Sur les frontières australes

[Jeff Hawke]

Sur les frontières australes

 

Vendredi 20 Août, un peu avant 3 heures...Je me réveille, les moustiquaires qui ajourent la tente sur deux côtés et jusqu'au toit laissent voir les étoiles et la clarté lunaire semble avoir disparu. Je vais pouvoir sortir et m'offrir une petite séquence d'étoiles australes sans trop de crainte de rencontres animales toujours incertaines. Depuis le début de ce voyage en Zambie et au Malawi, c'est la première nuit de bivouac en dehors des réserves sauvages, et il est donc possible de sortir de la tente de nuit sans avoir à se préoccuper des hyènes, éléphants ou hippopotames qu'il est préférable de ne pas rencontrer inopinément, la crainte animale réciproque pouvant produire de fâcheuses confrontations.

 

Il y avait bien sûr les débuts de soirée (la nuit tombe vite ici, dans les 13° de latitude Sud), avec la Croix du Sud, et l'occasion de retrouver à la TV60 – en plus du Sagittaire et du Scorpion très haut dans le ciel - Oméga Centauri, la Boite à Bijoux, la galaxie Centaurus A,...Mais la Lune se faisait insistamment de plus en plus gênante depuis quelques jours.

 

Le bivouac est installé au Malawi, non loin de la frontière Zambienne dont nous venons, au large de la « ville » de Mzuzu. Dans les petites montagnes que nous finirons de franchir le lendemain pour gagner le magnifique lac Malawi, gigantesque réservoir d'une eau douce qui emplit cette partie Sud de la faille du Rift Est-Africain à laquelle les hominidés doivent tant.

 

Les deux petites heures qui me séparent de l'aube seront donc sans doute la seule occasion d'escapade stellaire significative durant ce voyage.

 

Dès que je sors la tête de mon abri de toile, merveille, j'ai les deux nuages de Magellan en face de moi. Je m'empresse de pointer la Tele-Vue 60, installée la veille au soir sur un pied photo léger, vers la Tarentule, qui se grossit aisément jusqu'à 100 fois (nagler 3.5 avec ma focale de 360) pour déployer son inquiétant et complexe aspect, puis vers 47 Tucanae, le globulaire qui rivalise avec Oméga, couché depuis longtemps...La nuit est calme, ponctuée de temps à autre par le chant d'un coq du village voisin, quelques cases et une absence totale de lampadaire et d'électricité, une illustration sonore presque incongrue tellement elle parait familière et contraste avec les rires des hyènes et les grognements des hippopotames que l'on entendait la nuit en bordure de la rivière Luangwa.

 

J'essaie de retrouver mes marques dans le ciel austral, je n'ai ni carte ni atlas, seulement mes souvenirs de ces étoiles sans cesse nouvelles que j'ai l'immense bonheur d'avoir observées lors de plusieurs séjours au Sud, dont deux entièrement dédiés à l'astronomie. Et aussi la lunette de 60 avec un Panoptic 22, et les Nagler 13 et 3.5, et mes jumelles Canon 15X50 stabilisées.

 

Je vois Orion d'un côté, Achermar de l'autre, non loin du petit Magellan, je peux donc reconstituer le parcours sinueux de l'Eridan, le fleuve transfrontalier, m'arrêter au Fourneau, puis, d'Achermar, reconstituer le Phoenix (il y a la Grue, un peu plus loin, immédiatement identifiable), et entre Phoenix et Baleine, redessiner la discrète constellation du Sculpteur. Je pointe alors NGC55, environ 3 degrés au Nord Ouest d'Ankaa, évidente, immense... Emotion de retrouver cette galaxie qui fut la cible d'une de mes premières observations australes, en 2005 depuis le Chili, avec la même TV60, je l'avais raconté ici : Atacama, utime bivouac étoilé : Salar de Surire.

 

Puis le couple NGC253-NGC288 que je localise d'abord aux jumelles, avant de grossir sur la vedette galactique du Sculpteur, qui montre des structures perceptibles dans sa forme allongée, malgré mon petit diamètre...

 

Un passage par l'amas ouvert Blanco 1, non loin de Delta Sculptoris. Celui-là, il faut peu grossir et garder du champ. A 40 fois, il est étincelant.

