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Nuits heureuses dans la Drôme ; II- Carpe noctem


Vesper

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Au dos de son miroir de cristal

Étaient gravées les initiales de la Terre*

 

 

Une bonne nuit de sommeil, une journée ensoleillée et venteuse, puis l’assemblage, rapide, du 300 et la nuit qui se lève sans fausse pudeur, étincelante. Seul sous le ciel. Juste en-dessous. Pas d’artifices, le strict minimum : la technique fait obstacle, les écrans font écran. Oui, l’observateur face au ciel. Aucun fard et nous deviendrons intimes. Il n’y a pas d’autre Voie.

 

Il faut d’abord rattraper le Scorpion, qui plonge derrière la montagne toutes pinces en avant. Visiter par courtoisie M4, le mastard du coin, puis Graffias qui m’apparaît comme une belle double blanc-bleutée, peu serrée mais bien fine.

Un peu plus loin, Nu Scorpii, ou Jabbah (mais sans Hutt 😉) joli système quadruple qui devrait évoquer epsilon de la Lyre (d’après Burnham Jr. dans son “Celestial Handbook”*) mais dont je ne parviens pas à distinguer la quatrième composante. Tout cela est bas, toujours plus bas, et la turbulence m’empêche de grossir davantage. Ceci dit l’ensemble est fin : une belle double accompagnée d’une composante bleutée allongée.

Je ne parviens pas à distinguer IC 4592, la Tête de Cheval Bleue, qui devrait être là, juste là, à quoi, 2 degrés vers le nord-est. D’ailleurs et rétrospectivement, ni Burnham ni Kepple & Sanner dans “The Night Sky Observer’s Guide”*, ne la mentionnent. Etrange. 

A l’autre bout du Scorpion, j’échoue également sur NGC 6496, le globuleux ovale, trop bas pour les montagnes environnantes et peut-être pour cet hémisphère.

 

Mais tout s’enfuit par l’ouest c’est bien connu, et moi-même d’ailleurs m’échappe vers le Sagittaire qui resplendit en effleurant une crête.

En visite de courtoise, il faut saluer M8, lagune bien visible à l'œil nu, flamboyante, littéralement enflammée, et M20 qui la surplombe, petit nénuphar posé là. Très bel ensemble, dans le même champ au 30mm (82°), très structuré, spectaculaire ! Une flaque de feu sur une voie lactée phosphorescente. Il y a du volume et de la perspective, même. 

On fait bien de passer et repasser sur les vieilles connaissances : de nouveaux détails peuvent toujours apparaître, et puis l’observation est tellement dépendante des facteurs environnementaux que, à la faveur d’un instant d’exception, une apparition peut se produire. Voire une transfiguration. L’épiphanie est rare, c’est d’ailleurs le principe de la chose, mais quand elle survient elle est glorieuse !

 

Il faut remonter un peu pour M 24, l’une des fenêtres ouvertes sur le centre galactique, qui troue la poussière  avec une nuée de diamants où je distingue des chenaux sombres, des vallées, des gorges et des golfes. Le ciel est réellement de la partie, malgré la hauteur qui, fatalement et suivant sa pente naturelle, décline.

Toujours plus haut bien entendu, M 17 apparaît très structuré, détaillé, magnifique. Des voiles, des brumes, des zones de brillance différentes. Des extensions. Vision structurée et brumeuse tout à la fois. Un oiseau lumineux sur des eaux fumantes. Belle observation ! 

Petit détour par le Serpent pour saluer l’Aigle, qui survole la scène, forcément. Phosphorescent, structuré et détaillé, avec force extensions et volutes en vision directe. Comme un phoenix qui émerge du brasier voie-lactien.

Je reviens dans le Sagittaire pour M 22, très beau globulaire où je distingue quelques irrégularités de forme et de structure. M 28 offre bien moins, mais avec Kaus Borealis tout à côté le spectacle est plaisant. Plus bas, M 54 non loin à l’ouest d’Ascella (zeta Sagittaire), non résolu et décevant.

 

Mais on me hèle du côté du 500, c’est Xavier qui veut me montrer Little Gem. Ahhh oui, elle est joliment colorée de bleu-vert ! …Et il y a une double ovalisation, comme deux ovales superposés peut-être. Et puis, mais oui, des détails dans la structure, des zones contrastées, plus ou moins lumineuses… L’image est bien fine, il y a aussi un velouté, cette douceur typique des excellents miroirs d’artisans. Je la retrouve au 300, nettement moins détaillée évidemment, et un peu plus rugueuse, mais bien colorée. Mon bouzin ne démérite pas.

Puis NGC 6822, la galaxie de Barnard, un degré au sud de Little Gem, devinée comme une pâle lueur. Ah oui c’est bien pâlot. Je vais un peu de gauche et de droite, du bout des doigts, je vais et reviens… là ! Il y a quelque chose, là ! Un petit goût de reviens-y.  Je fais appel à Xavier qui me la confirme de son meilleur œil de lémurien.

