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Posté (modifié)

Le premier scoop de l'histoire, le samedi 30 août 1794 (13 Fructidor an II).

 

Bonjour à toutes, et bonjour à tous, :)

 

Grâce à Internet vous êtes habitués à ce que l'information circule à une vitesse phénoménale partout dans le monde… Et pourtant, pendant longtemps, jusqu'à un jour d'août 1794, l'information n'a circulé qu'à la vitesse des malles-poste, soit "quatre lieues" à l'heure (16 kilomètres par heure), et encore fallait-il toutes les "sept lieues" (28 kilomètres) s'arrêter beaucoup plus longuement à un relais de poste où il fallait changer les chevaux des diligences… De plus, il fallait, c'était plus prudent, ne rouler que de jour. Il fallait donc deux jours entiers à la malle-poste pour relier Lille à Paris (220 kilomètres).

 

C'est à un jeune Sarthois, Claude Chappe (1863-1805), né à Brûlon (Sarthe) le jour de Noël 1763, que l'on doit un changement considérable dans la transmission de linformation. Tout comme son oncle, l'abbé astronome Jean Chappe d'Hauteroche (le seul observateur a avoir pu observer entièrement deux passages consécutifs de Vénus sur le disque du Soleil : le 6 juin 1761 à Tobolsk en Sibérie, puis huit ans plus tard, le 5 juin 1769 à San José del Cabo en Californie mexicaine ; il en mourra d'ailleurs sur place, le 1er août 1769) il devint d'abord abbé, mais renonça à l'état ecclésiastique dès le début de la Révolution française…

 

Claude Chappe eut l'idée génial d'utiliser des bras articulés au sommet d'édifices implantés en altitude pour transmette des messages avec une rapidité insoupçonnée jusqu'alors…

 

Voici à quoi ressemblaient les édifices du télégraphe optique Chappe :

 

292px-T%C3%A9l%C3%A9graphe_Chappe_1.jpg

 

Sa première ligne télégraphique fut installée de Paris à Lille, avec 13 relais intermédiaires, et mise en service vers la mi-juillet 1794.

 

Le côté très avant-gardiste de Claude Chappe fut d'avoir été à contre courant total de ce qui se faisait alors pour assurer le secret de la transmission des messages : jusqu'alors on les codait soigneusement, puis on pliait le message et on le cachetait avec des sceaux de cire, et souvent même on le mettait dans une grande enveloppe, elle-même cachetée, et tout cela était mis dans un sac plombé… Chappe, au contraire faisait circuler ses messages au su et au vu de tout le monde, sur des édifices situés en hauteur où chacun aurait pu tenter de percer le secret du code employé, en recopiant les positions prises par les bras articulés. Cela aurait été vain, car même les "télégraphiers" stationnaires (ceux qui étaient d'astreinte dans une "station" Chappe) ignoraient eux-même le contenu des messages qu'ils transmettaient… Leur rôle était d'observer depuis une lunette à grand puissance la position des bras articulés de la station télégraphique précédente, et de noter sur une feuille toutes les positions prises par les bras articulés de cette station, et à la fin de la transmission de remettre cette feuille à l'autre collègue afin qu'il manœuvre les bras de sa station pour retransmettre à son tour le message codé à la station télégraphique suivante. Un message de dix mots pouvait être transmis de Lille à Paris en dix minutes environ !… :)

 

Seules deux personnes pouvaient décoder le message : celui qui le codait à Lille et celui qui le décodait à la station de Paris, située au palais du Louvre. ;)

 

Le vendredi 15 août 1794 (28 Thermidor an II) Abraham Chappe (un des frères de Claude) transmet de 17h45 à 19h30 la première dépêche historique de toute l'histoire : il annonce au gouvernement de Paris que les Armées de la République ont repris aux armées autrichiennes la ville du Quesnoy. Les responsables de la Convention, mis immédiatement au courant, ont décidé prudemment de ne pas diffuser cette nouvelle, attendant d'en recevoir la confirmation par la malle-poste en provenance de Lille. Après-tout, quelle garantie avaient-ils que ce message n'avait pas été intercepté et déformé par les ennemis de la République pour la ridiculiser. Et le dimanche 17 août 1974 (30 Thermidor an II) la malle-poste de Lille a apporté la confirmation de la nouvelle : Le Quesnoy avait bien été repris aux autrichiens… La premier "scoop" de l'histoire était raté, mais désormais la Convention avait confiance en ce tout nouveau "télégraphe".