 

J'ai passé trop de temps sur ces objets, sur 2 ou 3 autres du secteur (dont une galaxie hasardeusement pointée, d'une pâle rondeur étendue, qui ne peut être que NGC300 je pense), et à me perdre aux jumelles dans les mondes austraux, il faut que j'aille voir M42 avant que l'aube ne me surprenne.

 

Objet incroyable, aux splendeurs constamment renouvelées, M42 se déploie à l'oculaire de la TV60, et laisse à déceler des nuances de vert. Aux jumelles, et c'est quelque chose que j'avais déjà constaté, la nuance verte est sensiblement plus soutenue, bien que je sois passé d'un diamètre de 60 à deux de 50...

 

Tandis que j'examine la nébuleuse à 40 fois, une image surgie de ma mémoire se superpose à l'oiseau aux ailes déployées : Ma toute première observation, depuis Paris avec une lunette Ganymède 80/800, une vague tache de nuances grises, centrée sur un Trapèze étriqué, une vision qui m'avait alors enthousiasmé.

 

Les prémisses de l'aube me trouveront, les jumelles fixées sur cette magnifique nébuleuse magnifiée par le ciel africain, les piles du stabilisateur ont achevé de se vider dans cette longue scrutation. Il est 4h30, il me reste 30 minutes pour dormir un peu avant le lever, et le décampement.

[Dédé de St Fé]

Salut Jeff, ça fait une paye que tu n'as pas croaté

 

Je m'empresse de pointer la Tele-Vue 60, installée la veille au soir sur un pied photo léger,

Tu n'as pas put prendre ton dobson

 

Puis le couple NGC253-NGC288 que je localise d'abord aux jumelles, avant de grossir sur la vedette galactique du Sculpteur, qui montre des structures perceptibles dans sa forme allongée, malgré mon petit diamètre...

 

 

Tu l'as poussé à 100 X ?

 

J'ai passé trop de temps sur ces objets, sur 2 ou 3 autres du secteur (dont une galaxie hasardeusement pointée, d'une pâle rondeur étendue, qui ne peut être que NGC300 je pense), et à me perdre aux jumelles dans les mondes austraux

 

C'est honteux pour ne pas dire imprudent de partir comme ça sans carte

 

les piles du stabilisateur ont achevé de se vider dans cette longue scrutation

 

Là aussi, il faut mieux t'équiper Jeff, là tu te laisse aller

 

Au plaisir de te lire

[zaurel]

Des retrouvailles fort joliment contées Nul besoin d'un grand diamètre pour se laisser bercer par la douce poésie du ciel, ton CROA l'exprime si bien!

 

Omega du Centaure..47 Tucanae, des classiques bien exotiques que l'on aimerait plus souvent pouvoir toucher du regard.

Joli conte africain!

[takaya]

Bref croa, comparé aux fleuves auxquels tu nous as habitués. Mais une petite heure et demie bien remplie tout de même.

la Tarentule, qui se grossit aisément jusqu'à 100 fois (nagler 3.5 avec ma focale de 360) pour déployer son inquiétant et complexe aspect

Si détaillée avec la 60 ? Ben dis

Faudrait la dessiner un jour

le parcours sinueux de l'Eridan, le fleuve transfrontalier,

Tu racontais moultes galaxies eridaniennes dans un ancien croa. Pas le temps ou pas assez lumineuses pour la TV 60 ?

Aux jumelles, et c'est quelque chose que j'avais déjà constaté, la nuance verte est sensiblement plus soutenue, bien que je sois passé d'un diamètre de 60 à deux de 50...

Au cause de la vision binoculaire ? Du champ ? Etrange.....

[zaurel]

C'est amusant cette histoire de couleur sur M42 aux jumelles. Je me rappelle l'hiver dernier, dans mes 10x50, la nébuleuse ressortait absolument verte, un vert sapin particulièrement prononcé.

[Jeff Hawke]

Salut Jeff, ça fait une paye que tu n'as pas croaté

Eh oui. pas d'obs, pas de CROA...

