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Posté (modifié)

Bonjour!

 

 

Je vous livre ce fabuleux entretien avec André Comte-Sponville issu de la revue philosophique NOUVELLES CLES.

Régalez vous!

 

 

André Comte-Sponville

Désirer c’est se convertir au monde

André Comte-Sponville a fait paraître un "Dictionnaire de philosophie" (éd.PUF ) salué par la critique comme un chef d’oeuvre. Vous pouvez lire ci-dessous un grand entretien avec l’auteur sur le thème du Désir.

 

Nouvelles Clés : Commençons par une remarque étymologique : le mot désir vient du latin desiderare - de sidus, étoile - qui dans la langue des augures évoquait une sorte de constatation : l’absence d’un astre, accompagnée d’une forte idée de regret (alors que considerare, c’est contempler l’astre présent). Le désir serait ainsi de l’ordre d’un manque dont on fait l’expérience douloureuse...

 

André Comte-Sponville : Auquel cas le désir, dans sa temporalité, n’aurait guère le choix qu’entre la nostalgie (le manque du passé) et l’espérance (le manque de l’avenir). Car le présent, lui, ne manque jamais... Mais n’allons pas trop vite. L’étymologie, en l’occurrence, correspond à la définition la plus usuelle du désir : il serait un manque. C’est une définition qui traverse toute l’histoire de la philosophie. Pour la prendre en ses deux pôles, en son origine et en son terme au moins provisoire, c’est aussi vrai chez Platon que chez Sartre. Chez Platon, le texte de référence, c’est Le Banquet. Ce dialogue porte sur l’amour et non pas sur le désir, mais cela revient au même : quand Socrate prend à son tour la parole, à la question :

 

“Qu’est-ce que l’amour ?”, il répond en substance : l’amour est désir et le désir est manque. “Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour.” Cette définition du désir comme manque va courir à travers toute la tradition philosophique pendant plus de vingt siècles, jusqu’à Sartre, qui écrit dans L’Êre et le Néant que “l’homme est fondamentalement désir d’être” et que “le désir est manque”.

 

Le désir ne manque de rien

C’est une définition qui semble vraie, dans la mesure où très souvent, peut-être le plus souvent, nous désirons en effet ce que nous n’avons pas, ce qui nous manque. Une définition qui n’est que souvent vraie est une définition fausse. Définir le désir comme manque n’est donc juste que si, et seulement si, tout désir est manque. Or, il nous arrive très souvent de désirer ce qui ne manque pas... J’en donnerai deux exemples. D’abord l’appétit, et plus précisément le plaisir de manger de bon appétit. Il y a une différence entre la faim et l’appétit, que bien des dictionnaires philosophiques méconnaissent, comme si l’appétit aussi était un manque, comme si on ne désirait manger que lorsqu’on a faim, que lorsqu’on manque de nourriture ! Alors que l’expérience que nous avons de manger de bon appétit, c’est justement le plaisir de manger quelque chose qui ne manque pas, puisqu’on le mange, mais dont on jouit. Quand vous souhaitez bon appétit” à vos convives, cela ne veut pas dire que vous leur souhaitez de bien manquer de nourriture, mais au contraire que vous leur souhaitez de pouvoir jouir de la nourriture qui ne leur manque pas !

 

Deuxième exemple, la sexualité. J’ai grand peine à concevoir le désir sexuel comme un manque : c’est l’impuissant, la frigide ou le frustré qui manquent de quelque chose, pas les amants comblés et dispos qui sont en train de faire l’amour ! Si vraiment nous ne pouvions désirer que ce que nous n’avons pas, notre vie sexuelle serait encore plus compliquée qu’elle n’est... Faire l’amour, c’est désirer l’homme ou la femme qui est là, qui ne manque pas, qui se donne, dont la présence (non l’absence ou le manque) nous comble. Mon expérience intime de la sexualité n’est pas du tout du côté du manque ! Ou bien il faudrait penser que ce qui manque ce n’est pas l’amant ou l’amante, mais l’orgasme... Quelle tristesse ! Si c’était vrai, la masturbation ferait aussi bien l’affaire... Lorsqu’on boit un bon vin, ce n’est pas parce qu’on a soif, ce n’est pas parce que ce vin nous manque. Si je désire écouter Mozart, ce n’est pas parce qu’il me manque (le désir esthétique est très clairement un désir sans manque), c’est parce que je l’aime, ce qui est très différent.