 

Heureusement pour Claude Chappe, le vent de l'histoire va souffler de nouveau favorablement pour lui…

 

Le samedi 30 août 1794 (13 Fructidor an II) la station télégraphique de Lille commence à envoyer une dépêche vers Paris à 15h06. Les "télégraphiers" des treize stations entre Lille et Paris acheminent un à un les mots du message, et à Paris le "décodeur" le retranscrit en clair… Et puis, brusquement à 15h18 la transmission s'arrête !… Deux minutes plus tard la station télégraphique de Lille commence un nouveau message. Celui-ci est également décodé par l'inspecteur du télégraphe à paris. Celui-ci n'en revient pas du contenu du message de neuf mots envoyés par la station télégraphique de Lille à partir de trois heures vingt de l'après-midi : « Condé [il s'agit de la ville de Condé-sur-l'Escaut] - être - restitué - à - République - reddition - avoir eu lieu - ce - matin - à - six - heures ».

 

Immédiatement l'inspecteur montre la dépêche à Claude Chappe, celui-ci en saisi tout de suite l'importance et file à la Convention où il informe Lazare Carnot ("l'Organisateur de la victoire"). Ce dernier va alors à la séance publique de la Convention où les députés sont en train de s'interpeller vertement. Lazare Carnot monte à la tribune, un papier à la main, et déclare alors aux députés redevenus soudainement silencieux : « Voici le rapport du télégraphe qui nous arrive à l'instant. Condé être restitué à République (vifs applaudissements souvent répétés au milieu des cris de "Vive la République"). Reddition avoir eu lieu ce matin à six heures (les applaudissements se renouvellent et se prolongent longtemps) ».

 

Ce qui est important c'est que Condé-sur-l'Escaut a été reprise aux Autrichiens à six heures du matin ce samedi-là, et dès quatre heures moins le quart de l'après-midi tous les députés de France en étaient informés !!!… La France était rentré ce jour du samedi 30 août 1794 (13 Fructidor an II) dans l'ère des "télécommunications" (en réalité ce mot ne sera inventé qu'en 1904 par l'ingénieur des Postes et Télégraphes Édouard Estaunié)

 

Le député Pierre-Joseph Cambon demande que l'on envoie immédiatement par le télégraphe à la ville de Condé son changement de nom en "Nord-Libre". Les députés approuvent cette décision. A 16h59 la station du télégraphe situé au Louvre commence à envoyer cette dépêche vers Lille. A 17h10 elle est reçue puis décodée dans le Chef-lieu du Nord. Un cavalier part immédiatement pour Condé-sur-l'Escaut (distant de 58 km), et, après un changement de cheval dans un relais de poste, il arrive à 18h20 à Condé qui est informée qu'elle s'appelle désormais "Nord-Libre"…

 

Ce samedi 30 août 1794 (13 Fructidor an II) fut vraiment la date de naissance des télécommunications en France.

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

 

Source : "La Télégraphie Chappe" par Paul Pérardel, Président, et Paul Charbon Vice-Président, de la "FNARH" (Fédération Nationale des Associations de personnel des Postes et Télécommunications pour la Recherche Historique) ; les éditions de l'Est à Jarville-la-Malgrange (Meurthe-et-Moselle) ; 4ème trimestre 1993.

 

Sinon, ceux que l'histoire des télécommunications en France intéressent (je pense particulièrement au Webastram Bruno - alias "bb98") peuvent consulter l'ouvrage d'Alexis Belloc (ancien Inspecteur du Contrôle de l'Administration des Postes et Télégraphes, Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier d'Académie) "La télégraphie historique : depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours" (2ème édition : 1894) qui a été numérisé par la Bibliothèque Nationale de France (BNF) sur son site "Gallica" : http://visualiseur.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k621150. Le récit de l'intervention de Lazare Carnot à la tribune de la Convention est à la page 104. Sinon, le site Internet américain "archive.org" a numérisé également ce livre, mais d'une façon beaucoup plus confortable à lire : https://ia600904.us.archive.org/BookReader/BookReaderImages.php?zip=/14/items/latlgraphiehist00bellgoog/latlgraphiehist00bellgoog_jp2.zip&file=latlgraphiehist00bellgoog_jp2/latlgraphiehist00bellgoog_0009.jp2&id=latlgraphiehist00bellgoog&scale=9.30521472392638&rotate=0
l'intervention de Lazare Carnot à la tribune de la Convention est à la page 104 : https://ia600904.us.archive.org/BookReader/BookReaderImages.php?zip=/14/items/latlgraphiehist00bellgoog/latlgraphiehist00bellgoog_jp2.zip&file=latlgraphiehist00bellgoog_jp2/latlgraphiehist00bellgoog_0126.jp2&id=latlgraphiehist00bellgoog&scale=6&rotate=0 .