 

Tu n'as pas put prendre ton dobson

Euh non, pas dans un safari 4X4 dans le bush africain...Pas de place, pas fait pour ça, pas le temps...

 

Tu l'as poussé à 100 X ?

Voui...

 

C'est honteux pour ne pas dire imprudent de partir comme ça sans carte

J'avais le PSA, mais je l'avais laissé dans la tente. Je voulais juste me promener dans un paysage familier...

 

Joli conte africain!

Merci Zaurel.

 

Tu racontais moultes galaxies eridaniennes dans un ancien croa. Pas le temps ou pas assez lumineuses pour la TV 60 ?

Là, j'ai parcouru le fleuve à l'oeil nu. L'exploration galactique (déjà faite un peu au 500 de Namibie, et surtout au 300 depuis le Chili) demande du temps, et un peu de diamétre.

 

Au cause de la vision binoculaire ? Du champ ? Etrange.....

Je pense à cause de la vision à deux yeux. Comme la perception des couleurs est une élaboration du cerveau, il doit pouvoir mieux travailler avec deux sources, même plus faibles, qu'avec une seule. Je me souviens avoir vu du vert presque intense sur M42 avec mes 15X70 (au Bostwana en 2004).

 

Je me rappelle l'hiver dernier, dans mes 10x50, la nébuleuse ressortait absolument verte, un vert sapin particulièrement prononcé.

Ah oui, mais toi tu triches, avec tes yeux de rapace nocturne...

[Dédé de St Fé]

Il y a un truc qui me dépasse quand même

 

Lasilla est descendue dans le grand sud....... Toi aussi Jeff et au lieu de savourer les objets exotiques, vous vous rassasiez avec M42 qui est bien visible depuis nos latitudes, il faut qu'on m'explique pourquoi

[Jeff Hawke]

au lieu de savourer les objets exotiques, vous vous rassasiez avec M42 qui est bien visible depuis nos latitudes, il faut qu'on m'explique pourquoi

 

En fait, j'ai quand même passé plus de temps sur les austraux que sur M42. De plus, 13° Sud, ce n'est pas vraiment le "grand" Sud, c'est proche de l'Equateur... Et enfin (et surtout), dans un ciel dénué de toute pollution lumineuse, sec, et à quelques 1400 mètres, je peux voir M42 comme JAMAIS je ne peux la voir sous nos ciels de pays prétendus développés (du moins, par chez moi. Toi, tu as du ciel, c'est différent).

 

Je n'ai pas encore lu le CROA de Lasilla.

 

 

 

Le festin d'objets austraux est prévu, l'Hiver prochain, 2 semaines dans l'Eté chilien...

[Pixajo]

C'est toujours le même plaisir à lire tes CRVA (Compte Rendu de Voyage Astronomique) même si celui là n'en est pas tout à fait un si je comprends bien. Ça donne très envie ces descriptions d'objets si fabuleux qu'on en voit déjà beaucoup dans une petite lunette...

 

Pour l'atlas, j'ai l'impression que si j'allais sous un ciel inconnu (un jour peut-être ), je préfèrerai ne pas en avoir aussi, pour me retrouver devant ce ciel vierge de toute idée préconçue; me retrouver un peu dans la peau de ceux qui voyaient le ciel pour la première fois, et le découvrir avec mes seuls yeux. Enfin, presque

[NUNKY]

Quelle ambiance tu nous comptes là, l'Afrique et son ciel :rolleyes:

 

...La nuit est calme, ponctuée de temps à autre par le chant d'un coq du village voisin, quelques cases et une absence totale de lampadaire et d'électricité, une illustration sonore presque incongrue tellement elle parait familière et contraste avec les rires des hyènes et les grognements des hippopotames que l'on entendait la nuit en bordure de la rivière Luangwa.

 

Ah ça me rappelle là un voyage, il y a longtemps, une autre vie:confused:....au Kénya

 

Je pense à cause de la vision à deux yeux. Comme la perception des couleurs est une élaboration du cerveau, il doit pouvoir mieux travailler avec deux sources, même plus faibles, qu'avec une seule. Je me souviens avoir vu du vert presque intense sur M42 avec mes 15X70 (au Bostwana en 2004).

