946, 2024 ?

 

Etoile extraordinaire.

 

Une version plus complète de ce texte est disponible à cette adresse, qui comporte un épilogue et de nombreuses illustrations supplémentaires :

https://millimagjournal.wordpress.com/t-coronae-borealis/

 

 

 

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Dans toutes les bonnes histoires, il y a un personnage au centre de l'intrigue : une héroïne au grand coeur, un individu au front haut, baigné dans la lumière dorée d'un soleil couchant. Ou dans celle non moins photogénique d'une chandelle vacillant dans l'air un peu instable d'un cabinet de travail encombré de livres, tandis que les pages de quelque atlas sont tournées frénétiquement. Une figure de légende.

Admettons.

 

12 mai 1866. Hameau de Milltown, sept miles au nord de Tuam, Comté de Galway.

 

Un homme de grande taille, modeste propriétaire terrien, magistrat et fin lettré, musicien, linguiste et mathématicien à ses heures, géologue, observateur acharné de la nature et passionné de la chose scientifique en général, sorte de génie universel aux yeux de ses voisins et contemporains, maigrelet - car mal nourri, mais fier et droit, autant qu'il est possible, dans cette Irlande du milieu du 19ième siècle sous domination anglaise, affaiblie par les famines successives et les exodes massifs qui en ont résulté. Des temps difficiles pendant lesquels, comme des millions d'autres de ses compatriotes, l'homme aura fui son pays natal pour se réfugier à Berlin, où il n'aura finalement pas précisément perdu son temps, puisque cet exil forcé et ces années estudiantines passées en Prusse lui auront permis de conforter une insatiable curiosité, de se forger une solide culture scientifique, et de rencontrer certains des esprits les plus brillants de son temps – Johann Encke et Alexander von Humbold, notamment.

 

La journée a été venteuse et un ciel sombre aura empêché le soleil de se montrer. Il aura plu à torrent pendant toute la matinée, et dans l'après-midi encore, très probablement. Aux coups de boutoir venus de l'océan succèdent les coups de boutoirs venus de l'océan. C'est ainsi par ici ; les vies et les âmes sont mouillées.

 

L'homme s'est rendu en ville pour affaires. Pour rendre quelque avis, peut-être, dans une affaire dans laquelle son expertise aura été sollicitée. Ou pour rencontrer des amis, passer la soirée autour d'une pinte de cidre, discourir aimablement, puis jouer aux fléchettes chez Seán ou Kerry.

 

Appelons-le John Birmingham. Il a cinquante ans, désormais, et il n'est plus aussi jeune que cela. Mais qu'importe ! C'est un passionné. L'ingénierie, la géologie, on l'a déjà dit, et le ciel, les étoiles, surtout, ce grand nocturne pas tout à fait noir qu'il aime à scruter avec son telescope, chaque fois que c'est possible, un instrument humble mais de qualité suffisante. Une petite lunette qui grossit 25 fois. Le mouvement des planètes, les comètes de passage – qui ne se souvient de l'extraordinaire comète de Donati de 1858 ?, et ces astres à la brillance variable, également, dont on discute désormais de plus en plus souvent dans les gazettes scientifiques et les bulletins consacrés à l'astronomie que l'homme se procure à grands frais.

S'il avait pu penser que la voûte céleste se serait ouverte ce soir, il serait rentré plus tôt, au lieu de noyer sa soirée dans la stout. Mais non ; les cieux de l'ouest irlandais ne sont pas de ceux que l'on peut décrypter facilement, et rien n'aura pu lui laisser à penser, dans l'après-midi, qu'il aurait pu sortir son telescope le soir même, tant le ciel était bas encore ; ainsi va la vie. Alors il sera resté plus que de raison en bonne compagnie, jusqu'au moment où il sera sorti, et aura constaté que le ciel s'est défait de l'essentiel de ses nuées.

 

 

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À la hâte, Birmingham se dirige vers Millbrook House, sa demeure. Un demi mile à parcourir en sortant du village, en direction du nord. Un gros quart d'heure. La température a sensiblement fraîchi tandis que les vents tournaient au nord. L'air est demeuré humide, toutefois, et les arbres dégouttent. Sur l'horizon nord-ouest, les derniers feux du couchant n'en finissent pas de s'étioler. L'été approche. Il est plus de 11.30 pm. Le temps d'arriver au cottage, il ne sera pas loin de minuit. Une nuit d'observation entière se profile.

 

Réjoui par l'aimable perspective, un sourire aux lèvres, l'homme se frotte les mains, autant pour marquer son agrément que pour se réchauffer un peu. De la buée sort de sa bouche, comme en plein hiver, ce qui l'amuse beaucoup. Quelle nuit ce sera ! La nouvelle Lune est pour demain soir, aussi la nuit promet-elle d'être longue et totalement noire. Magnitude 7 à l'oeil, nu facilement, pour une pupille aussi perçante que la sienne. La Polaire droit devant lui. La Petite Ourse très haute dans le ciel. Au zénith, les Chiens de Chasse, la constellation au sein de laquelle William Parsons, troisième comte de Rosse, à transformé une très faible lueur floue découverte par Messier au siècle précédent, et connue désormais sous le matricule M51, en énorme tourbillon de lumière, donnant ainsi un sens nouveau à la définition du mot « nébuleuse », avec son gigantesque télescope de six pieds de diamètre, le très fameux Léviathan, véritable monstre des âges modernes, au miroir de bronze pesant rien moins que trois tonnes, à ce que l'on murmure dans les journaux, le plus grand télescope de Newton du monde. Parsons, qui a installé son observatoire à Birr Castle, dans le comté d'Offaly, à même pas 65 miles d'ici. Le plus gros télescope du monde ! En Irlande ! Au nez et à la barbe des englishs de Greenwich, Rule Britannia !,qui prétendent édicter leurs lois jusques ici-bas, et dans les cieux.

 

S'il en avait le culot, Birmingham, il sait bien ce qu'il ferait : il irait payer une visite à Lord Rosse un de ces prochains jours, sous un prétexte ou sous un autre, une quelconque ordonnance à transmettre à My Lord, une signature à quémander à l'un de ses secrétaires, dans une affaire de transmission de terres, un héritage dans ce comté-ci ou dans celui d'à côté. Il trouverait bien un prétexte. Une gageure. Trois jours à cheval, pas de tramway, évidemment. Sauf à se rendre d'abord à Galway, puis à attraper une voiture ensuite pour filer vers Dublin, dans l'est. Mais pour aller où ensuite ? Aucune ligne vers Parsonstown, bien évidemment. Le bout du monde terrestre, et le centre du monde céleste tout à la fois. Alors à cheval.

 

Et que lui glisserait-il, à My Lord Rosse, dans la conversation ? Que les étoiles, il les connaît mieux que le fond de sa poche, lui aussi. Et alors, entre gens passionnés, on se comprendrait. On s'épaulerait, on s'inviterait. Il m'inviterait. Lord Rosse, m'inviterait, histoire de tâter un peu de M51 au bout du Léviathan. Lui, John Birmingham, le tout petit landlord de Milltown, comté de Galway. Au bout du Léviathan. Avec Lord Rosse.

 

 

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Tiens, oui, pourquoi pas ? Sa première observation de la nuit, aussitôt arrivé à Millbrook Estate : braquer le petit réfracteur vers le zénith, afin d'observer encore la formidable nébuleuse de Parsons, qui n'est qu'une tache informe et difficile dans sa lunette. Il faudra penser à rehausser le trépied, ce qui nécessitera un peu de temps, bien sûr, et rendra l'instrument un peu instable, parce que braquer ainsi l'oculaire vers le zénith, ce n'est guère aisé. L'oculaire serait mal placé, et ses cervicales, qui sont bien mal en point depuis quelques années déjà ne le lui pardonneraient guère. Mais qu'importe !