Enfin, avant de terminer, je voudrais signaler qu'Alexis Belloc a également écrit "Les postes françaises : recherches historiques sur leur origine, leur développement, leur législation" (Paris Firmin-Didot, 1886). Cet ouvrage a été également numérisé par la Bibliothèque Nationale de France (BNF) sur son site "Gallica" : http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-94475&I=4&M=tdm. Ça peut intéresser les Postières ou les Postiers astronomes amateurs, ou des membres de leur famille… Je pense notamment à la fille de Dédé de Saint-Fé… ;)

Modifié par roger15
  • 3 semaines plus tard...
Posté

Je suis passé récemment sur le lieu parisien (les hauteurs de Belleville, point culminant de Paris, à 128 mètres) où avait été construit le terminal Chappe. Il y a là, maintenant, deux châteaux d'eau du plus bel effet architectural.

 

Au passage, j'ai appris que l'infortuné Chappe avait fait une première tentative de construction de son télégraphe en 1792, mais que les Bellevillois, méfiants, avaient incendié tout le bouzin, pensant que c'était un dispositif pour tenter de communiquer avec Louis XVI qui était incarcéré à la prison du Temple.

Posté

Roger le dénicheur!

Tu nous trouves là encore un sujet très intéressant formidablement décrit et documenté.

Tu fouilles, creuses, remet à jour d'anciennes choses comme un paléontologue de l'écrit.

 

nb: Je l'avais raté: merci Jeff.

Posté (modifié)

Bonjour Jeff, :)

 

Pour ceux qui voudraient rechercher les vestiges des anciennes stations du télégraphe optique Chappe voici la carte avec la totalité des 535 stations du réseau français vers 1840 :

 

carte.jpg

 

A la fin des années quatre-vingts, alors que j'étais en vacances dans l'Aude, j'ai eu le plaisir de retrouver les vestiges d'une ancienne tour du télégraphe optique Chappe à Trèbes, située non loin de la majestueuse tour hertzienne des Télécommunications de Trèbes…

 

trebes_1.jpg

 

Le rapprochement de ces deux tours des télécommunications, construites à des époques très différentes, est très émouvant…

 

L'ouvrage de Georges Galfano "Le télégraphe Chappe dans l'Aude" (1986) montre d'ailleurs en couverture une photo de ces deux ouvrages, avec au premier plan à gauche les vestiges de la tour Chappe :

 

422px-Telegraphe_de_Chappe.jpg

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

 

PS : merci à Gérard 33. :be:

Modifié par roger15
Posté

:??:Sur la photo, je ne vois pas les restes du télégraphe...

Posté
:??:Sur la photo, je ne vois pas les restes du télégraphe...

 

Bonjour LnV, :)

 

Regarde bien, en bas et à gauche de la couverture du livre de Georges Galfano, tout juste derrière l'arbre au premier plan, ce sont les vestiges, à moitié effondrés, de l'ancienne tour du télégraphe optique Chappe près de Trèbes dans l'Aude. :)

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté

Bonsoir à toutes et bonsoir à tous, :)

 

La carte de la totalité des 535 stations du réseau télégraphique optique Chappe vers 1840 peut avoir un grand intérêt pour les astronomes amateurs qui recherchent des lieux très dégagés… En effet, par définition, ces stations étaient toutes situées sur des promontoires d'où on pouvait voir la station précédente et la station suivante. Donc, dans des lieux (du moins en 1840) avec une vue très dégagée !… Ça voudrait peut-être le coup, si vous avez la chance d'être près d'une de ces lignes télégraphiques, d'aller repérer où étaient exactement situées ces stations… Il y a sans doute des "spots" nouveaux à découvrir… ;)

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

 

PS : vous avez pu constater en regardant cette carte que le centre de la France et Massif-Central n'étaient hélas pas concernés par ces lignes télégraphiques… :cry: :cry: :cry:

Posté

Superbe, cette carte ! (ca devait être peinard, le Massif central à l'époque....)