 

 

Les jumelles sont équivalentes en diamétre à un instrument mono de plus grand diamètre, peut être aussi celà !?

[Sorytis]

Bonsoir,

 

Merci pour ce voyage dans le ciel australe =) Une très belle ambiance.

 

Bon ciel.

[CATLUC]

Bonsoir

Beau récit en effet, et les moustiques il y en a ?

Il se pourrait que dans pas longtemps j'aille avec mon pote pilote en Atacama

quelques heures. Va falloir que je buche mon ciel.

Bonne nuit.

Luc;)

[Jeff Hawke]

même si celui là n'en est pas tout à fait un si je comprends bien.

Oui, même pas du tout un... C'est un peu incompatible dans les réserves, les animaux sauvages n'acceptant pas l'homme, il faut rester dans les tentes la nuit (curieusement, les tentes sont respectées, un éléphant - ou un hippopotame - pourra passer à 2 pas d'une tente en prenant bien garde de ne pas la toucher...).

 

Je n'ai donc réalisé que des observations clandestines...

 

Les jumelles sont équivalentes en diamétre à un instrument mono de plus grand diamètre, peut être aussi celà !?

Oui, mais pas vraiment, car cet équivalent plus grand diamétre est divisé entre les deux yeux... Au final, il n'y a pas plus de signal, mais une légére variation "stéréoscopique" due aux deux arrivées. C'est cela qui doit fournir du grain à moudre au cerveau.

 

Beau récit en effet, et les moustiques il y en a ?

Non, là c'était à plus de 1000 mètres. Et d'une façon générale, très peu en Afrique Australe, durant l'Hiver (saison séche). (Mais tout de même suffisamment pour nécessiter de prendre précautionneusement un traitement anti paludisme).

 

Par contre, il y a des mouches tsé tsé... Il faut les virer immédiatement dès qu'on sent le début de piqure, sinon on compromet sa future carrière d'astronome...

[Dédé de St Fé]

Oui, même pas du tout un... C'est un peu incompatible dans les réserves, les animaux sauvages n'acceptant pas l'homme, il faut rester dans les tentes la nuit (curieusement, les tentes sont respectées, un éléphant - ou un hippopotame - pourra passer à 2 pas d'une tente en prenant bien garde de ne pas la toucher...).

 

Je n'ai donc réalisé que des observations clandestines...

 

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Je pense que si les animaux sauvages n'acceptent pas la présence humaine, c'est parce qu'ils sont constament dérangés

[Jeff Hawke]

Je pense que si les animaux sauvages n'acceptent pas la présence humaine, c'est parce qu'ils sont constament dérangés

En fait, dans les parcs de l'Afrique Australe (à part l'Afrique du Sud, bien sûr) ce n'est pas vraiment le problème. Les surfaces sont énormes, il n'y a pratiquement personne, et ceux qui viennent sont discrets, silencieux...

 

Les distances de sécurité sont donc respectées sans souci, et la fuite est la réponse aux éventuelles erreurs d'approches...

 

Paradoxalement, le danger s'accroit dans les zones où les animaux s'habituent un peu à l'homme (les lieux de bivouac). Car ils peuvent alors s'approcher un peu plus, par habitude et baisse du niveau de vigilance, et alors là, si une rencontre inopinée a lieu (genre tu sors de la tente pour aller pisser ou pour jeter un oeil à la Croix du Sud), elle peut se situer dans le second périmètre de sécurité, celui qui commande l'attaque...

 

 

Sinon, un truc marrant au Sud, avec la Lune. Je n'avais jamais vraiment vu le fameux lapin (ou lièvre) supposé être dessiné sur sa face, lorsque'elle est pleine. Là, je l'ai vu sans problème, il est évident...car il est à l'endroit, la tête en haut à gauche, avec les oreilles...

 

Aux jumelles, le lapin disparait, sa silhouette se dissout dans un excés de détails lunaires...

[Invité Scopy]

Bien agréable promenade le long du fleuve céleste, dans une ambiance exotique et dépaysante ... merci !

[GéGé]

Une paisible et douce promenade dans un ciel inconnu, peuplé d'énormes "objets" ... merci, Jeff!