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"La Chêvre de Monsieur Seguin"


Will

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Posté

Bonsoir à tous :),

 

C'est avec une certaine émotion que j'ai envie de vous faire partager le conte d'Alphonse DAUDET - "La Chêvre de Monsieur SEGUIN".

 

Trois soirs d'affilé que je raconte cette belle et triste histoire à ma petite cadette de fille de 4 ans avant d'éteindre la lumière de sa chambre ;).

 

En voici deux photos illustrant une scêne astro !

 

- Ce joli dessin illustrant Blanquette, la brave petite chêvre de Monsieur Seguin, à l'aube, qui a tenu aussi longtemps que la Renaude , un fin croissant de Lune et une étoile (probablement la dernière visible avant que le loup ne la dévore ...)

 

- Cette fin de texte, magnifique, que je vous laisse redécouvrir, notamment la partie sur les étoiles, s'éteignant les unes après les autres, la dernière visible marquant la fin du combat ...

 

 

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Et écouter ce merveilleux conte de la bouche même du grand FERNANDEL, qui a bercé mon enfance grace à un 33 tours "Lettres De Mon Moulin", est un vrai bonheur :rolleyes:.

 

http://www.wat.tv/audio/fernandel-chevre-monsieur-14odl_yx5z_.html

 

 

 

Recto/verso du disque vinyl en question :

 

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Désolé, c'était mon coup de coeur de ces derniers jours, qui me rappelle une jolie partie de mon enfance :).

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Posté

Bonsoir Will, :)

 

Merci pour nous avoir permis de nous rappeler cette dramatique histoire de la petite chèvre blanche de Monsieur Seguin et surtout d'avoir pu ré-entendre la merveilleuse voix ensoleillée de Fernandel. :be: :be: :be:

 

Désolé, c'était mon coup de cœur de ces derniers jours, qui me rappelle une jolie partie de mon enfance :).

 

Ce disque des lettres de mon Moulin raconté par Fernandel me rappelle aussi mon enfance : on entendait régulièrement l'histoire de la chèvre de Monsieur Seguin à la fin des veillées lors des colonies de vacances... De plus, les moniteurs éteignaient la lumière de la pièce et je me rappelle encore avoir eu à chaque fois la chair de poule lorsque le narrateur décrivait le loup survenant soudain derrière elle :

 

« En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de Monsieur Séguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste... Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit...

Puis ce fut un hurlement dans la montagne :

- Hou ! hou !

Elle pensa au loup ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé... Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon Monsieur Séguin qui tentait un dernier effort.

- Hou ! hou !... faisait le loup.

- Reviens ! reviens !... criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester.

La trompe ne sonnait plus...

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles.

Elle se retourna et vit dans l'ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient...

C'était le loup.

Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.

- Ah ! ha ! la petite chèvre de Monsieur Séguin ! et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou.

Blanquette se sentit perdue... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Séguin qu'elle était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup, les chèvres ne tuent pas le loup, - mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude... »

 

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté
je me rappelle encore avoir eu à chaque fois la chair de poule lorsque le narrateur décrivait le loup survenant soudain derrière elle

 

Même souvenirs Roger :) mais dans ma chambre ! :D

 

Et la voix rocailleuse de Fernandel interprétant le loup, et son ricanement ... Terrible !

Posté

Quelle horreur cette histoire!!! En plus on raconte ça aux enfants! Ah, c'est

vrais qu'il y a le petit chaperon rouge, le petit poucet , etc... On devrait

mettre tous les parents qui racontent des histoires comme ça à leurs enfants

en prison pour sadisme!!! ;):D:D

 

Et quand encore aujourd'hui on me parle de la chèvre de monsieur Seguin...

Ca me fait mal!!! :confused:

 

C'est dommage, car c'est admirablement bien écrit.

Posté

Bonjour Hervé, :)

 

Ah, le loup dans l'imaginaire des enfants... ;)

 

Pour moi, quand j'étais petit garçon, le loup représentait le mal absolu !... Je connaissais par cœur les paroles françaises de la chanson "Qui craint le grand méchant loup ?" interprétée par Georges Milton en 1934 (http://www.musicme.com/).

 

L'année précédente, en 1933 (tiens, tiens, cette sinistre année devrait vous rappeler quelque chose... :( :( :( ) Walt Disney avait sorti son très célèbre dessin animé en couleur "Three little pigs", ou "Les trois petits cochons" dans la version française.