Hâter le pas.

 

Un renard attire son attention quelque part sur la gauche, qui vient à traverser la route un instant plus tard, presque à passer devant ses bottes. John Birmingham le suit des yeux, qui coupe maintenant à travers pâtures, et enjambe murets de pierres après murets de pierre, avec une agilité sans borne, se déplaçant de l'ouest vers l'est, puis qui se faufile vers le sud, afin de traverser au plus court une haie, allez savoir, au travers d'un trou dont il a seul le secret.

 

Il fait nuit noire désormais, mais Birmingham y voit presque comme en plein jour. Comme arrêté dans son élan par un impérieux émerveillement naturaliste, suivant goupil des yeux, l'homme en est venu à porter ses regards vers le sud, puis à scruter cet azimut qu'il avait dans le dos jusqu'alors. Saturne est presque au méridien, assez bas, à vingt-cinq degrés de hauteur tout au plus. L'image des anneaux, minuscules, mais comme ciselée par un joaillier téméraire, qui le trouble à chaque fois, mieux que jolie femme dans ses plus beaux atours, serait aimable, mais par trop tremblante. Trop de vents encore. Trop basse. Il ne perdra pas son temps à la détailler cette nuit. Il y a plus intéressant. Un peu plus haut, le Bouvier. Et tout à côté, La Couronne Boréale, et puis Hercule. Ou ce qu'il prend pour la Couronne Boréale, initialement. Car. Tiens, non. Ce n'est pas la Couronne. Elle n'a pas cette forme, d'habitude. Il doit se tromper. Ce n'est pas la Couronne.

 

Et pourtant si, c'est bien la Couronne. Mais quelque chose. Quelque chose qui ne va pas. Il y a quelque chose.

Birmingham s'est figé, haletant déjà, bien plus que de raison, totalement figé, scrutant encore, plus attentivement cette fois. Le cœur battant la chamade. La Couronne Boréale a changé d'aspect ! Une étoile nouvelle s'est invitée à côté d'Epsilon, dont elle surpasse largement la brillance, sur la gauche de la constellation. Il n'y a pas à s'y tromper. Une étoile brillante. Très brillante. Très. Dont la grandeur atteint celle d'Alpha Coronae Borealis, tout bien considéré. Magnitude deux et demie au moins. Peut-être même magnitude deux. De mémoire, il ne saurait l'affirmer définitivement ; il ne connaît pas la grandeur de toutes les étoiles du ciel par coeur, mais il sait parfaitement en estimer une en cas de nécessité. Et il est certain que cette étoile nouvelle égale au moins, en grandeur, l'étoile Alpha. L'astronomie, c'est toute sa vie. Une seconde nature. Pensez donc. Une nouvelle étoile dans la Couronne Boréale. Une étoile nouvelle. Pas une planète. Cela ne fait aucun doute. Il n'y a aucune planète dans ce coin-là du ciel. Quelle affaire ! Il vérifiera ses cartes aussitôt rentré à la maison. Il feuillettera ses livres et ses éphémérides. Et ce sera tant pis pour la nébuleuse de Lord Rosse. Tant pis.

Se hâter. Se hâter. Vite. Se hâter, et braquer le telescope vers l'astre nouveau.

 

 

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Une découverte majeure. John Birmingham a vérifié dans ses livres, il n'en était nul besoin, parce qu'il le savait déjà, parce que tout astronome digne de ce nom, fût-il simple amateur, le sait : la dernière étoile nouvelle apparue dans le ciel remonte à 1604, l'année où Kepler, pour tout dire, a observé et étudié, avec subtilité, puissance, détails et irréfutabilité, un astre similaire apparu soudainement dans la constellation d'Ophiuchus. Un pavé dans la mare, alors, qui avait jeté le discrédit sur les partisans de l'aristotélisme, en contribuant à nier en bloc la structure immuable du Monde, et celle des Cieux, au grand dam de l'Église, laquelle s'était empressée alors d'accabler Galilée, faute de pouvoir régler son compte à Kepler, sur le simple fait que ce qu'il avait annoncé avoir observé, lui, l'Italien de Florence, dans son ridicule trompe-l'oeil de grossissement 5x, une lunette jouet pour enfants capricieux, personne d'autre que lui ne pouvait le voir, et surtout pas le menu peuple des croyants. Tandis que la nova stella de Kepler, comment la nier ? Une découverte majeure.

 

Alors, elle est là devant John Birmingham, cette étoile nouvelle, cette nova stella, et dans l'oculaire de son petit réfracteur. D'une brillance supérieure à celle de l'étoile principale de la constellation dans laquelle elle ose à se montrer, soit quelque chose comme la deuxième grandeur, Alpha de la Couronne brillant à la magnitude 2.2. Parfaitement immobile dans les cieux, même observée avec un grossissement de 25 fois, et blanche, pour ainsi dire, avec une très légère nuance de bleu. Et puis stable, également, en éclat, aucune variation de brillance ni flashs d'aucune sorte n'étant détectés pendant les deux heures pendant lesquelles l'homme peut observer.

 

Mais le ciel irlandais, hélas, est un ami constant sur lequel on peut aisément compter, surtout si l'on est épris de la chose nuageuse, ce à quoi l'astronome amateur n'est guère intéressé. Rapidement, les vents reviennent à l'ouest, poussant des vapeurs océaniques jusque dans l'intérieur des terres, tandis que les cieux se referment sur une observation qui laisse Birmingham aussi enthousiaste que sidéré.

 

Que faire ? Rester les bras croisés dans l'attente que les étoiles veuillent bien se montrer encore la nuit suivante ? Bien sûr. La chose à faire. Attendre une confirmation. Avec une coup de chance, peut-être ? Deux nuits consécutive de ciel transparent. Rarissime, mais pas impossible.

Seulement voilà : autant espérer que les récoltes de pommes de terre seront bonne cette année, une fois pour toutes, ou que Miss Mary Abigail Byrne accédera enfin à ses désirs de mariage dans la semaine, dans les trois jours qui viennent.

 

Répandre la nouvelle alors ? Bien évidemment. Répandre la nouvelle. Sans perdre une minute.

 

Mais à qui écrire ? À Birr Castle ? Peut-être … Mais Lord Rosse est âgé, maintenant, son heure de gloire est passée, et ce n'est plus lui le président de la Royal Society depuis longtemps. Il n'observe sans doute plus, qui plus est. Et puis de toute façon, il réside à Londres à l'année, désormais, c'est bien connu, où il siège à la chambre des Lords le plus clair de son temps. Jamais il n'écouterait ce qu'aurait à lui dire un astronome amateur démuni du comté de Galway, quand bien même. Il a mieux à faire avec ces Messieurs de la Couronne d'Angleterre.

 

Dunsink, alors ? L'observatoire de l'Université de Dublin ? Ils ne l'écouteraient pas davantage, là-bas. Ou dans le meilleur des cas, ce sont des Irlandais, tout de même, sa lettre serait lue puis laissée sur un coin de bureau en attendant que le ciel se dégage sur l'Irlande, ce qui pourrait bien prendre une semaine ou deux, allez savoir. 50 à 60 nuits observables par an au-dessus de la lande, ce n'est vraiment pas beaucoup. Ils voudront vérifier, avant d'ébruiter l'affaire, ce qui est bien normal. Personne là-bas ne se risquerait à jouer la réputation d'un établissement aussi prestigieux que Dunsink en pariant sur les compétences d'un paysan astronome dont le seul fait d'arme est de rédiger à l'envi de minuscules chroniques astronomiques dans un newspaper aussi … fabuleux que le très local Tuam Herald.