 

Mais le site Télégraphe dans le XXème arrondissment de Paris sera-t-il idéal poour observer le ciel ? :?:

 

Au passage, on peut signaler que la station de métro Télégraphe est la plus profonde de Paris. ;)

Posté

Juste un détail qui me chiffonne : La carte est datée de 1840 !

 

Et la frontière Est ( entre la France et l' Italie ) passe à son endroit actuel vers les deux Savoies !

 

Hors , il faut attendre 1860 pour le rattachement de la Savoie à la france !

 

Avant cette date , nous étions rattachés au Royaume de Sardaigne , avec le Piémont Italien ( soit la vallée d' Aoste actuelle ) ! Donc si l' on admet le Royaume de Sardaigne comme " presque province Française " , il faudrait y voir la partie Italienne dans cette carte ! Sinon , les Frontières Françaises devraient se trouver en deça des deux Savoies !

Posté

Bonjour Jean-Paul, :)

 

Félicitation pour ton œil de lynx !… :be: :be: :be:

 

Il est effectivement évident que la carte n'est pas de 1840. Il y a deux autres indices : le département des Alpes-Maritimes a ses frontières actuelles, or le Comté de Nice ne deviendra français qu'en 1860, en même temps que les deux Savoie, et le département du Territoire de Belfort est autonome alors qu'avant 1871 il était incorporé dans le Haut-Rhin… ;)

 

Donc cette carte est une carte plus récente (sans doute du 20ème siècle) sur laquelle on a dessiné les emplacements de toutes les stations Chappe. Mais si un internaute de Webastro trouvait une carte originale du 19ème siècle ce serait bien qu'il nous la poste… :)

 

Roger le Cantalien.:rolleyes:

Posté

Bonjour Jean-Paul, :)

 

Merci pour cette carte des frontières alpines de la France. :be: Mais il y manque le dernier accroissement territorial de notre pays, suite au traité de Paris du 10 février 1947 : le rattachement des deux communes de Brigue et de Tende au département des Alpes-Maritimes et la rectification de frontière entre la France et l'Italie, en respectant cette fois-ci (ce qui n'avait pas été le cas lors du traité de Turin du 24 mars 1860 ; voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Turin_(1860) la règle de la "ligne des crètes". Ainsi le fort du Chaberton, qui menaçait la ville de Briançon (Hautes-Alpes) de ses huit tours d'artillerie avec chacune un puissant canon (et que les chasseurs alpins français ont détruit l'après-midi du 21 juin 1940), est devenu français… Depuis, les Briançonnais peuvent dormir tranquilles… ;)

 

Pour tout savoir sur les rectifications de frontière entre la France et l'Italie suite au traité de Paris du 10 février 1947 voir : http://www.aid97400.lautre.net/spip.php?article552&artsuite=0#sommaire_1

 

Sur le fort du Chaberton, voir : http://www.lignemaginot.com/ligne/schoen/expob3/o280.htm

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté

Bonjour Roger :),

 

Intéressant ce post sur le premier télégraphe. Je n'avais jamais pensé que les messages étaient codés, je croyais qu'ils avaient mis au point un langage universel, genre l'équivalent du Morse mais en visuel, que tout le monde pouvait apprendre.

Mais je n'avais pas réalisé non plus que cette invention était avant tout à l'usage des militaires.

Posté

Et le téléphone gaulois, alors!!! :)

on l'oublie celui-là!

 

Bon, c'est vrai, il était beaucoup plus rustique et vraiment moins discret que celui de Chappe.

 

Le principe était de monter sur une colline puis de crier aux quatre vents la nouvelle à transmettre. Ainsi, de proche en proche, les voisins la recueillent et la transmettent aux autres voisins.

 

Le premier à en avoir fait les frais, et surtout à le narrer, fut César en 52 avant JC.

La nouvelle de la révolte de Cenabum (Orléans) fut connue le soir même chez les Arvernes (Puy de Dôme et Cantal actuel), soit environ 300 km en 10 heures, soit du 30 km/heure.

Posté (modifié)
Et le téléphone gaulois, alors!!! :)

on l'oublie celui-là!

 

Bon, c'est vrai, il était beaucoup plus rustique et vraiment moins discret que celui de Chappe.

 

Le principe était de monter sur une colline puis de crier aux quatre vents la nouvelle à transmettre. Ainsi, de proche en proche, les voisins la recueillent et la transmettent aux autres voisins.