 

La définition du désir comme manque me paraît fausse, puisqu’elle n’est vraie que souvent et qu’une bonne définition doit être vraie non pas souvent mais toujours. Platon et Sartre ont donc tort, et c’est heureux. Car si cette définition du désir comme manque était vraie, le désir nous vouerait à l’ennui et à l’insatisfaction. Si le désir est manque, je ne peux en effet désirer que ce que je n’ai pas. Or, qu’est-ce que le bonheur ? Platon nous répond (mais Kant dira la même chose) qu’être heureux, c’est avoir ce qu’on désire... Mais si le désir est manque, on ne désire par définition que ce qu’on n’a pas ; on n’a donc jamais ce qu’on désire, si bien qu’on n’est jamais heureux. C’est une expérience que nous faisons souvent. Tantôt je désire ce que je n’ai pas, et je souffre de ce manque, tantôt j’ai ce que dès lors je ne désire plus, et je m’ennuie. Comme le dit Schopenhauer, en bon platonicien qu’il est : “Ainsi toute notre vie oscille comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui”. Souffrance, parce que je désire ce que je n’ai pas, et que je souffre de ce manque ; ennui, parce que j’ai ce que dès lors je ne désire plus... Si bien que nous avons une définition fausse, puisqu’elle ne vaut pas pour tous les désirs, et pernicieuse, puisqu’elle nous voue à la frustration ou à l’ennui, et donc au malheur. Si la vie est une alternance de frustrations et d’ennuis, le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas une vie heureuse !

 

Le désir est puissance

Bref, j’avais deux raisons de chercher une autre définition : une raison théorique, puisque les définitions de Platon et de Sartre me paraissaient fausses, et une raison pratique, puisqu’elles me semblaient nous vouer au couple infernal de l’ennui et de la frustration. Il fallait donc chercher une autre définition : je la trouvai chez Spinoza, chez qui le désir n’est pas manque, mais puissance. Puissance de jouir et jouissance en puissance. Ou, pour être un peu plus précis, puissance de jouir et d’agir : puissance de jouir et jouissance en puissance, puissance d’agir et action en puissance. Comme le disait déjà Aristote dans le De Anima (III, 10), "il n’y a qu’un seul principe moteur, la faculté désirante” : le désir est l’unique force motrice, ce pourquoi Aristote rattache au désir et le courage et la volonté (De Anima, II, 3). J’en suis d’accord avec lui, et ce m’est une raison de plus pour ne pas réduire le désir au manque. De quoi manque le courage ? De quoi manque la volonté ? Le désir n’est pas un manque. Le désir est une force, l’unique force motrice, en effet, ce qu’on pourrait appeler, dans un langage plus spinoziste, l’unique puissance active. Ce mot de puissance m’intéresse pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il est au plus près de l’expérience érotique : au sens où l’on parle de puissance sexuelle. Un amant heureux, une amante heureuse n’ont pas besoin d’être frustrés sexuellement pour avoir envie de jouir de l’homme ou de la femme qu’ils aiment ou qu’ils désirent. Mais c’est aussi un mot philosophiquement décisif. Dans la problématique spinoziste, ce mot de puissance en prolonge trois autres : le conatus, qui est l’effort de tout être pour persévérer dans son être, qui prend chez un être vivant la forme de l’appétit et chez un être conscient la forme du désir (que Spinoza définit comme “l’appétit avec conscience de lui-même”). Enfin, penser le désir comme puissance, me permettait aussi de faire le rapport entre la tradition philosophique classique, spécialement chez Spinoza, et celles de Freud et de Marx. Ce qui permet de donner son maximum d’extension au concept freudien de libido, c’est justement qu’il ne se cantonne pas au manque : le désir agit, y compris quand il n’y a pas de manque à combler ! Et chez Marx, la notion d’intérêt de classe n’est pas non plus forcément référée à un manque. Je disposais donc d’un concept, celui de désir, qui me permettait de faire le lien entre Spinoza, Marx et Freud, et en un sens aussi avec Épicure et Lucrèce (autour des notions de clinamen et de voluptas). J’étais ainsi au cœur d’une constellation philosophique dans laquelle je me reconnais et qui m’est chère.Ma définition du désir, c’est qu’il n’est pas un manque : il est une puissance, une force, une énergie, il est l’expression en nous du conatus, c’est-à-dire de notre puissance d’exister, d’agir et de jouir. S’il apparaît souvent comme manque, ce que je ne conteste pas, c’est que cette puissance d’exister, d’agir et de jouir fait très souvent l’épreuve de la frustration, si souvent qu’on a fini par croire que c’était là son essence.