 

Viser plus loin, donc. La Royal Astronomical Society, alors ? Greenwich ? Non. Les péquenots d'Irlande de l'ouest n'y ont aucun droit à la parole, de toute évidence. Spécialement ceux qui résident à l'ouest de la rivière Shannon ; les bouseux. Ceux de Dublin, encore … Et puis de toute façon, ces messieurs de l'Observatoire Royal ne sont que beaux parleurs engoncés dans leur suffisance, qui passent leurs journées à calculer ceci ou cela dans le but unique de faire paraître leur nom dans les Monthly Notices. Savent-il seulement qu'il existe une science en devenir au-delà du micromètre ? Savent-ils seulement ce que c'est qu'un oculaire et que le seul mouvement des astres n'est pas tout ?

 

Berlin ou Königsberg, alors ? Birmingham y connaît du monde, c'est certain. Y connaissait, serait-il plus judicieux de dire. C'était il y a si longtemps, tout cela. Plus de vingt ans. Et puis combien de temps pour envoyer un pli à Berlin ? Dix jours, au bas mot. Trop long. Demain la nova aura éclaté au grand jour et sera visible de tous, dans le monde entier. Ou elle aura déjà diminué et sera en passe de disparaître.

 

Il n'est plus de temps à perdre, dorénavant ; il faut décider, rédiger un courrier et s'empresser d'aller le porter à Tuam, où il aura une chance de partir à la première heure, dès ce dimanche soir, ou lundi. Il se trouvera peut-être même un coursier en partance pour Galway qui acceptera d'emporter le ou les précieux plis directement à la railway station, où un train en partance pour Dublin pourrait lui donner une chance de plus d'être lu à temps.

 

Ce sera donc le London Times – une chance sur deux qu'ils s'allument un cigare avec la missive, là-bas, sans même la lire, mais dans le cas contraire, le rayonnement du journal dans le monde assurerait à la découverte de la nova stella un retentissement suffisant, et un suivi convenable : « Un très honorable Gentleman Farmer, savant astronome de Tuam, en IRLANDE, découvre la première étoile nouvelle dans le ciel depuis plus de 250 ans ! ».

La première page, la plus grosse manchette, la gloire ! Le nom de Birmingham désormais inscrit à jamais dans les livres de science et les encyclopédies, à côtés de ceux de Copernic, Kepler et Galilée. Et, incidemment, la fin de ses soucis pécuniaires, également. Quelle aventure !

L'homme aurait ainsi accompli son devoir d'humble observateur, à n'en pas douter.

 

Et puis écrire à Tulse Hill Observatory, également. Une autre lettre, rédigée le lundi matin. Après y avoir réfléchi davantage, la nuit portant conseil. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Surtout quand on en a peu. Envoyer une lettre à Tulse Hill Observatory, à Londres, où sévit le phénoménal William Huggins, un amateur, tout comme lui, mais très fortuné, contrairement à lui, qui est en passe de révolutionner la science astronomique, rien moins que cela, au moyen de la spectroscopie, et qui très certainement, s'intéressera à ce qu'il a à dire sur l'étoile nouvelle qu'il a observée la veille dans la Couronne Boréale.

Quitte ou double.

 

« Le 14 mai 1866,

Tuam, de la part d'un correspondant inconnu, un certain John Birmingham.

Monsieur Huggins,

Je me permets d'attirer votre attention au sujet d'une étoile nouvelle que j'ai observée ce samedi soir, qui me paraît être un objet des plus intéressants pour une analyse spectroscopique. Elle est située dans la Couronne Boréale, et elle est très brillante, environ la deuxième magnitude. J'ai envoyé une lettre au Times hier, mais dans la mesure où ce journal est peu enclin à publier des communications en provenance de cette partie du monde, je peux à peine considérer qu'il s'y trouvera une place pour la mienne. »

 

L'attente est cruelle, ensuite. Ni le ciel ni le London Times ne daignent s'ouvrir aux desiderata de John Birmingham pendant les trois jours qui suivent. Le Times, il se le procure assidûment tous les jours, le lit, le relit, le parcourt en tous sens. Mais rien. Sa lettre a fini au panier, très vraisemblablement. Était-il seulement raisonnable d'espérer plus favorable destin pour un pli venu d'un cul de basse fosse aussi mouillé que le comté de Galway, Irlande ?

 

Le 17 mai, enfin, apporte un peu de réconfort. L'obscurité est clémente, pour quelques heures, contre toute attente, et John peut de nouveau apercevoir l'objet de ses désirs. La nova a rapidement baissé en éclat, déjà, jusqu'à atteindre la quatrième grandeur, désormais, soit une brillance divisée par six. Mais elle est demeurée en place, ne présentant aucun aspect nébuleux de type cométaire qui lui soit observable. Une confirmation, pour le moins. Déjà ça. Il n'a pas alerté le monde pour rien. Son honneur est sauf.

 

Le 19 ou le 20 mai, une lettre lui est enfin distribuée, en provenance de Tulse Hill Observatory, dont il déchire le cachet au plus vite. Here we are !

 

« Upper Tulse Hill, 17 mai 1866.

Cher Monsieur,

Veuillez accepter mes plus sincères remerciements pour la précieuse information que vous m'avez adressée, à propos de l'étoile nouvelle que vous avez découverte. J'ai reçu, après cela, le 16 mai également, une note du même genre de Mr Baxendell, de Manchester.

J'ai examiné son spectre la nuit dernière, et viens juste d'envoyer un papier à ce sujet à la Royal Society, dans lequel je donne votre description de l'étoile.

Lorsque ce papier sera publié, j'aurai le plaisir de vous en envoyer un exemplaire.

Avec mes remerciements, votre serviteur,

Williams Huggins »

 

Ainsi, les choses allaient-elles se jouer ailleurs, désormais, très exactement dans les faubourgs sud de Londres, dans l'oeilleton d'un spectroscope de précision, propriété exclusive de William Huggins, un fils de bonne famille qui avait vendu, une dizaine d'année auparavant, la florissante affaire familiale de commerce de la soie dont il était l'héritier, pour construire un observatoire de premier ordre, équipé d'une excellente lunette de 5'' achetée auprès de la maison Dollond et d'un cercle méridien permettant d'atteindre la redoutable précision de trois secondes d'arc dans le positionnement des astres observés, ceci afin de pouvoir s'élever aussi haut que possible au-dessus de la piétaille. Ne plus travailler, ne plus perdre de temps à habiller ses contemporains, fût-ce avec de la soie, mais vivre chichement de ses rentes tout en étudiant le ciel. Une existence fabuleuse, isn't it ?

 

Et quand on annonce haut … Quatre années ne s'étaient pas écoulées que l'astronome amateur, vivant de l'air du temps et de l'éclat des étoiles, avait déjà revendu son réfracteur de 5 pouces pour racheter une énorme optique de 8 pouces de seconde main (obtenue auprès d'un certain William Dawes, que les observateurs de binaires connaissent bien : la limite de Dawes, c'est lui), en provenance originelle de chez Alvan Clark of Cambridge, Massachusetts, dans le but avoué d'observer les étoiles doubles les plus serrées qui se pussent être vues à l'époque, laquelle optique serait bientôt remplacée, une fois de plus, par une autre plus grosse encore, un réfracteur de 15'', cette fois, détenu en location auprès de la Royal Society.

Mais dans l'intervalle, tout avait été remis en cause, encore, et les étoiles doubles, lubie éphémère de William Huggins, jetées aux orties, suite à la publication en Angleterre du renversant papier de Bunsen et Kirchhoff relatif à l'observation des raies de Fraunhofer dans le spectre du Soleil. Le début de l'astrophysique moderne ; l'acte fondateur d'une science nouvelle dont Huggins désirait devenir le fer de lance, ni plus ni moins.