 

Bonsoir Tatien, :)

 

Ton "téléphone gaulois" m'a fait repenser à un film que j'avais adoré dans ma jeunesse : le dessin animé de Walt Disney en 1961"Les 101 Dalmatiens" et spécialement l'épisode où le chien Pongo (le chien de Roger Ratcliff) lance le soir dans Londres "l'aboiement du soir" annonçant le rapt, par Cruella, de ses 15 petits chiots (qu'il a eu avec la chienne Perdita) et que les chiens de toutes races répercutent de loin en loin jusqu'à une campagne perdue du Nord de l'Angleterre…

 

23772444.jpg

 

La scène de "l'aboiement du soir" commence à 14 minutes et 24 secondes de la vidéo Dailymotion de ce dessin animé : http://www.dailymotion.com/video/x7eszd_les-101-dalmatiens-partie-2_shortfilms

 

Et elle se prolonge au début du lien suivant : http://www.dailymotion.com/vids/13708960+14056064+12448683+12449300+12449644/video/x7etgr_les-101-dalmatiens-partie-3_shortfilms

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Modifié par roger15
  • 2 années plus tard...
Posté (modifié)

Le deuxième scoop de l'histoire de France: le dimanche 5 mars 1815..

 

 

« L'aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame » (déclaration de Napoléon Bonaparte à Golfe Juan, le mercredi 1er mars 1815).

 

Bonjour à toutes et bonjour à tous, :)

 

Échappé très discrètement de l'île d'Elbe le dimanche 26 février 1815, Napoléon débarque à cinq heures du matin au golfe Juan le mercredi 1er mars 1815. Le gouvernement n'en fut informé par le télégraphe optique Chappe que le dimanche 5 mars 1815, à onze heures du matin.

 

Alexis Belloc dans son livre "La télégraphie historique depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours" paru à la librairie Firmin Didot à Paris en 1888 indique que dans son intéressant ouvrage "Le Cabinet noir" ("Le Cabinet Noir" par le comte d'Hérisson, Paris, Ollendorf, 1887, pages 146 et suivantes), Monsieur le comte d'Hérisson cite un curieux rapport de police sur le baron de Vitrolles, où l'on relate comment la nouvelle du débarquement de Napoléon fut portée à la connaissance du roi Louis XVIII. Voici les termes du rapport de Monsieur le comte d'Hérisson :

 

« On en était là lorsque la conversation a tout à coup changé de direction; à propos de prétendues nouvelles d'Angleterre venues par la voie du télégraphe, M. le baron de Vitrolles a raconté un fait et des circonstances se rapportant au 20 mars, et dignes en quelque sorte de l'intérêt de l'histoire.

 

Il a dit qu'étant chargé à cette époque, de recevoir et d'ouvrir toutes les dépêches télégraphiques destinées au Roi Louis XVIII, il vit arriver un matin sur les onze heures, le sieur Chappe, directeur du télégraphe, tout essoufflé et la figure altérée, qui lui dit :

- Je vous cherche depuis plus d'une heure, monsieur le baron; voici une nouvelle de la plus haute importance et qu'il ne faut pas laisser ignorer une seule minute au Roi.

- Vous avez l'air de la savoir? reprit M. de Vitrolles. Est-ce que le traducteur vous l'aurait dite ? [seuls les "traducteurs" officiels du Ministère de l'Intérieur avaient le droit de décoder les messages transmis par des bras articulés d'une station à l'autre].

- Non, répondit le sieur Chappe. Mais il ne m'a pas laissé ignorer qu'il y allait de la sûreté du Roi et de sa famille, qu'ainsi il n'y a pas un moment à perdre. »

Sur ce, M. de Vitrolles ignorant lui-même le contenu de cette dépêche, se rendit de suite dans le cabinet du Roi Louis XVIII et la lui remit.

Sa Majesté l'ouvrit, la lut sans que sa figure éprouvât la moindre altération et, la rejetant sur une table qui était devant lui, se borna à dire avec calme :

« Bonaparte est débarqué en France, lisez vous-même la nouvelle. »

M. de Vitrolles s'écria alors :

- Sire, c'est une position qu'un seul fait doit décider : si, à la première rencontre, les soldats français tirent sur Bonaparte, il est perdu. Dans le cas contraire, il arrivera jusqu'à Paris.