Etant dans le secteur, je vais me perdre ensuite un moment sur M 75, petit globulaire condensé au centre quasi-stellaire. Mais je suis ici à la frontière du Capricorne, je voulais voir la fenêtre de Baade, dans le Sagittaire, je me suis égaré, vite revenir plein ouest avant qu’une occultation montagneuse, si je puis dire, ne me barre la vue.

Dans ses “Small wonders” Tom Trusocks* mentionne deux amas globulaires, NGC 6522 et NGC 6528, observables dans l’une des déchirures du nuage de poussières qui autrement empêche de voir en direction du centre galactique. La fenêtre de Baade. Il faut se diriger vers gamma du Sagittaire. 

Je file rapidement et dans l’ouest finissant, tel un Mercure en déroute. Là ! Oui là, à disons quoi, un gros demi-degré de gamma (Al-Nasl), versant ouest, je distingue un discret amas globulaire. Et là encore, dans le même champ, en voici un second plus ténu encore. Ça y est : j’observe à travers la fenêtre de Baade, dans une trouée qui dévoile ce qui est habituellement voilé, des objets à 25 000 années-lumière et proches du centre galactique.  Je ne les avais jamais vus, toujours trop bas, toujours dans les brumes de pollution de la campagne alsacienne. Ahh, c’est donc ça. Faiblard, mais émouvant. Se dire qu’on observe loin en direction du centre de la galaxie, et proche de son cœur… c’est émouvant et intéressant, vraiment.

L’astronomie est décidément un plaisir autant intellectuel qu’esthétique.

 

Je remonte ensuite par l’Ecu de Sobieski. On y tombe toujours sur M 11, l’amas des Canards Sauvages (au pluriel, car il s’agit d’un vol de canards migrateurs. Si). Très joli avec sa centrale orangée. De la poudre de diamants, organisée en formation migratrice. Au 30 et au 13mm mais mieux au 30, dans son jus stellaire.

Ensuite mais juste au sud, M 26, petit amas peu dense. Au 30 mm. Semble pauvre, surtout après M11. Mais fin, à la réflexion, raffiné même, comme une petite pincée de poudre de diamants.

Deux petits degrés vers le nord-est, NGC 6712, globulaire discret et assez lâche. J’échoue à repérer IC 1295, qui devrait pourtant être tout à côté, mais ce doit être un objet pour astro-imageurs.

Je m’échappe sur NGC 6664, joli amas ouvert tout à côté d’alpha. Au sud du champ, Sue French dans son “Celestial Sampler”* signale Isserstedt 68-603, un arc d’étoiles envisagé un temps comme un marqueur du caractère spiral de la galaxie. Mais il n’en fut finalement rien et aujourd’hui c’est un banal astérisme.

 

A l’ouest, dans Ophiucus, je rends mes hommages aux globulaires du coin, M 12, 10 et 14. Je profite toujours de ces visites de courtoisie pour glaner je l'ai dit quelques détails, rafraîchir mes images mentales, et puis tout simplement pour leur propriétés esthétiques.

Je file sur IC 4665, ou Crèche d’été, petit paquet visible à l’oeil nu à côté de Cebalrai, et qui à l’oculaire exhibe une vingtaine d’étoiles.

NGC 6633, dix degrés vers l’est, est nettement plus spectaculaire ! Cet amas ouvert est assez fourni, une trentaine d’étoiles réparties en longueur. Sympathique, surtout au 30mm.

Je plonge ensuite dans IC 4756, ou amas de Graff car redécouvert par Kasimir Graff en 1922, après que Philippe Loys de Chéseaux l'ait dit-on peut-être déjà cité au 18e siècle. Kepple et Sanner le qualifient de “exceptionnellement grand et dispersé” (“The Night Sky Observer’s Guide”*, 2-378) et il est grand en effet, étiré qu’il est sur plus d’un degré.

 

Mais une voix d’outre-tombe me tire de ma transe, on dirait que cela provient d’un arbre, ah mais non c’est toujours Xavier derrière son 500, qui veut me montrer Barnard 139. Moui… Ah, oui… oui oui oui, sûrement. Je soupçonne quelque chose, là. Ou là-bas. A moins que ce ne soit par là… Un soupçon de noir, sur fond noir. Disons : une qualité de noir différente. Il y a le noir du fond de ciel, et puis comme un noir opaque peut-être répandu ici et là. Ou là-bas. Ces nuages obscurs : même au 500 c’est fuyant, fuyant…

D’autres objets m’appellent, qui trouent la nuit de leur splendeur, eux.

 

(à suivre)


 

* inspiré de Pablo Neruda :

Il fut tendre et sanglant mais sur la poignée de son arme, 

cristal mouillé, 

les initiales de la Terre étaient écrites.

in Pablo Neruda, Chant général, La lampe sur la Terre, Amor América (1400)

 

* Bibliographie :

TRUSOCK, Tom, “Small wonders”, Cloudy Nights ;

FRENCH, Sue, “Celestial sampler”, Sky & Telescope Media ;

KEPPLE (George Robert), SANNER (Glenn W.), “The Night Sky Observer’s Guide”, Willmann-Bell, Inc., 2002 5e édition.