 

Le hasard voulut que l'un des voisins les plus immédiats de notre homme – Huggins n'avait que la rue à traverser pour l'aller visiter - fut le chimiste de haute renommée William Allen Miller, pionnier de la spectroscopie chimique. Le mouvement était lancé, et les deux hommes allaient être à la pointe de cette branche nouvelle de l'étude du ciel en Angleterre, jusqu'à la disparition prématurée de Miller en 1870.

 

 

 

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William Huggins vers le début du vingtième siècle. Linda Hall Library.

 

 

Mais revenons à notre nova de 1866.

 

Le 13 mai dans la soirée, elle est découverte indépendamment par Antoine-Alphonse Courbebaisse (un nom prédestiné, semble-t-il), ingénieur des Ponts-et-Chaussées de son état, et grand ami de Camille Flammarion, à qui on laissera le soin de narrer l'anecdote dans le style inégalable qui est le sien. Il s'agit de l'une des rares observations rapportée de l'étoile nouvelle par un Français.

 

« Un beau dimanche du mois de mai 1866 (c'était un 13, mais les chiffres n'ont plus rien de néfaste aujourd'hui), par une soirée splendide, mon savant ami l'ingénieur Courbebaisse était assis sur la terrasse de son petit observatoire de Rochefort, lorsqu'on examinant le ciel, suivant sa vieille habitude, il aperçut tout à coup dans la Couronne une étoile presque aussi brillante que la Perle, et qu'il n'avait jamais vue. Le cœur du savant palpita d'une émotion bien légitime : tout le monde sait qu'il n'y a pas deux étoiles de seconde grandeur dans la Couronne ; il regarde à deux fois, se frotte les yeux pour être sûr de ne pas rêver, et finalement constate qu'il y a là, brillant magnifiquement, une étoile certainement nouvelle.

 

Nouvelle? De quelle date? La veille, le temps était pluvieux et l'observateur n'avait pu contempler son ciel ; mais l'avant- veille, le 11, il l'avait examiné comme d'habitude, avait également observé la Couronne, et n'y avait rien remarqué d'extraordinaire, de sorte qu'il put

affirmer avec conviction que très certainement cette singulière étoile ne brillait pas là le 11.

 

Combien les observateurs du ciel sont rares ! Sur quatorze cent millions d'humains qui peuplent notre planète, il n'y en a peut-être pas un millier qui, regardant le ciel ce soir-là, se seraient aperçus d'un changement et auraient reconnu la nouveauté de l'étoile. Et, sur

ce millier d'hommes familiers avec l'aspect du firmament, il n'y en a eu que trois qui aient remarqué l'événement à son apparition.

 

« Je courus annoncer la nouvelle à ma famille, m'écrivait le sympathique observateur.

 

Eh ! me répliqua-t-on, ce n'est pas possible, c'est une illusion.

Venez la voir vous-mêmes.

Il fait trop froid.

On fait toilette pour moins que cela : on ne voit pas tous les jours une nouvelle étoile.

 

Je les entraînai sur la terrasse ; ces dames la virent comme moi ; et lorsque je leur eus montré, sur mes cartes, qu'il n'y avait, au point que je leur avais fait remarquer, aucune étoile indiquée, et que j'eus dit que c'était une découverte très rare, qu'on n'en citait guère plus d'une par siècle, on fut pris d'un grand enthousiasme. Je cherchai à le calmer en disant que tout le monde pouvait la voir comme nous, et que nous prenions seulement notre part d'un spectacle intéressant pour tous ceux qui y assistaient. Mais on me soutint que j'avais dû être seul à la voir, et que les autres ne la verraient que d'après mes indications. « S'il en est ainsi, leur dis-je, en riant, et qu'elle doive durer, nous pourrions la nommer ; je vous en fais marraines.

 

Donnons-lui votre nom !

Mon nom ne signifie rien, et il faut lui donner un nom qui rappelle une des aspirations de l'époque.

Eh bien, qu'elle se nomme Pax, la paix!

Très bien! dis-je, d'autant plus qu'elle pourrait être d'un bon conseil pour une couronne boréale inquiétante pour la paix de l'Europe.

 

Mais la pauvre Pax a été aussi éphémère au ciel que sur la terre. »

 

 

Alerté par Birmingham et Baxendell, Huggins put pointer l'étoile suspecte le soir même, le 16 mai, au travers de sa lunette de 8 pouces. Pour la première fois, le spectre d'une nova allait être examiné.

 

Alors, on ne connaissait, pour simplifier les choses, que deux types de spectres en astrophysique : les spectres de type stellaires, qui ressemblaient fortement à celui du Soleil, et présentaient des raies sombres sur fond lumineux, mais avec une infinité de variations toutefois, dans le positionnement et la quantité des raies observées, en fonction de l'étoile visée, et les spectres de type gazeux, en provenance des nébuleuses, et qui montraient exactement le phénomène inverse, à savoir un ensemble de raies lumineuses sur fond noir, tout comme celles que l'on pouvait observer en laboratoire lorsque l'on portait des gaz à très haute température.

Les observations se faisaient à l'oeil nu, à l'aide d'un oculaire placé en sortie du spectroscope.

 

« Le Dr Miller et moi-même examinèrent le spectre de cette étrange étoile. Les résultats de cette observation furent communiqués à la Royal Society le 17 mai.

Le 16, l'étoile était plus brillante qu'Epsilon Coronae B, peut-être de 0.5 ou 0.75 magnitude. Ce soir-là, une très faible nébulosité était visible autour de l'étoile, s'étendant à une courte distance, et s'éteignant graduellement sur les bords. Un examen comparatif des étoiles environnantes montra que la nébulosité était due à la nova elle-même. Les soirs suivants, 17, 18 19 et 21 mai, la nébuleuse ne fut plus vue avec certitude.

Le spectre de cette étoile est vraiment très remarquable, qui amène à des conclusions inattendues quant à sa nature physique.

La lumière venue de l'étoile semble composite et émaner de deux sources différences, chacune formant son propre spectre. Le spectre principal est analogue à celui du Soleil, avec une lumière comme émise par un liquide incandescent passant au travers d'une atmosphère de vapeurs à plus basse température [et il présente des raies d'absorption].

Le second spectre apparaît superposé au spectre qui vient d'être décrit. Il présente cinq raies brillantes. Ce genre de lumière est émise par de la matière à l'état de gaz. […] Ces raies lumineuses sont bien plus brillantes que le continuum du spectre devant lequel elles apparaissent. Nous devons en conclure que la température du gaz dans lequel elles ont été émises est bien plus élevée que celle de la photosphère de l'étoile d'où est originaire le reste de la lumière de l'étoile. »

 

Il ne fut pas long temps avant que le Dr Miller ne reconnaisse dans la raie rouge, cise en position C selon la nomenclature de Fraunhofer, une émission correspondant à l'hydrogène, ainsi qu'une autre dans le vert, toujours due à l'hydrogène, en position F.

 

 

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Spectre de la nova 1866 observé par Huggins.

 

 

 

Le 19 mai, l'étoile nouvelle fut observée spectroscopiquement à Greenwich vers la magnitude 5. Le spectre montrait encore quatre raies brillantes.

 

Il fut rapidement établi que la nova de 1866 est apparue en très peu de temps. En quelques heures tout au plus. Ainsi, le 12 mai au soir, entre 8h30 et 9h45, heure locale, le Dr Johann Friedrich Julius Schmidt, alors directeur de l'Observatoire d'Athènes observait la Couronne Boréale sans rien remarquer d'inhabituel à l'oeil nu. L'étoile était donc plus faible que la magnitude 5.5.