 

Voici d'abord le lien Youtube de la version originale en anglais :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=Olo923T2HQ4" via YouTube
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Voici ensuite le lien Youtube de la version française :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=lxi-8DfgHG4" via YouTube
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J'ai dit plus haut que ce dessin animé était sorti en 1933, très vite un homme politique d'Outre-Rhin a été assimilé au grand méchant loup... :p :p :p

 

Les années passèrent, et en 1942 Tex Avery sortit un nouveau dessin animé "Blitz Wolf" (le Blitz du loup) que j'ai énormément adoré dans ma jeunesse. Pour ceux qui le ne connaissent pas encore, en voici d'abord le lien Youtube en version originale non sous-titrée... :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=6P4PidLX2R4" via YouTube
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Pour ceux qui, comme moi, sont nuls en anglais, voici la version française "Der Gross Méchant Loup" :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=TaIShJhk81Q" via YouTube
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Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté

Oui, bien dommage que le loup ait été (et est toujours) stigmatisé et diabolisé à ce point ... :confused:

 

Merci Will et Roger pour ce moment émotion & nostalgie qui font plaisir à lire.

 

on a chacun ce genre de chose enfoui au creux de son coeur .

Posté

Bonjour Roger,

 

Merci pour les trois p'tits cochons. Mais bon, ça, ça va! quand on est petit

on sait très bien que c'est pour se faire peur pour de rire. Un petit bémol

pour les cadres accroché aux murs. Surtout le jambonneau! C'est de l'humour

un peu trop noir pour moi. (la chochotte :rolleyes: )

 

Quand à Alphonse, je pense qu'il devait avoir un sérieux problème et une

bonne analyse lui aurait été profitable. Il ne nous aurait pas raconté des

histoires comme ça et on aurait bien mieux dormi et aussi vécu bien plus

vieux!! Dire que je vais mourir plus jeune (ou moins vieux) à cause de

lui!! Ben oui, le stress abrège une partie de notre vie! Sacré Alphonse va! :cry::D:D

Posté

Ah ce bon monsieur Daudet, plagieur et antisémite notoire:

 

De nombreux textes sont attribués à Alphonse Daudet alors qu'il n'en est pas l'auteur ou qu'il les a écrits en collaboration avec d'autres. Certaines Lettres de mon moulin, parmi les plus connues comme La Chèvre de Monsieur Seguin, Les Vieux, et autres ont été écrites par son ami Paul Arène. La première édition des Lettres de mon moulin était d'ailleurs signée de leurs deux auteurs : Paul Arène et Alphonse Daudet. Le Curé de Cucugnan, comme Daudet l'écrit lui-même dans le texte, est une simple traduction un peu abrégée d'une histoire écrite par Roumanille en provençal. Roumanille s'était lui-même inspiré d'un autre auteur, Blanchot de Brennas. Quant à Tartarin sur les Alpes, il est de la plume d'Hugues Le Roux. Julia Daudet participa à l'œuvre de son époux. En 1869, des accusations de plagiat apparaissent contre Alphonse Daudet qui pense un temps abandonner la littérature mais sa femme s'y oppose. En 1876, Daudet gagne le procès l’opposant à Gaston Klein, qui voulait se faire reconnaître comme un des auteurs de l’adaptation théâtrale de Fromont jeune et Risler aîné. En 1882, Alphonse Daudet se bat en duel contre le journaliste Albert Delpit qui avait écrit qu'il n'avait aucune chance d'entrer à l'Académie française.[réf. nécessaire]

Antisémitisme [modifier]

L'antisémitisme d'Alphonse Daudet transparaît dans le portrait qu'il dresse d'un de ses personnages, l'usurier Augustus Cahn 5 (pour Kahn ou Cahen ?) dans Salvette et Bernadou, conte de Noël (1873) : « Que diable le vieil usurier compte-t-il faire de tout cela ? Est-ce qu'il fêterait Noël, lui aussi ? Aurait-il réuni ses amis, sa famille, pour boire à la patrie allemande ?... Mais non. Tout le monde sait bien que le vieux Cahn n'a pas de patrie. Son Vaterland à lui, c'est son coffre-fort. Il n'a pas de famille non plus, pas d'amis ; rien que des créanciers. Ses fils, ses associés plutôt, sont partis depuis trois mois avec l'armée. Ils trafiquent là-bas derrière les fourgons de la Landwehr, vendant de l'eau-de-vie, achetant des pendules, et, les soirs de bataille, s'en allant retourner les poches des morts, éventrer les sacs tombés aux fossés des routes. »[2] Il importe, bien sûr, de resituer ce texte dans un contexte général peu favorable aux Juifs de France[3].

En 1886, il prête de l'argent à Édouard Drumont, futur fondateur de la Ligue antisémitique de France, pour permettre à ce dernier de publier à son compte un violent pamphlet : La France juive[4].

Il décède en pleine affaire Dreyfus, en ayant eu le temps d'afficher des convictions anti-dreyfusardes malgré sa proximité avec Émile Zola. Celui-ci prononcera néanmoins son oraison funèbre au cimetière du Père Lachaise.[4].

(Wikipédia)

 

PS: Moi aussi je peux écrire gros et en couleur.;)

Posté

Bonjour Hervé, :)

 

Permets-moi de te faire remarquer qu'Alphonse Daudet a écrit en 1873, dans les "Contes du lundi" un des plus beaux passages expliquant les beautés de la langue française : "La dernière classe".