BURNHAM Jr., Robert, “Burnham’s Celestial Handbook”, Dover publications Inc., 1978.

 

Bande-son :

Niels Petter Molvaer

Scorpions

Modifié par Vesper
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Merci pour ce super CROA si bien écrit ... J'attends la suite avec impatience !!

 

Il y a 18 heures, Vesper a dit :

Deux petits degrés vers le nord-est, NGC 6712, globulaire discret et assez lâche. J’échoue à repérer IC 1295, qui devrait pourtant être tout à côté, mais ce doit être un objet pour astro-imageurs.

 

Non, sous un bon ciel IC1295 est bien visible avec un filtre OIII ( et même sans mais c'est discret ). Je l'ai dessiné il y a peu !!

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Merci Jcco pour ton commentaire, ô mon Lecteur ! :)

Oui, on m'a dit ailleurs qu'IC1295 est en fait visible : j'ai dû passer et repasser dessus ! C'est curieux parfois... Mais je l'aurai un jour, enfin une nuit, je l'aurai ! :)

Merci encore à toi.

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Merci pour ce beau texte qui fait honneur à cette belle nuit 🙂

 

Content d y croiser Sur French aussi,  j aime bcp le celestiam sampler .

 

PS j etais en Drôme en juillet,  avec une belle nuit au 200...avant de remonter au nord.......

Modifié par Otzi
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Superbe ! j'ai eu le temps cette fois de lire en entier.

Dans les 3 premières lignes, je me reconnais intégralement !

 

Belle balade avec de beaux classiques, mais aussi un peu en dehors, comme ce joli petit couple NGC 6522 - 6528, séparés par un astérisme en forme de Y (selon le sens, selon l'instrument).

Ah ! ces 3 derniers gros amas ouverts que tu cites, je les ai re-parcourus aux jumelles vers le 15/08, en déplacement, lors de l'ouverture de cette prodigieuse période de soirs clairs.

Par contre, les Barnard, je les boude, sauf exception. Chez moi, même au 300, c'est souvent la déception assurée.

Echec récemment sur le S dans Ophiuchus (Ba 72)

Peut-être avec des jumelles >= 50 mm sous ciel de montagne pour les plus gros ?

 

 

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Le 13/09/2023 à 15:09, Otzi a dit :

Content d y croiser Sur French aussi,  j aime bcp le celestiam sampler .

Merci ! Oui, c'est une référence pour les petites balades décontractées, les mains dans les poches et le nez au vent...:cool:

 

Le 14/09/2023 à 13:08, etoilesdesecrins a dit :

Peut-être avec des jumelles >= 50 mm sous ciel de montagne pour les plus gros ?

Pour les Barnard, je ne sais pas. North America est discernable aux 50 sous un bon ciel de montagne... Du coup, peut-être les Barnards les plus étendus, oui. A tenter !

Sinon, j'ai eu l'occasion à Valdrôme de remonter tous les nuages obscurs de la voie lactée, sans souci, avec un... intensificateur de lumière OVNI-B (binoculaire, donc). Spectaculaire, mais ce n'est pas du jeu !  J'y viendrai dans un dernier épisode de CROA...
 

Merci à tous deux pour vos commentaires ! :)

Modifié par Vesper
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Salut Vesper,

 

Merci pour ce cro inspiré et inspirant.

Je ne connaissais pas les Small Wonders ; je vais m'empresser de rapatrier ça sur le disque dur.

 

Tu te positionnes où en Drôme, pour ce genre de nuits ?

Je suis dans le secteur, et du coup, j'ai pas mal bourlingué et connais de superbes coins en altitude, mais pas que.

 

Christophe

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Salut Christophe,

C'était à Valdrôme (station), les rencontres Astrociel : le ciel et la compagnie y sont très bons.

il y a 36 minutes, chrismlt a dit :

Je ne connaissais pas les Small Wonders ; je vais m'empresser de rapatrier ça sur le disque dur.

Oui c'est une petite pépite. Tom Trusock tenait une chronique mensuelle sur CloudyNights, autour des années 2010. Il est malheureusement mort récemment, mais sa chronique lui survit...

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Ah oui, Valdrôme, forcément !

Je n'y suis jamais allé, quoi qu'habitant pas très loin ; ça se passe systématiquement quand je suis en vacances plus profondément dans les Alpes. Encore quelques années, et la retraite aidant, je n'aurait plus à faire un tel choix ;-).

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Il y a 19 heures, Vesper a dit :

, c'est une référence pour les petites balades décontractées, les mains dans les poches et le nez au vent...:cool:

Tout a fait 😉

 

J aime bien aussi "Starwatch" de Philip S Harrington, qui détaille 125 objets, avec un "wow factor"

 

 

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De toute façon, dans le coin, sauf spot de voisinage ou petite ville, c'est relativement bon (quand on n'a pas les ciels mous de la première moitié 2023 bien sûr).

Pas très loin, j'ai un coin familial entre Sisteron et Gap vers seulement 600-700 m alt et c'est déjà très bon

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