Autre fait établi : la nova n'était pas une étoile nouvelle au sens strict, puisqu'une étoile de magnitude 9.5 était déjà cataloguée au même emplacement, dans le monumental et unique catalogue de référence de l'époque, le Bonner Durchmusterung (ou BD), sous le matricule BD+26 2765, soit l'étoile numéro 2765 de la zone +26 degrés (1859-1862).

 

La nova 1866 faiblit assez rapidement, au rythme d'une demie magnitude par jour d'abord, puis plus lentement, jusqu'à devenir invisible à l'oeil nu dès le 20 mai (magnitude 6.2). En juillet, elle avait retrouvé son éclat originel, aux environs de la magnitude 9, où elle demeura tout l'été 1866. En septembre l'étoile eut un nouveau sursaut de vaillance et remonta aux alentours de la magnitude 7.5 à 8, où elle s'entêta pendant quelques semaines encore, avant de retomber très progressivement vers la magnitude 9 en décembre, puis plus bas encore dans les mois suivants. Dans les années et les décennies qui suivirent, son éclat oscilla avec une lenteur exaspérée, globalement entre 9.5 et 10, sans plus faire parler d'elle.

 

L'étoile nouvelle n'était pas redevenue invisible à l'oeil nu avant longtemps qu'elle avait déjà reçu une immatriculation d'étoile variable au catalogue BD, qui faisait alors autorité.

Une étoile fort étonnante à l'éclat délétère ayant été détectée en 1850 dans la toute petite Couronne Boréale, à trois pas de là, et dénommée R Coronae Borealis (Crb), suivie d'une deuxième, découverte en 1860 qui présentait de très lentes variations (S Crb), ce serait donc la lettre T, selon la règle établie, qui serait attribuée à la nova de 1866 (on attribuait alors aux étoiles variables une lettre, dans l'ordre de découverte au sein de chaque constellation à partir de R, soit : R, puis S, puis T, puis U,V, W … jusqu'à Z. Puis on continuait avec RR, RS, RT etc etc)

 

T Crb, troisième étoile variable cataloguée de la Constellation de la Couronne Boréale.

 

Donnons maintenant, à ce point de notre récit, la possibilité à Monsieur Hervé Faye, Astronome à l'Observatoire de Paris, et membre de l'Académie des Sciences, à qui nous tendons le micro, d'édifier un semblant de conclusion – provisoire -, au sujet de cette ténébreuse affaire.

 

« Les conjectures relatives aux étoiles nouvelles ne tiennent pas davantage devant les faits. Autrefois on ne connaissait que les étoiles visibles à l'oeil nu ; aujourd'hui que l'on construit d'immenses Catalogues de 3ooooo étoiles, on a bien des chances de pouvoir désigner la petite étoile

invisible dont l'éclat s'est exalté tout à coup pour un temps très-court, et c'est ce qui est arrivé pour la dernière. Ce ne sont donc pas des formations subites. […]

En résumé, les étoiles dites nouvelles ne méritent pas ce nom : leur apparition presque subite n'est qu’une exagération du phénomène ordinaire des étoiles périodiquement variables, lequel répond lui-même à de simples oscillations plus ou moins sensibles dans le phénomène de la production et de

l’entretien des photosphères de toutes les étoiles. […]

Quand ils se produisent ainsi avec le caractère d'intermittences irrégulières de plus en plus séparées par de très longs intervalles de temps, ils sont les précurseurs de l’extinction définitive, ou du moins de la formation d’une première croûte plus on moins consistante. C'est pourquoi les phénomènes de ce genre ne se produisent que dans les astres d’un éclat déjà très faible et n’aboutissent jamais à doter le ciel d’une belle étoile de plus. »

(Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences – Juillet et août 1866)

 

 

 

9 février 1946.

 

« Observé dimanche 6h45m, heure légale, nova magnitude 3,5, emplacement nova 1866, Couronne. »

 

L'époque est à la modernité. Les messages voyagent désormais à la vitesse de l'électron dans le fil du téléphone. Mais il s'agit du même frisson de la découverte. Le télégramme n'est pas signé ; tout à son étonnement et à sa fébrilité, son auteur a oublié. Car la découverte à de quoi interloquer : la nova de 1866 est de retour.

 

De retour ? Non.

Si !

 

Cette fois encore, il s'agit d'un amateur, modestement équipé (une paire de jumelles assortie d'une documentation qu'il qualifiera lui-même de « rudimentaire »), qui a fait l'observation cruciale : Monsieur Rives, de Périgueux, qui la rapporte le jour même à Me Gabrielle Renaudot-Flammarion, alors secrétaire générale de la Société Astronomique de France et rédactrice en chef de L’Astronomie. L'auteur anonyme se fendra d'un courrier plus circonstancié quelques jours plus tard. En n'oubliant pas d'y adjoindre son patronyme, cette fois.

 

Mais est-il véritablement le premier, Monsieur Rives ? Non, hélas. Mais il s'en faut de très peu. Comme un Courbebaisse quatre-vingt ans plus tôt, le hasard a voulu qu'il y eût plus prompt à répandre la nouvelle que lui, ailleurs.

 

Armin Joseph Deutsch, par exemple. Doctorant au célébrissime Yerkes Observatory, Wisconsin, États-Unis ; il observera la même étoile en milieu de nuit, le même jour. Rapporté à l'heure de Greenwich, il est alors … 7h30 U.T. Une heure et quarante cinq minutes après Mr Rives. La nova pointe alors à la magnitude 3.2. Bien que nominé dans la catégorie « professionnelle », Deutsch devait fort logiquement être disqualifié pour le titre de découvreur. Pour autant, son nom est cité dans pratiquement tous les papiers de l'époque en tant que grand gagnant. Rives arrive bien après.

 

 

 

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Mais rendons plutôt à César ce qui appartient à César.

 

And the winner is …

 

Mr N. F. H. Knight, de Stoneleigh, Surrey, Angleterre, membre de la British Astronomical Association (BAA), amateur bien équipé (un réfracteur de 5'' de chez Cooke, pratiquement identique à celui que possédera John Birmingham dans ses années fastes, et du même fabriquant – un signe ? -, un autre réfracteur de 2'', et un troisième de 1'' et 5/8), variabiliste émérite (1770 mesures visuelles effectuées sur la seule année 1946 !). Knight qui, semble-t-il, faisait un peu de tourisme dans la Couronne Boréale, après avoir eu la bonne idée d'estimer R Crb, comme il en avait l'habitude, à l'aube, à cette époque-là de l'année, lorsque le ciel était dégagé.

 

Nelson Felix Hubert – appellons-le Nelson Felix Hubert ; seules ses initiales nous sont parvenues, et ce n'est pas faute d'avoir remué la toile en tous sens pour tenter de retrouver les prénoms complets -, Nelson est donc d'abord interloqué par la présence pour le moins saugrenue d'une étoile nouvelle et brillante dans cette constellation si petite et si caractéristique qu'est la Couronne Boréale.

 

« I was about to observe R CrB, as is my custom, I was suddenly struck – literally struck right in my eyes! – by the presence of a 3m nova in the constellation CrB »

 

Il est 5h40, heure de Greenwich – forcément … à Greenwich.

Soit cinq minutes avant l'observation de Mr Rives.

 

Il sait. Il sait immédiatement, et intuitivement, qu'il s'agit là d'un retour inattendu de la nova de 1866, même s'il prendra la peine de le vérifier, malgré tout, un peu plus tard. La bonne étoile, au bon endroit, avec l'éclat ad-hoc. Parce que tout variabiliste, on oserait dire tout astronome un peu passionné et qui connaît son affaire, a entendu parler de cette étoile légendaire, dont l'histoire est racontée dans tous les livres se rapportant à la discipline depuis toujours. Le retour extraordinaire de la nova prodigue !