- Voyez de suite, reprit le Roi, le Ministre de la guerre; qu'on avise à ce qu'il y a à faite, et qu'on garde jusqu'à nouvel ordre le silence le plus absolu sur cet événement. »

 

Monsieur de Vitrolles se rendit ensuite en toute hâte au Ministère de la guerre, lorsqu'il rencontra le Ministre lui-même (le Maréchal Soult) sur le pont Royal, se rendant à pied aux Tuileries. Il fit arrêter le Maréchal, ouvrit la portière de sa voiture et, lui présenta la dépêche télégraphique qu'il tenait à la main et la lui fait lire. Le Maréchal Soult douta d'abord de la nouvelle, puis monta dans la voiture de Monsieur de Vitrolles, et tous arrivèrent chez le Roi Louis XVIII. Le maréchal Soult entra seul dans le cabinet du Roi, et en ressortit au bout de quelques minutes et remit à Monsieur de Vitrolles une réponse à la dépêche, qu'il avait écrite dans le salon qui précède le cabinet du Roi ; cette réponse indiquait qu'on doutait de la nouvelle, qu'on en attendait la confirmation, mais que dès le lendemain de cette confirmation on ferait passer des ordres; la dépêche était adressée au général Brayer, qui commandait la division du côté de Lyon.

("Le Cabinet Noir" par le comte d'Hérisson, Paris, Ollendorf, 1887, pages 146 et suivantes).

 

Voici, toujours d'après l'ouvrage d'Alexis Belloc, la reproduction des dépêches qui furent échangées à cette occasion entre le comte de Chabrol, préfet de Lyon, le général Brayer et le Maréchal Soult, dépêches qui n'ont pas encore été livrées à la publicité.

 

Dépêche du samedi 4 mars 1815 à 4 heures du soir :

 

« (Très pressée.)

 

Au Ministère de la guerre.

 

Un courrier extraordinaire envoyé par le préfet du Var m'apprend que Bonaparte a débarqué le 1er mars avec 1.600 hommes au golfe Juan, a passé à Grasse le deux et se dirige par Saint-Vallier, Digne et Grenoble sur Lyon.

Je m'entends avec les autorités civiles et militaires sur les mesures à prendre.

 

Signé : Le préfet comte Chabrol. »

 

Cette première dépêche fut confirmée par une deuxième dépêche télégraphique transmise ce même samedi 4 mars 1815 à 11 heures du soir par le général Brayer, Commandant la 19ème division de Lyon :

 

« A son Excellence le Ministre de la Guerre.

 

Une nouvelle dépêche m'apprend que Bonaparte a bivouaqué le 3 mars à Digne. Il a 1.000 hommes et 4 canons.

Il achète tous les chevaux.

Le 20ème régiment arrive à Lyon.

Bonaparte compte, dit-on, sur des partisans à Grenoble.

Nous nous mettons en mesures.

 

Signé : Le lieutenant général commandant la 19ème division.

Brayer. »

 

Par suite de l'absence de télégraphie de nuit, ces deux dépêches ne purent être mises en transmission que le lendemain, dimanche 5 mars 1815, à la pointe du jour, et elles parvinrent dans la matinée à Paris.

 

Le maréchal Soult ne put peut croire ses yeux et il s'empressa de demander au général Brayer des détails plus précis sur une nouvelle qui lui paraissait aussi invraisemblable. Voici la dépêche du Maréchal Soult au général Brayer :

 

« Dépêche télégraphique.

Paris, le 5 mars 1815, à deux heures de l'après-midi.

 

Le Ministre de la guerre au général commandant à Lyon (à communiquer à M. le préfet).

 

Je reçois vos dépêches télégraphiques de ce jour. La nouvelle que vous donnez paraît invraisemblable.

Comment vous est-elle parvenue? Par qui a-t-elle été donnée ? d'où et quand ? Envoyez-moi tout de suite les rapports qui ont été faits à ce sujet ; si c'est par une personne qui aurait vu par elle-même, envoyez-la en poste à Paris pour rendre compte.

Signé : Le Ministre de la guerre, le Duc de Dalmatie. »

 

Après avoir reçu une nouvelle confirmation des événements, le maréchal Soult se concerta avec le Roi pour l'exécution des mesures que comportait la situation. Les troupes furent mises en mouvement et il fut décidé que Monsieur [le frère cadet de Louis XVIII, le comte d'Artois, le futur Charles X] se rendrait à Lyon pour se placer à la tête de l'armée.

 

Voici maintenant les instructions que le Maréchal Soult donna par télégraphe optique au général Brayer :

 

« A Paris, le 6 mars 1815,

 

A M. le général Brayer, commandant à Lyon.