 

N. C. : Si l’on pense le désir comme puissance d’exister, en tant qu’il sera accroissement de notre puissance ne s’accompagnera-t-il pas alors de joie ?

 

A. C. -S. : Si on reprend cette problématique spinoziste, l’essence de tout être est sa tendance à persévérer dans l’être, son conatus, qui prend la forme de l’appétit chez un être vivant, et du désir chez l’homme. Ce désir, c’est la tendance à exister plus, la puissance d’exister le plus possible, et quand cette puissance est satisfaite, quand en effet nous existons davantage, nous éprouvons un affect particulier que Spinoza appelle la joie, et quand, au contraire, nous existons moins, nous connaissons la tristesse. Si bien que si “le désir est l’essence même de l’homme”, comme dit Spinoza, il est de notre essence de désirer la joie. Bien loin que mon essence me voue au manque, et donc à l’alternance mortifère d’ennui et de frustration, elle me voue au contraire à la joie ! C’est la formulation spinoziste du “principe de plaisir” : jouir et se réjouir le plus qu’on peut, souffrir le moins qu’on peut. La conceptualisation spinoziste du désir permet ainsi de donner un socle métaphysique au “principe de plaisir” freudien.

 

N. C. : Peut-on rapporter cette théorie du désir comme affirmation ou production à l’idée de détachement telle qu’elle apparaît dans le bouddhisme...

 