 

C'est le tout début du crépuscule astronomique. Le jour n'est pas encore pour tout de suite. La nuit est claire, très claire, il reste au moins une demie heure de nuit observable, et peut-être même plus, surtout si l'on observe aux instruments. Notre homme prend alors la décision de téléphoner à l'Observatoire Royal, dont il sait qu'il sera bien placé pour suivre (et faire suivre) l'affaire au plus près : ciel présentement clair, et pour cause !, il n'est localisé qu'à quelques miles au nord de Stoneleigh, instrumentation de pointe, compétences.

 

Trouver un téléphone. Certes, les cabines téléphoniques rouges à la britannique ont commencé à fleurir un peu partout dans les rues de Londres et de sa banlieue avant guerre, mais tout de même. Ici, c'est le Surrey, à presque 10 miles du centre de la capitale. Il faut donc une bonne dose d'optimisme. Trouver une cabine dans le centre de la petite ville, un lieu public doté de l'appareil, qui fût ouvert avant le chant du coq, en 1946 – à moins que Knight eût le téléphone à domicile, ce qui est peu probable, mais qui n'est pas connu de toute façon.

 

Cela sonne là-bas, à Greenwich. Après une longue minute, on décroche. C'est le gardien de nuit. Knight s'explique. Pas très au fait de tout cela, le watchman comprend la situation, ou du moins il s'y essaye, ou fait semblant de s'y intéresser. D'y croire. Il ne sait pas très bien ce que c'est qu'une nova, ni même une étoile variable, mais apparemment ça à l'air important. Son correspondant a pas l'air d'être un plaisantin. Surtout, il ne veut rien avoir à se reprocher, le cas échéant. Il part immédiatement chercher un interlocuteur. Un astronome, un astrophysicien, un étudiant, un technicien, un balayeur, qui on veut bien, mais quelqu'un de compétent. Nouveau (long) moment d'attente.

Las, le gardien de nuit reprend le combiné. Il n'a pas trouver personne.

Quoi ? Ces messieurs n'observent-ils pas ? Ils font des calculs, peut-être ? Depuis quatre-vingt ans, ils font des calculs, encore et toujours ? On ne sait pas.

Quoi qu'il en soit, tous les observateurs sont au lit, et ils dorment à poings fermés. Et on ne saurait les réveiller. Il faudra rappeler plus tard. L'Observatoire ouvre à 9 heures. À 9 heures. Avez-vous bien compris ? À 9 heures, pas avant. Merci.

 

La situation est Surrey-aliste, on oserait dit, mais c'est ainsi. Knight s'en retourne chez lui, où il peut encore estimer, sous un ciel cristallin, l'éclat de la nova à l'oeil nu jusque 6h15 : elle est alors à la magnitude 3.4.

 

 

 

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Dans l'intervalle, Monsieur Rives, de Périgueux s'étonne, et Monsieur Armin Joseph Deutsch termine quelque observation à la grande lunette de Yerkes, se préparant à sortir. Sa spécialité, son sujet de PhD, est l'évolution spectrale des étoiles naines de type A (1947).

 

Dans les jours, les semaines, les mois qui suivirent, l'évolution de la nova de 1946 sera en tous points identique à celle de 1866. On ne pourra pas déterminer avec certitude à quel instant le début de l'éruption aura eu lieu, mais avec trois observations positives en moins de deux heures, on est enclin à penser que la surveillance était étroite ; il est dès lors permis de considérer comme probable que l'étoile n'aura pas explosé fort longtemps avant les premières observations publiées.

 

 

 

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Schaefer, 2023.

 

 

En moins d'une semaine l'astre n'était plus discernable à l'oeil nu, et début mars il avait retrouvé son éclat habituel, aux environs de la magnitude 9.5. De mai à juin, il remonta lentement jusqu'à culminer vers 7.5, puis il diminua lentement pour atterrir à 9.5 en octobre.

 

Du point de vue spectroscopique, l'éruption de 1946 présente bien à l'évidence le plus grand intérêt. C'est équipe en place à Yerkes au moment de l'observation initiale (Deutsch, Morgan et Münch) qui exposa les premières plaques. Les spectres obtenus sont compatibles avec ceux décrits par Huggins en 1866, et montrent ce que l'on connaît typiquement des spectres de novae : raies brillantes et raies d'absorption mêlées.

 

 

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Premiers spectres de la nova 1946, par Deutsch et al.

 

 

 

Une étoile extraordinaire

 

Bien évidemment, la connaissance a beaucoup évolué en 80 ans, et l'étonnement n'est plus le même. T Crb est une étoile fascinante dont le comportement a été scruté en détail entre les deux éruptions connues, puis après celle de 1946, et dont l'étude se poursuit. Le nombre de papiers qui lui est consacré augmente à un rythme que l'on qualifierait volontiers d'exponentiel ces dernières décennies, à mesure que la survenue d'une troisième éruption, à terme, se précise.

La spectroscopie a été l'élément clé qui a permis de déterminer la nature de l'objet, lequel est désormais classé dans la catégorie des novae récurrentes, dont on ne connaît qu'une dizaine de représentantes, et encore ne sont-elles pas toutes du même type, ne présentent-elles pas toutes le même comportement (une demie douzaine d'exemples, selon d'autres auteurs, en fonction d'autres critères de classification).

 

À définir les choses de façon un peu abrupte à quoi avons-nous affaire, en définitive ? Essayons de dresser le portrait de cette étoile peu banale. Un portrait qui sera, par nécessité, non exhaustif et comprendra des zones floues, tant les sujets de recherche qui lui sont consacrés, ainsi que les théories, sont nombreux, à l'instar des controverses, incertitudes et inconnues, qui sont au moins aussi nombreuses.

 

Pour autant que nous sachions, il s'agit d'une binaire localisée à plus ou moins 900 à 1000 pc, soit un duo stellaire composé d'une naine blanche étroitement associée à une géante rouge de type M4 III, une étoile en fin de vie, l'une l'autre orbitant autour du barycentre du couple, selon une période égale à 228 jours (séparation entre les deux astres : 0.9 UA environ).

À ce point associées, ces deux étoiles, que l'on qualifie le couple de binaire symbiotique. La masse totale en jeu est plutôt faible : 0.7 à 0.9 Msol pour la géante rouge, avec un diamètre plus ou moins équivalent à 70 fois celui du Soleil, ce qui en fait une étoile extrêmement peu dense, et 1.2 Msol pour la naine blanche, dont il est spécifié que cette masse amène l'étoile assez près de la limite de Chandrasekhar (il s'agit d'un rapport masse/diamètre selon lequel une étoile peut ou non se maintenir en l'état, et a contrario de la limite à partir de laquelle il y a effondrement global et contraction en étoile à neutron).

 

La courbe de lumière de T Crb est complexe à analyser, qui présente schématiquement une modulation de type ellipsoïdale (découverte en 1975), égale à une demi période orbitale, soit 114 jours, d'une amplitude proche de 0.3 magnitude (chiffre très variable selon les auteurs, et surtout les époques considérées), à laquelle vient s'ajouter une scintillation (flickering), par nature irrégulière, voire chaotique, de 0.3 magnitude d'amplitude également, dont la fréquence peut varier du tout au tout sur un laps de temps réduit, et se comptant parfois en jours, parfois en heures, voire en minutes, ou les trois ensemble.

