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La ferme africaine


Neve

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Petit extrait de La ferme africaine de Karen Blixen. Dans l'ambiance africaine depuis de nombreuses pages, il suffira simplement de songer à l'atmosphère d'Out of Africa et d'entrer dans la nuit kenyane :

 

[…]Cette nuit-là, il n’y avait aucun signe de pluie ; le ciel était clair et d’un triomphe muet, constellé

d’étoiles.

 

La voûte céleste est plus riche d’étoiles à l’équateur que dans le Nord ; on la contemple davantage on sort plus souvent la nuit, sous les tropiques. En Europe du Nord, les nuits d’hiver sont trop froides pour pouvoir étudier les étoiles avec plaisir et, dans les mois d’été, on ne les aperçoit guère dans le ciel clair et pâle comme une violette des chiens.

 

Comparées aux nuits septentrionales, les nuits tropicales sont accueillantes, aussi accueillantes que les églises catholiques comparées aux temples protestants, où l’on entre seulement par obligation. Ici, dans ce vaste espace, c’est le va-et-vient incessant des gens et des bêtes ; ici, il s’y passe plus de choses que dans la journée. En Afrique et en Arabie, où le soleil de midi est mortel, la nuit est le moment idoine pour veiller et voyager. C’est dans ces terres que les étoiles ont reçu leurs noms, elles ont guidé les hommes pendant des siècles et ont tracé de longues lignes des quatre points cardinaux à travers le désert et la mer. Les automobiles circulent particulièrement bien la nuit, c’est un plaisir de rouler sous les étoiles et, dans les hautes terres, on arrange l’heure des visites à ses amis en fonction de la prochaine pleine lune afin de disposer d’une longue série de nuits claires. Lorsqu’un Européen qui a longtemps vécu sous les tropiques rentre chez lui, il est au plus haut point surpris que bien peu de ses compatriotes ont le sens des phases de la lune. Que ne l’a-t-il longuement contemplée pour faire d’elle l’emblème de sa victoire.

 

Je m’étais fait une certaine réputation parmi les indigènes, car j’avais été, quelques fois, la première à apercevoir la nouvelle lune, mince arc argenté dans le soleil couchant, et surtout parce que, deux ou trois ans de suite, j’avais été la première à découvrir la nouvelle lune qui ouvre le Ramadan, le mois sacré des mahométans.

 

Les colons parcourent lentement l’horizon du regard. D’abord vers l’est, car s’il doit pleuvoir, c’est de là que viendra la pluie, et c’est là que l’on trouve Spica, l’étoile étincelante de la Vierge. Puis, vers le sud, pour saluer la Croix du Sud, ce grand frère portier du monde, cet ami des navigateurs, et plus haut, sous la traîne scintillante de la Voie lactée, Alpha et Bêta du Centaure. Au sud-ouest brille Sirius qui emplit les cieux, avec la songeuse Canopus; à l’ouest, au-dessus des contours vagues des Ngong Hills qui semblent alors presque aplatis et bas, rutile une série de diamants : Rigel, Bételgeuse et Bellatrix. Enfin, le colon tourne les yeux vers le nord où nous finissons tous par retourner un jour, et il découvre la Grande Ourse qui lui semble à l’envers à cause de la perspective céleste. On dirait une plaisanterie d’ours, une farce nordique qui ne peut que réjouir le cœur des émigrants scandinaves.

 

[...]

 

Ce qui, dans le monde éveillé, ressemble le plus aux rêves, ce sont les nuits dans une métropole où nul ne vous connaît, et les nuits africaines. Là aussi, on retrouve cette liberté infinie. Il se passe toujours quelque chose d’important non loin, des destins se tracent, des tumultes nous environnent, sans que cela vienne à nous toucher.

 

En Afrique, dès le soleil couché, l’air était chargé d’une vie animale. Les chauves-souris y glissaient aussi silencieusement que les automobiles sur l’asphalte. Les oiseaux de nuit filaient rapidement, comme le hibou posé au milieu de la route, dont les yeux rougeoient une seconde dans la lumière des phares, avant qu’il ne décolle droit devant les roues. Les petits lièvres sauteurs sortaient de partout et s’amusaient à leur guise; tels des kangourous miniatures, ils bondissaient à leur rythme propre, comme s’ils plongeaient dans l’eau. Les cigales poussaient leur chant interminable dans les hautes herbes, les parfums coulaient sur la terre et les étoiles filantes roulaient dans le ciel, comme des larmes sur les joues. Tu es cette élue à qui tout est offert. «Les rois de Tarsis et des îles paieront tribut.»

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