A. C. -S. : On trouve en effet dans le bouddhisme l’idée qu’il faut supprimer le désir... Si c’était absolument vrai, cela voudrait dire que le bouddhisme serait une pensée mortifère, disons du côté de la pulsion de mort. Ne plus désirer, si l’on suit Spinoza, ce serait ne plus être : le bouddhisme serait alors un désir de néant, à la lettre un nihilisme. C’est l’image qu’il a eue traditionnellement, qui a beaucoup fasciné le xixe siècle occidental, et qui encore aujourd’hui subsiste ici ou là... Freud, par exemple, a appelé “principe du nirvâna”, le principe qui tend à vouloir toujours réduire les tensions, et donc à désirer la mort. Dans Au-delà du principe de plaisir, texte fascinant, Freud nous dit que les deux pulsions de vie et de mort n’en font qu’une, qui est la pulsion de mort. De ce point de vue, mon ancrage spinoziste m’éloigne autant de cette vision du bouddhisme comme nihilisme que de la tendance qu’a Freud, parfois, à privilégier ontologiquement la pulsion de mort. Ce que je crois, s’agissant du bouddhisme, c’est qu’en vérité lorsque le Bouddha parle de supprimer le désir, il pense au désir comme manque, à ce qu’il appelle la soif, qui est bien un manque, au même titre que la faim. Or, comme je vous l’ai dit, ce n’est pas là pour moi l’essence du désir, puisqu’on peut désirer boire sans avoir soif, non forcément parce qu’on serait alcoolique et qu’on manquerait d’alcool, mais parce que ce qu’on va nous servir à boire (un café, un grand vin, un jus de fruit, un verre d’eau...) est pour nous cause de plaisir ou de joie. Le nirvâna est du côté de l’extinction de la soif, donc de la disparition du manque. Mais on se tromperait du tout au tout si on voulait pour autant supprimer le désir. Si j’ai raison de penser que le manque n’est pas l’essence du désir mais son accident, supprimer le manque c’est au contraire revenir à la positivité du désir lui-même, c’est-à-dire à cette pure puissance d’exister, d’agir et de jouir, en tant qu’elle ne manque de rien. Ma lecture du bouddhisme - dont je ne suis pas un spécialiste, mais sur lequel j’ai essayé de m’informer un peu sérieusement - est à l’opposé du nihilisme. Le Bouddha tente de nous faire comprendre comment on peut se libérer du manque, sans pour autant se libérer de ce que j’appelle le désir, disons de la puissance de vivre, ce qui reviendrait à mourir. La sagesse que je cherche est du côté de la vie, et non pas du côté de la mort. Si bien que le détachement est une espèce de conversion du désir, et cela dans la mesure même où le plus souvent nous ne savons désirer que ce qui nous manque - sur ce point, Platon a raison -, alors qu’au contraire la plénitude, qui est l’absence du manque, peut être vécue bien davantage dans le détachement. Si c’est le manque qui nous attache, il faut se libérer de cet attachement, donc du manque. Et pour ce faire, il s’agit non pas de supprimer tout désir, ce qui reviendrait à se suicider ou à tendre vers la mort, mais au contraire de convertir le désir pour obtenir qu’il ne soit plus dévoré par le manque, pour qu’il soit du côté de la puissance, de la jouissance, de l’action, de la joie - de la plénitude.

 

N. C. : N’a-t-on pas tendance aujourd’hui à se méprendre sur la doctrine bouddhiste du détachement et du désir.

 

A. C. -S. : La vraie logique du bouddhisme, telle que le non-spécialiste que je suis la perçoit, me paraît être du côté du détachement, de l’absence de manque, et donc d’une expérience de plénitude. Nos contemporains aimeraient bien avoir accès à cette plénitude, mais à la condition de ne pas renoncer à tout ce qui les fait courir. Ils veulent avoir et le manque et la plénitude, ce qui est impossible. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, comme on dit familièrement. On ne peut pas avoir le manque et la plénitude, l’attachement et le détachement. Le bouddhisme, comme la plupart des écoles de sagesse, est avant tout une thérapie du désir, qui suppose tout un travail sur soi, et on se trompe lourdement en imaginant qu’on puisse être quitte avec un tel travail en faisant deux ou trois heures de yoga par semaine ou en lisant quelques bouquins spécialisés. Plus essentiellement encore, le bouddhisme est avant tout une tentative pour se libérer de l’ego, du moi qui est une pure illusion...

 

N. C. : Une sorte de décréation bouddhiste...

 

A. C. -S. : Ou l’équivalent bouddhiste, en tout cas, de ce que Simone Weil appelle en effet la décréation... Alors que nos concitoyens ont tendance à utiliser le bouddhisme davantage pour conforter l’ego que pour le dissoudre. D’où le contresens à propos de la réincarnation : dans le bouddhisme, c’est une pensée qui vise à mettre le moi à distance (pourquoi te préoccuper de ton ego, puisque tu n’étais pas cet ego-là dans ta vie précédente, puisque que tu ne seras pas cet ego-là dans ta vie ultérieure, puisque l’ego n’a qu’une existence impermanente et illusoire ?).