 

Par variation ellipsoïdale, il faut comprendre que l'une au moins des composantes du système n'est pas totalement sphérique (ici l'étoile rouge), mais aplatie par effets de marées, ce qui induit des variations lumineuses selon la phase et l'inclinaison du système par rapport à l'observateur.

 

 

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La magnitude moyenne au repos (état de quiescence) se situe aux environs de 9.8 sur les dernières décennies.

 

Mais ce n'est pas tout : il existe encore une variation secondaire, vraisemblablement imputable à la naine blanche, parce que particulièrement marquée dans les plus courtes longueurs d'ondes (le bleu et l'UV), dont la période est voisine de 55 jours.

 

En dehors des éruptions majeures, culminant à la magnitude 2 à 3, des éruptions secondaires qui peuvent voir la nova remonter à la magnitude 7.5 ou 8 pendant 90 à 120 jours, et de l'état de quiétude, T Crb semble ne présenter un comportement d'excitation inhabituel que dans les années précédant et suivant immédiatement les pics, lequel comportement a été étudié en détail par Bradley E. Schaefer (Department of Physics and Astronomy, Louisiana State University, Baton Rouge, Louisiana, USA), comportement qui pourrait, s'il était de nouveau observé dans un avenir plus ou moins lointain, indiquer qu'une éruption majeure approcherait. Le conditionnel est important car, dans la mesure où seules deux éruptions majeures ont été observées, dont la première avec des moyens somme toute assez rudimentaires, et bien évidemment uniquement en phase descendante, il est difficile de conclure.

 

Bradley E. Schaefer pense qu'une montée en éclat de la variable (la courbe de lumière présente alors un plateau surélevé, tout à fait caractéristique, pendant une dizaine d'années), suivie bientôt par une brusque redescente, que l'on détecte également dans les courbes de lumière, aussi bien dans la bande V que dans la bande B, est le signal qu'il faut rechercher et anticiper comme point d'alerte ultime avant une nouvelle éruption majeure.

Ce signal aurait été détecté dans les derniers mois de l'année 2023 (Schaefer 2023-2024).

 

Ceci encore : selon d'autres auteurs (Iłkiewicz, Mikołajewska, Stoyanov, août 2023), au moins sept périodes différentes seraient présentes dans la courbe de lumière de T Crb, allant de 44 à 57 jours, qui seraient imbriquées les unes dans les autres, qui expliqueraient le comportement lumineux apparent de l'étoile, périodes encore associées à d'autres, bien plus longues, qui ne se comptent plus en dizaines mais en centaines ou milliers de jours. On parle de 700 jours, 3640 jours, et même 6500 jours (Schaefer). Mais on ne détaillera pas tout ceci ; on parvient, à ce niveau-là de détails, au-delà du consensus.

 

Quoi qu'il en soit, une grande partie de l'énergie émise par le système l'est sous la forme de lumière UV, tout au long du cycle, ce qui suggère que la source est véritablement très chaude.

 

L'étoile présente également de très fortes variations de son spectre, avec des raies en émission ou en absorption qui apparaissent, régressent, puis reviennent au devant de la scène, presque à l'infini.

Il s'agit du spectre résultant du mix de trois sources actives et variables : une géante rouge, une naine blanche, et une nébulosité indéterminée.

Dans l'état d'excitation supérieur du système, tel qu'il s'est amorcé depuis 2015 et synonyme de l'arrivée d'une éventuelle éruption, les raies en émission Hγ, OIII, NIII, HeII et OIV apparaissent particulièrement mouvementées et variables. Le type spectral effectif de la géante rouge s'en trouve ainsi modifié, évoluant de M4 III vers M3 III, puis M2 III. La portion de l'étoile faisant face à la naine blanche serait essentiellement celle concernée ; on parle alors de « hot spot » (Munari, Dallaporta et Cherini, 2016).

 

 

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Binaire comportant une géante rouge et une naine blanche, insérérée profondément au sein du disque d'accrétion (invisible à cette échelle)

 

 

 

Serait en jeu, in fine, un phénomène de transfert périodique de masse depuis la géante rouge vers la naine blanche, avec accrétion de matière autour de celle-ci sous la forme d'un disque en rotation. Le vrai cœur de l'action, en somme. Et le moteur des deux éruptions de type nova qui ont été observées en 1866 et 1946. Il a ainsi été calculé que la masse accrétée serait équivalente à environ 2.5 x 10-8 Msol par an, laquelle masse, accumulée pendant 80 ans, serait suffisante pour qu'une réaction thermonucléaire s'amorce en fin de compte, au contact de la naine blanche, ou plus vraisemblablement, au sein même du disque d'accrétion. Un disque dont le diamètre serait équivalent à environ 20 rayons solaires (12 millions de km), à rapporter au diamètre même de la naine blanche (10000 km, typiquement), mais dont la partie la plus interne serait, seule, véritablement active (40 000 km de rayon pour le disque interne ; Dobrotka, Hric, Casares et al, 2009).

 

Plus précisément, car il faut bien constater que rien, absolument rien, n'est simple dans cette affaire : il convient de considérer que le phénomène d'accrétion supputé n'est pas un long fleuve tranquille qui, par sa lenteur et sa régularité expliquerait tout. Une accumulation, suivie d'une explosion à date déterminée, point à la ligne et retour à la case départ. Ce scénario simpliste ne collerait pas avec l'ensemble des phénomènes observés.

Les dernières études parlent plutôt d'accrétion sensiblement irrégulière, se produisant par étape, et d'un disque d'accrétion qui présenterait des soubresauts chaotiques, avec des périodes de calme enchaînées à de brusque échauffements (sans aller jusqu'à la réaction thermonucléaire, toutefois). Des accumulations tranquilles suivies « d'énervements ».

Tout ceci s'apparenterait au mécanisme invoqué pour expliquer les novae naines, un autre type de novae, moins spectaculaires mais mieux connu, et en particulier celles de type SU Ursae Majoris : des éruptions de moindre intensité dans le disque d'accrétion d'une binaire pourvu d'une naine blanche. Exactement le cas de T Crb, en fait, dont le comportement serait mixte, en quelque sorte : nova naine plus nova cataclysmique.

 

Également, il faut prendre en compte la possibilité d'une instabilité plus grande encore de la binaire, qui apparaîtrait 60 à 70 ans environ après la dernière éruption majeure (dix ans avant l'éruption majeure). Pour des raisons indéterminées, un transfert de masse important, et entretenu, se mettrait alors en place assez soudainement, sorte d'emballement (augmentation d'un facteur 20), qui aboutirait à une forte augmentation de la production de lumière dans le disque d'accrétion, et donnerait lieu à la constitution du plateau visible dans la courbe de lumière avant les éruptions (Schaefer).

 

S'agissant du creux observé dans la courbe de lumière juste avant l'éruption majeure de 1946, il s'agit d'un phénomène unique, non observé encore chez d'autres nova, et pour lequel il n'existe pas d'explication véritablement convaincante actuellement. Des éjectas de poussières, produits à un moment ou un autre, pourraient néanmoins expliquer l'obscurcissement du système avant l'éruption.

Comme signalé un peu plus haut, Schaefer affirme qu'un tel creux est en passe de se reproduire sur les années 2023-2024 et que l'éruption majeure est très proche. Nous saurons bien assez tôt à quoi nous en tenir à ce sujet.

 

 

 

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Schaefer 2023. Attention : les deux schémas n'ont pas la même échelle temporelle.

 

Dernier point : pourquoi une remontée en éclat une centaine de jours après l'éruption majeure ? Une étude publiée en décembre 2023 réinvestit la thèse du « hot spot », créé par « simple » irradiation de la géante rouge face à naine blanche, et par la naine blanche dont la température de surface atteint les 200 000 K, qui exercerait ensuite une sorte d'effet miroir en renvoyant de l'énergie vers l'extérieur (Munari, INAF Astronomical Observatory of Padova, Italie).