 

 

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"La dernière classe" d'Alphonse Daudet (1873).

 

 

Ce matin-là, j'étais très en retard pour aller à l'école, et j'avais grand-peur d'être grondé, d'autant que Monsieur Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs. Le temps était si chaud, si clair !

 

On entendait les merles siffler à la lisière du bois cela me tentait bien plus que la règle des participes ; mais j'eus la force de résister et je courus bien vite vers l'école. En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde irrité près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c'est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la commandanture ; et je passais sans m'arrêter.

« Qu'est-ce qu'il y a encore ? »

 

Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l'affiche, me cria : « Ne te dépêche pas tant, petit ; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école ! »

 

Je crus qu'il se moquait de moi et j'entrai tout essoufflé dans la petite cour de Monsieur Hamel.

 

D'ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu'on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu'on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux comprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables : « Un peu de silence ! » Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement ce jour-là, tout était tranquille comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et Monsieur Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le, bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez si j'étais rouge et si j'avais peur !

 

Eh bien, non. Monsieur Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement : « Va vite à ta place, mon petit Frantz, nous allions commencer sans toi. »

 

J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu'il ne mettait que les jours d'inspection ou de distribution de prix.

 

Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous, le vieux Hanser avec son tricorne, l'ancien maire, l'ancien facteur, et puis d'autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hanser avait apporté un vieil abécédaire, mangé aux bords, qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.

 

Pendant que je m'étonnais de tout cela, Monsieur Hamel était monté dans sa chaire, et, de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit : « Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe. L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine.... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd'hui, c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs. »

 

Ces quelques paroles me bouleversèrent. Voilà ce qu'ils avaient affiché à la mairie. Ma dernière leçon de français !... Et moi qui savais à peine écrire ! Je n'apprendrais donc jamais ! Il faudrait donc en rester là !... Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids où à faire des glissades sur la Saar ! Mes livres, que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte, me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter.

 

C'est comme Monsieur Hamel : l'idée qu'il allait partir, que je ne le verrais plus, me faisait oublier les punitions, les coups de règle. Pauvre homme ! C'est en l'honneur de cette dernière classe qu'il avait mis ses beaux habits du dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s'asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu'ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C'était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s'en allait...

 

J'en étais là de mes réflexions quand j'entendis appeler mon nom. C'était mon tour de réciter. Que n'aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute ! mais je m'embrouillai aux premiers mots et je restai debout à me balancer dans mon banc, le cœur gros, sans oser lever la tête.

 

J'entendais Monsieur Hamel qui me parlait : « Je ne te gronderai pas, mon petit Frantz, tu dois être assez puni.... Voilà ce que c'est. Tous les jours on se dit : Bah ! j'ai bien le temps. J'apprendrai demain. Et puis tu vois ce qui arrive.... Ah ! ç'a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire : Comment ! vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langage !... Dans tout ca, mon pauvre Frantz, ce n'est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire. Vos parents n'ont pas assez tenu à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même n'ai-je rien à me reprocher ? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler. Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé ? »

 

Alors, d'une chose à l'autre, Monsieur Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient bien sa langue, c'est comme s'il tenait la clef de sa prison !... Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile ! Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait jamais mis tant de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller, le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup.

 

La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là Monsieur Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde : France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe, pendus à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence ! On n'entendait rien que le grincement des plumes sur le papier.

 

Un moment des hannetons entrèrent ; mais personne n'y fit attention, pas même les tout petits, qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un cœur, une conscience, comme si cela encore était du français.

 

Sur la toiture de l'école, des pigeons roucoulaient tout bas, et je me disais en les écoutant : « Est-ce qu'on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi ? »

 

De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais Monsieur Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui, comme s'il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d'école.... Pensez ! depuis quarante ans, il était là, à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s'étaient polis, frottés par l'usage, les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu'il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu'au toit. Quel crève-cœur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses et d'entendre sa sœur qui allait et venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles ! car ils devaient partir le lendemain, s'en aller du pays pour toujours. Tout de même, il eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout.

 

Après l'écriture, nous eûmes la leçon d'histoire ; ensuite les petits chantèrent BA BE BI BO BU. Là-bas, au fond de la salle, le vieux Hanser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu'il s'appliquait lui aussi ; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah ! je m'en souviendrai de cette dernière classe....Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l'Angélus. Au même moment, les trompettes des Prussiens, qui revenaient de l'exercice, éclatèrent sous nos fenêtres.

 

Monsieur Hamel se leva tout pâle dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand. « Mes amis, dit-il, mes amis, je... je.... » Mais quelque chose l'étouffait, il ne pouvait pas achever sa phrase. Alors, il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put :

 

« VIVE LA FRANCE ! »

 

Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et sans parler, avec sa main il nous faisait signe : « C'est fini... allez-vous-en. »

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

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