 

En Occident, on a tendance à récupérer cette pensée anti-égoïque de la réincarnation pour en faire un renforcement narcissique de l’ego, sur le mode (pour reprendre une formule de Folon) : “Un type comme moi ne devrait jamais mourir !” Mon petit moi est formidable ; ce serait vraiment atroce de le perdre... Heureusement, le bouddhisme m’apprend que je vais le retrouver dans une autre vie... Eh bien non ! Dans une autre vie, ce ne sera pas moi, ce sera un autre moi, tout aussi illusoire et impermanent que celui que je suis, ou que je crois être, en ce moment !

 

Le désir est une espérance

N. C. : Revenons à cette idée de détachement... Qu’elle peut être la part de l’exercice dans sa réalisation ? N’avons-nous pas affaire ici à des sagesses éminemment pratiques ?

 

A. C. -S. : Pour montrer que le désir est l’unique force motrice, Aristote, avec son génial bon sens, remarque dans le De Anima que la raison sans désir est incapable de faire agir quiconque, alors que le désir sans raison y parvient fort bien... Certes, on peut parfois agir raisonnablement, mais c’est parce que le désir mobilise la raison. Le désir, quand il n’est pas manque, est essentiellement deux choses : volonté ou amour. La différence entre l’espérance et l’amour, c’est que l’espérance est un désir qui porte sur l’irréel, alors que l’amour est un désir qui porte sur le réel. La différence entre l’espérance et la volonté, c’est que l’espérance est un désir dont la satisfaction ne dépend pas de nous - pour parler comme les stoïciens -, alors que la volonté est un désir dont la satisfaction dépend de nous. Si bien que cette conversion du désir, dont je vous parlais (à quoi se ramènent les exercices que vous évoquiez, mais à quoi se ramène en général la démarche de sagesse), consiste essentiellement à apprendre à aimer et à vouloir. Plutôt que de rester obsédé par ce qui nous manque et qui ne dépend pas de nous, plutôt que d’être toujours dévoré par la nostalgie ou l’espérance, apprenons plutôt à désirer ce qui ne nous manque pas, c’est-à-dire à aimer, apprenons plutôt à désirer ce qui dépend de nous, c’est-à-dire à vouloir et à agir. Les exercices de sagesse - en particulier dans la tradition cynique, qui m’est si chère - consistent justement à nous apprendre à vouloir. Quand Diogène va enlacer une statue gelée par un froid matin d’hiver, ce n’est pas parce qu’elle lui manque, mais pour se prouver qu’il dépend de lui de surmonter la douleur ou l’extrême inconfort, et qu’en ce sens c’est bien un désir qu’il exerce, ce qu’Aristote appellerait une puissance motrice.

 