 

Quelques prédictions pour la date de la prochaine éruption :

 

Luna, Sokoloski, Mukai et Kuin (2020) : éruption en 2026±3

Maslennikova,Tatarnikov et al (2023) : éruption en janvier 2024

Schaefer, Kloppenborg et Waagen (2023) : éruption en 2024.4±0.3

 

L'observation de T Crb – la nova la plus brillante de l'époque moderne !, au cours des semaines et des mois à venir, et durant les prochaines années, promet d'être passionnante.

Même s'il n'est absolument pas certain que l'étoile puisse faire preuve de mansuétude au point de se complaire aux désirs des astronomes les plus prétentieux, qui la voient exploser bientôt, et de se montrer alors sous ses plus lumineuses parures – tout ceci n'est que conjecture, à preuve du contraire.

L'amateur, qu'il soit variabiliste adepte de la méthode visuelle, photométriste débutant ou confirmé, ou spectroscopiste, est bien placé pour effectuer un suivi complet en longitude et obtenir des observations de grande valeur scientifique, qui seront conservées précieusement et alimenteront les chroniques pendant des siècles.

À défaut, et dans l'attente de l'éruption tant attendue de T Crb, il est toujours possible de se faire les dents, au passage, sur R Crb, autre variable d'intérêt considérable, qui loge à deux pas de là, de l'autre côté de l'étoile Epsilon Coronae.

 

Le simple curieux ou le photographe amateur de belles images rares se devra de profiter de son ciel illico, dès l'annonce d'une éventuelle apparition de T Crb, car le phénomène est de courte durée : une semaine de visibilité à l'oeil nu au maximum.

 

Un point à éclaircir, qui n'est pas évoqué dans les compte-rendus publiés en 1946, serait sans doute de déterminer si oui ou non, la nébulosité observée par Huggins en 1866 autour de la nova dans les jours qui suivirent son apparition peut de nouveau être observée. Il ne fait guère de doute que l'étoile soit enveloppée d'un cocon de matière éjectée lors de précédentes éruptions.

 

Je dors depuis quelques temps avec une paire de jumelles de 70 mm sous l'oreiller, et l'APN est prêt à être dégainé à la première lueur un peu suspecte qui se montrera au travers des nuées. Et vous ?

 

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Bibliographie

Belczynski, Mikolajewski : On the nature of the recurrent nova, Astronomical Society of Pacific, vol 137, 1998

Belczynski, Mikolajewski : New binary parameters for the symbiotic reccurent nova T Coronae Borealis, MNRAS vol 296, 1998

Birmingham : The new variable near e coronae, MNRAS vol 26 JUNE 1866

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Dobrotka, Hric et al : Searching for flickering statistics in T CrB, MNRAS, 402, 2010

Faye : Remarques sur les étoiles nouvelles, Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences 1866, Gallica, 1866 juillet et août

Flammarion : Les étoiles et les curiosités du ciel, 1882

Flammarion : Mémoires biographiques et philosophique d'un astronome, 1911

Haschenberg, Wellmann : Das Spektrum und die Lichtkurve der Nova T Coronae borealis 1866 während ihres Maximums, 1938

Huggins, Miller : On the spectrum of a new star in corona borealis, 1897

Iłkiewicz, Mikołajewska, Stoyanov : Symbiotic Star T CrB as an Extreme SU UMa–type Dwarf Nova, APJ letters 953, 2023

Knight : Proceedings of observatories, MNRAS vol107 1947

Luna, Mukai et al : Dramatic change in the boundary layer in the symbiotic recurrent nova T Coronae Borealis, A&A 619, 2018

Luna, Sokoloski : Increasing Activity in T CrB Suggests Nova Eruption Is Impending, APJ letters 902, 2020

Marriott : The association’s awards and medal, JBAA, vol 110, 2000

Maslennikova, Tatarnikov et al : Recurrent symbiotic nova T Coronae Borealise before outburst, Arxiv, Astro-Ph, 2023.

Mc Laughlin : Note on a Supposed Earlier Maximum of Nova T Coronae 1866, 1939

Mohr : A star in the western sky : John Birmingham astronomer and poet, 2004

Mohr : John Birmingham of Tuam, a most unusual landlord, Journal of the Galway archeological and historical society, vol 46 1994

Morgan, Deutsch : The spectrum of T conoae Borealis at its 1946 outburst, APJ, vol 106, 1947

Munari, Dallaportac, Cherini : The 2015 super-active state of recurrent nova T CrB and the long term evolution after the 1946 outburst, Arxiv, Astro-PH, 2016

Munari : The secondary maximum of T CrB caused by irradiation of the red giant by a cooling white dwarf, Arxiv, Astro-PH, 2023

Munari : The ”super-active” accretion phase of T CrB has ended, Arxiv, Astro-PH 2023

Pettit : The light-curves of T Coronae Borealis, Astronomical Society of Pacific, 1946

Rives : Réapparition de la Nova T Coronae Borealis (1866), L’Astronomie vol 60, SAF, 1946

Schaefer : The recurrent nova T CrB had prior eruptions observed near December 1787 and
October 1217 AD, Journal for the History of Astronomy, 2023

Schaefer : The recurrent nova T CRB did not erupt in the year 1842, The Observatory, 2013, vol. 133

Schaefer : The ? & ? Light Curves for Recurrent Nova T CrB From 1842–2022, the Unique Pre- and Post-Eruption High-States, the Complex Period Changes, and the Upcoming Eruption in 2025.5±1.3, MNRAS, Preprint 2023

Schaefer : Comprehensive photometric histories of all known galactic recurrent novae, APJ supplement series, vol 187, 2010

Scheiner : A treatise on astronomical spectroscopy, Ginn & Company, 1898

Schmidt : Schreiben des Herrn J. F. Julius Schmidt, Directors der Sternwarte in Athen, an den Herausgeber astronomische Nachtrichten 1867

Toone : The historical outburts of T Coronae Borealis revisited, BAA, varibale star section circular num 138, 2008

 

La Nova T Coronæ Borealis 1866, L’Astronomie vol 60, SAF, 1946

T coronae Borealis, & misc, Nature, vol 157, 1946

The spectrum of T Cor Bor, Sky and Telescope, April 1946

 

 

Modifié par chrismlt
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Passionnant !

Un grand merci 🙏

:)

 

 

  

il y a 25 minutes, chrismlt a dit :

Je dors depuis quelques temps avec une paire de jumelles de 70 mm sous l'oreiller, et l'APN est prêt à être dégainé à la première lueur un peu suspecte qui se montrera au travers des nuées. Et vous ?

Avec une couverture... nuageuse, hélas.

😕

Modifié par Le Gnou
Posté

Trèèèèèès intéressant, mais je n'ai pas tout lu, je reviendrais :pou:

 

il y a une heure, chrismlt a dit :

Quelques prédictions pour la date de la prochaine éruption :

 

Luna, Sokoloski, Mukai et Kuin (2020) : éruption en 2026±3

Maslennikova,Tatarnikov et al (2023) : éruption en janvier 2024

Schaefer, Kloppenborg et Waagen (2023) : éruption en 2024.4±0.3

Je me prépare  ;)

 

il y a une heure, chrismlt a dit :

Je dors depuis quelques temps avec une paire de jumelles de 70 mm sous l'oreiller, et l'APN est prêt à être dégainé à la première lueur un peu suspecte qui se montrera au travers des nuées. Et vous ?

Malheureusement avec toutes les saloperies en orbite terrestre j'en vois pas mal des lueurs suspectes quand j'ai le nez en l'air  :oo:

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