 

Général, j'ai rendu compte au Roi des rapports qu'hier vous avez faits par le télégraphe.

Son Altesse Royale Monsieur se rend à Lyon, où elle commandera l'armée qui doit s'y réunir ; prévenez-en les troupes, afin que l'on se conforme aux ordres que S. A. R. donnera.

Je ne comprends pas que le 20ème régiment qui était à Montbrison soit arrivé à Lyon, ainsi que vous l'avez dit : que signifie ce mouvement ? Instruisez-moi en vertu de quel ordre il s'est opéré.

 

Dites-moi aussi quel mouvement a fait le régiment de canonniers qui était à Valence et quel en a été le résultat.

 

Correspondez avec les généraux commandant les 6ème, 7ème et 8ème divisions,

pour qu'ils vous instruisent de tout ce qui surviendra et des avis qui leur parviendront. Rendez-moi compte immédiatement de tout ce que vous recevrez. J'attends avec impatience le courrier que l'on a dû expédier pour porter les rapports officiels ; mais donnez plusieurs fois dans le jour des nouvelles par le télégraphe.

 

Des ordres sont donnés pour faire arriver à Lyon beaucoup d'artillerie, des fusils et des munitions ; mais, en attendant, je vous autorise à demander à Grenoble 4.000 fusils et 400.000 cartouches.

 

Vous enverrez au général Marchand extrait de cette dépêche.

 

Signé : Le Ministre de la guerre, le Duc de Dalmatie. »

 

 

516px-Grenoble_-_plaque_de_la_route_Napol%C3%A9on.JPG

 

 

La marche rapide de Napoléon et l'enthousiasme avec lequel il est accueilli partout déconcertent toutes les mesures. Troublé, nerveux, Louis XVIII demande sans cesse des nouvelles de l'avance de Napoléon.

 

 

La dépêche suivante donnera une idée de son anxiété :

 

« A Paris le 10 mars 1815, à 10 heures du matin,

 

Le baron de Vitrolles à Monsieur, frère du Roi, à Lyon,

 

Le roi est très mécontent de l'inexactitude de la correspondance.

Sa Majesté ordonne qu'il parte tous les jours deux estafettes pour Paris avec tous tes détails qu'on aura pu réunir et que les dépêches télégraphiques se succèdent sans cesse les unes aux autres.

 

En attendant M. Anglez que le Roi envoie à Monsieur pour cet objet, M. le préfet aurait dit dû pourvoir.

 

Le Roi, l'opinion tout est bien ici. »

 

Le même jour, le préfet du Rhône informait le gouvernement que, Napoléon devant arriver dans la soirée à Lyon, les princes quittaient cette ville et qu'il se rendait lui-même à Clermont-Ferrand.

 

Rien n'arrête la marche triomphale de Napoléon, et cependant Louis XVIII cherche encore à s'illusionner sur la situation !

Qu'on en juge plutôt par la dépêche suivante que le comte Beugnot,

Ministre de la marine et ancien secrétaire de Napoléon, adressait, le 18 mars 1815, au préfet maritime de Brest :

 

« Bonaparte est sur le point d'être abattu.

 

Annoncez-le publiquement et donnez-moi tous les jours des nouvelles par le télégraphe et par le courrier,

Signé : le comte Beugnot. »

 

 

Deux jours après, le lundi 20 mars 1815, Louis XVIII quitte précipitamment le Palais des Tuileries peu après minuit ; ce même jour Napoléon faisait son entrée à Paris à huit heures du soir, et le lendemain, mardi 21 mars, le duc de Bassano expédiait aux préfets la circulaire télégraphique suivante, qui fut transmise sur toutes les lignes partant de Paris :

 

« Sa Majesté l'empereur est entrée à Paris hier, à huit heures du soir, à la tête des troupes qui, le matin, avaient été envoyées contre elle, et aux acclamations d'un peuple immense.

 

Le 21 mars 1815.

Signé : le duc de Bassano ».