La sagesse, un sevrage réussi

Le désir est l’essence même de l’homme. Mais le plus souvent nous ne savons désirer que ce qui nous manque, autrement dit, pour reprendre des concepts d’allure freudienne, nous sommes dévorés par la nostalgie du bon objet, de la bonne étoile, comme nous pousserait à dire l’étymologie que vous évoquiez en commençant, mais nous savons bien qu’il s’agit moins d’une étoile que d’un sein... Nous avons connu le bon objet, celui qui comblait le manque, et on nous l’a retiré, et il nous manque, si bien que nous ne cessons, durant toute notre vie adulte, de courir après un sein perdu ! C’est une course qui est vouée à l’échec, d’abord parce que nous ne retrouverons jamais le sein perdu, ensuite parce que, tant que nous ne savons désirer que ce qui nous manque, si nous trouvons ponctuellement un bon objet qui supprime le manque, dès lors que nous avons cet objet nous ne le désirons plus, puisqu’il ne nous manque plus, et déjà nous nous ennuyons... À quoi bon courir toujours après un sein, quand le monde entier est là qui se donne à connaître, à aimer, à transformer ? Le bon objet manquera toujours, le monde ne manque jamais. Convertir le désir, c’est le convertir au monde, au réel : passer du désir à la considération, pour reprendre là encore l’étymologie que vous évoquiez, ou plutôt, comme je préférerais dire, passer du manque (nostalgie, espérance) à la puissance, autrement dit à l’attention et à l’amour. Considérer vraiment, c’est être attentif ou aimant. Tant que le désir est manque, sa logique ultime c’est de désirer ce qui manque absolument : Dieu, ou ce que Platon appelle le Bien en soi. De même chez Sartre, si l’homme est fondamentalement manque d’être, alors il est de l’essence de l’homme, comme le dit expressément L’Être et le Néant, de désirer être Dieu. Si au contraire le désir n’est pas manque, sa logique ultime n’est pas de tendre vers ce qui manque absolument, mais de tendre vers ce qui ne manque jamais, à savoir tout, que l’on peut appeler le monde, la nature, l’être ou le réel... Convertir le désir, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire le retourner - mais pour le remettre à l’endroit ! -, c’est passer du manque (du sein ou de Dieu) à la puissance (de jouir et d’agir). Il s’agit de terminer le sevrage, de grandir enfin, de devenir adulte. La sagesse, d’une certaine manière, n’est pas autre chose qu’un sevrage réussi. D’aucuns voudraient nous faire croire qu’un sevrage réussi consisterait à s’enfoncer dans la résignation... C’est tout le contraire. C’est une fois que le sevrage est réussi qu’on peut aimer vraiment quelqu’un d’autre.

Modifié par GéGé
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J'aime beaucoup ces deux passages... Ils me parlent vraiment! :-_-:

Mais tu me connais, mon Gégé... ;)

 

La différence entre l’espérance et l’amour, c’est que l’espérance est un désir qui porte sur l’irréel, alors que l’amour est un désir qui porte sur le réel. La différence entre l’espérance et la volonté, c’est que l’espérance est un désir dont la satisfaction ne dépend pas de nous - pour parler comme les stoïciens -, alors que la volonté est un désir dont la satisfaction dépend de nous. Si bien que cette conversion du désir, dont je vous parlais (à quoi se ramènent les exercices que vous évoquiez, mais à quoi se ramène en général la démarche de sagesse), consiste essentiellement à apprendre à aimer et à vouloir. Plutôt que de rester obsédé par ce qui nous manque et qui ne dépend pas de nous, plutôt que d’être toujours dévoré par la nostalgie ou l’espérance, apprenons plutôt à désirer ce qui ne nous manque pas, c’est-à-dire à aimer, apprenons plutôt à désirer ce qui dépend de nous, c’est-à-dire à vouloir et à agir.

 

Et

 

Si au contraire le désir n’est pas manque, sa logique ultime n’est pas de tendre vers ce qui manque absolument, mais de tendre vers ce qui ne manque jamais, à savoir tout, que l’on peut appeler le monde, la nature, l’être ou le réel... Convertir le désir, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire le retourner - mais pour le remettre à l’endroit ! -, c’est passer du manque (du sein ou de Dieu) à la puissance (de jouir et d’agir). Il s’agit de terminer le sevrage, de grandir enfin, de devenir adulte. La sagesse, d’une certaine manière, n’est pas autre chose qu’un sevrage réussi. D’aucuns voudraient nous faire croire qu’un sevrage réussi consisterait à s’enfoncer dans la résignation... C’est tout le contraire. C’est une fois que le sevrage est réussi qu’on peut aimer vraiment quelqu’un d’autre.
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Ben oui, je te connais un peu, même si je n'ai pas la prétention de te connaître bien!

Et tu me connais aussi, tu imagines que j'ai flashé grave sur les mêmes passages, et sur les considérations sur le nirvâna, que je voyais aussi nihiliste, une pulsion de mort.

Cela faisait longtemps que je cherchais quelque chose qui m'explique que l'Eveil des bouddhistes n'est pas l'absence de désir, la mort. C'était tellement en contradiction avec ce qui, selon eux et d'après le peu que j'en sais, est le sens de la vie: la recherche du bonheur, pour soi et par, pour les autres.

Mais bon, je connais si peu...

 

Quel texte en tous cas, il faut que je remonte loin pour me souvenir d'un texte aussi puissant. Etablir une continuité de pensée entre Platon et Sartre, faut le faire, et cela suppose une assimilation fine des courants philosophiques qui m'éblouit! En particulier ce trait d'union entre le Bouddhisme et la conception freudienne de la libido comme puissance de vie, désir de tout, me fascine.

 

 

Ce texte fait du bien!

 

:b:

Modifié par GéGé
Invité Julie Charland
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Modifié par Julie Charland
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Bonjour Gégé,

 

Oui, ce texte est puissant! Il m'interpelle...

 

Ça fait déjà trois fois que je le lis et chaque fois, j'en retiens quelque chose de différent. J'ai besoin de le relire encore et de m'y arrêter. Je donnerai mes impressions dans quelques jours.

 

Julie

Je comprends :D!

 

Moi aussi je n'ai pas fini de le relire!

 

:)

Invité Julie Charland
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.

Modifié par Julie Charland
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Bonjour Julie!

 

Pour moi, le désir n'est pas puissance, il est confiance. C'est de cette confiance que nous tirons la puissance d'assouvir nos désirs; la confiance en soi d'abord, en notre valeur et en notre potentiel, puis la confiance en l'autre... la confiance de se révéler à l'autre et de l'accepter.

 

Il est aussi écrit dans ce texte que le désir est l'unique force motrice. J'attribue plutôt cette force à la peur et/ou à la méfiance. La peur, si elle sabre la confiance d'où origine le désir aura même la force de l'inhiber.

Je ne pensais pas que cet entretien avec André Comte-Sponville allait susciter des réflexions aussi profondes!

 

J'avoue que je cale pour te répondre en toute sincérité, par pudeur. D'autre part, à ce stade, et de par mon tempérament, j'ai envie de quitter un moment le domaine de la pure discussion, de l'échange d'idées, pour confronter ce que tu dis au vécu.

Alors, sans entrer dans le détail, je te dirais que je suis d'accord avec toi et que je te rejoins, au-delà de ce que tu pourrais croire! et que j'en suis à peu près là moi-même de mon évolution par rapport à ce texte.

Il m'est arrivé de connaître, dans un lointain passé, une histoire d'amour dont je croyais qu'elle pouvait défier le temps. Cela a cassé, et j'ai cru d'abord ne jamais pouvoir me séparer de cette personne, en faire mon deuil. Je croyais le désir envers cette personne indestructible! Puis le chemin a été rapide, parce que les évenements ont fait que la confiance avait disparu. Et je me suis rendu compte, jusque dans mon corps, que le désir avait également, totalement disparu. Bref, que cette histoire était, quoi qu'il arrive, finie. Même plus de manque (ce qui me trouble, par rapport à la première partie du texte initial).

Alors oui, je l'ai vécu, le désir est confiance. Ce qui n'exclut pas qu'il soit aussi puissance, dans le sens de force de vie: la confiance permet à la force de vie, à la libido au sens général, de s'exprimer. La confiance lève l'inhibition, ou la créée si elle manque.

Ceci est en effet très général.

J'ai connu également une personne qui avait si peu confiance en elle, que cette personne s'interdisait littéralement de désirer sa vie, elle ignorait ses désirs, qui étaient inhibés.

La confiance venue, ses désirs lui sont apparus, impérieux.

Je te rejoins donc absolument, pour l'avoir vu et vécu!

 

Je ne peux aller plus loin, par pudeur. Je t'aurais bien volontiers répondu par mp, mais Lasilla, ma chère Lasilla, a participé aussi à la discussion, je n'ai pas voulu lui couper le fil! Du coup ma réponse est publique, merci de me comprendre!

 

GG:)

 

 

PS: je suis con, aussi, de lancer un tel sujet sur un forum astro :D! Je me coupe l'herbe sous les pieds!