 

L'enthousiasme signalé dans cette dépêche se reflétait dans toutes les dépêches expédiées des divers points de la France. « L'annonce de cet événement » télégraphiait le préfet du Rhône, Fourier, « excite une joie universelle. J'ai remis à tous tes courriers qui partent à l'instant de Lyon une copie de la dépêche, ils en donneront connaissance sur tous les lieux de leur passage. »

 

La lettre suivante, écrite par le préfet du Rhône au directeur du télégraphe à Lyon, montre tout l'intérêt que le Gouvernement impérial attachait au fonctionnement régulier du service télégraphique, dont il appréciait toute l'importance :

 

« Lyon, le 27 mars 1815,

 

A M. Desrois, directeur du télégraphe à Lyon,

 

Monsieur, j'ai l'honneur de vous prévenir que M. le directeur général des ponts et chaussées vient de m'inviter à prendre les mesures nécessaires et les plus promptes pour concourir au rétablissement du service des lignes télégraphiques aux diverses stations placées dans ce département, et de veiller à la conservation de ces établissements de manière à ce qu'il ne puisse être apporté aucun retard ou interruption dans ce service important.

 

Pour remplir à cet égard les intentions de M. le directeur général des ponts et chaussées, j'ai l'honneur de vous prier, Monsieur, de vouloir bien me faire savoir si le service dont il s'agit est assuré et se fait exactement, et dans le cas où quelque cause s'y opposerait, de me la faire connaître, afin que je puisse à l'instant la faire cesser, autant qu'il dépendra de moi.

 

J'ai l'honneur de vous donner avis que j'écris au maire de Lyon et à celui de la commune de Poleymieux, pour qu'ils veillent assidûment à la conservation des télégraphes placés sur leurs territoires.

 

Recevez, etc.

 

Signé : le préfet du Rhône,

Comte Fourrier. »

 

Le danger était pressant, en effet. Lyon même était menacé par les troupes du duc d'Angoulême, qui occupaient les départements de l'Isère, de la Drôme et de la Loire. Enfin la guerre civile se termina le 9 avril 1815, date à laquelle le duc d'Angoulême, forcé de capituler, s'embarqua à Sète.

 

Carnot, appelé au Ministère de l'intérieur, témoigna aussi une grande sollicitude pour le service des télégraphes. Il décida que les établissements télégraphiques seraient placés sous La sauvegarde et sous la responsabilité des communes, et que les dispositions de la loi du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795), seraient applicables dans le cas où ces établissements seraient dégradés ou détruits par la malveillance (voir : http://www.1789-1815.com/loi_10_vend_an4.htm).

 

Cette mesure avait été motivée par des agressions à main armée dont plusieurs postes télégraphiques avaient été l'objet. Les administrateurs des télégraphes s'empressèrent de profiter des bonnes dispositions de Carnot pour reprendre un projet adopté en l'an XII (1803-1804), mais qui n'avait pas été mis à exécution. Ils proposèrent un réseau maritime destiné à relier entre eux Brest, Cherbourg et Toulon. Le devis fut établi, mais le projet s'évanouit avec la dernière période de l'ère impériale.

 

A partir du mois d'avril 1815, la ligne télégraphique de Metz permit de transmettre au Gouvernement des renseignements sur l'état des esprits des deux côtés de la frontière, les mouvements et les forces de l'ennemi, l'état d'approvisionnement des places françaises, les mesures de défense à prendre, etc.

 

Après Waterloo, le télégraphe annonce jour par jour, heure par heure, les progrès de l'invasion, la désorganisation de notre armée.

 

Comme le disait le 27 juin 1815, au Ministère de la guerre, le général Belliard, commandant la division de Metz « Ce grand élan patriotique, ce grand enthousiasme qui régnait partout est absolument tombé, tant dans les villes et les campagnes que dans les gardes nationales. »

 

Lors de la "marche des vingt jours" de Napoléon Bonaparte entre Golfe Juan et Paris (du mercredi 1er au lundi 20 mars 1815), le Roi Louis XVIII avait à sa disposition tous les moyens techniques lui permettant de vaincre l'évadé de l'Ile d'Elbe, notamment la rapidité du télégraphe optique, seulement, lui et son entourage était beaucoup trop timorés et ne firent pas le poids face à la détermination de l'empereur déchu !...

 

Le grand mérite de l'ouvrage d'Alexis Belloc "La télégraphie historique depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours" paru à la librairie Firmin Didot à Paris en en 1888 est de nous faire pénétrer au cœur des systèmes de transmissions des dépêches télégraphiques, d'abord optiques puis électriques, et enfin aux débuts du téléphone en France. Tous ceux qui utilisent quotidiennement un appareil de télécommunication chaque jour devraient en prendre connaissance grâce à sa numérisation par le site américain "archive.org" (http://www.archive.org/stream/latlgraphiehist00bellgoog#page/n15/mode/1up)

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Modifié par roger15

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