Modifié par GéGé
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Il n'y a pas de soucis mon Gégé, je te remercie d'avoir continué à vouloir m'inclure dans la discussion, mais je n'ai personnellement rien à ajouter car ce texte exprime parfaitement ma position quant à la définition du désir.

De même qu'il dit que tout désir n'est pas manque et que donc ce n'est pas correct de le définir comme cela, à mon sens tout désir n'est pas confiance, de même que confondre le goût ou l'intérêt avec le désir c'est rabaisser la puissance que peut générer le désir.

 

C'est le désir qui anime nos actions les plus forte, que ce soit un désir de justice, de paix, de pouvoir ou de sexe.

L'intérêt ou le goût me font hausser un sourcil, le désir me meut.

Le désir est la puissance, le moteur...

 

Dans la série des souvenirs, j'ai connu une jeune femme totalement effacée, transparente et manquant de confiance en elle comme il était rarement permis... C'est le désir qu'elle avait d'un homme qui l'a poussée finalement à lui déclarer sa flamme quand elle a su que la vie allait les séparer.

Elle a eu l'homme mais ça n'a rien changé à son manque de confiance en elle, au contraire!

 

Mais ce désir lui avait donné la puissance de vaincre ce manque de confiance en elle, par contre.

 

 

Je m'arrête là, vous pouvez sans soucis continuer en privé...

Sois sage Gégé! :p

Modifié par Lasilla
Invité Scopy
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Pour moi, le désir n'est pas puissance, il est confiance.
Le désir est la puissance, le moteur...

 

Sur ce thème je ne suis pas tout à fait d'accord avec Julie mais totalement avec Sil.

Pour moi, le désir c'est la puissance, c'est la vie.

Sans désir, on survit mais on ne vit pas :cool: .

 

C'est Hugo qui avait écrit : "le plus grand ennui c'est exister sans vivre" .

Quand on ne désire pas, on s'ennuie.

Le désir est moteur, création, énergie.

 

J'aime bien ce texte de Comte-Sponville, j'aime bien Comte-Sponville en général.

C'est également lui qui a écrit :

 

Pour tout vous dire, je trouve que la vie a souvent un goût amer.

Mais j’aime la bière et le tabac : je suis bien placé pour savoir que l’amertume peut être voluptueuse.

La philosophie n’a pas supprimé toute amertume de ma vie, c’est impossible, mais elle m’a aidé à la déguster mieux. C’est son but.

La sagesse, ce n’est pas d’aimer le bonheur – pas besoin de philosopher pour cela ! –, mais d’aimer la vie telle qu’elle est, heureuse ou malheureuse, amère ou douce, et d’autant plus précieuse qu’elle est fragile.

 

:)

 

Sois sage Gégé! :p

Fonce Gégé :) !

Posté (modifié)

:)

 

Pourquoi n'ai-je d'amies intimes que des femmes? Je vous lis et je le sais.

Merci, merci merci, c'est beau ce que vous dites, sincère, authentique, profond.

 

Je vous aime!

 

Scopy, quel livre d'André Comte Sponti conseillerais tu? Je ne le connais pas, j'ai envie de le connaître. Tellement de choses s'agitent dans ma petite tête de truche, parfois on tombe sur un texte et on se dit: mais oui, c'est ça, exactement! Alors on s'apprend soi-même...

 

Et...

C'est la peur ou la méfiance de la perte et du deuil qui nous fait agir. Entre autre, la peur/la méfiance du deuil de nos attentes et de nos aspirations.

Peut-être, peut-être. Je crois que vieillir c'est renoncer. Renoncer, coup après coup, jusqu'à la disparition de l'espoir, puis du désir, même si le manque alors doit être terrible.

"La peur du deuil de nos attentes nous fait agir". Il faut que je cogite cela! Mais on n'est plus dans le domaine du désir, et pourtant... tu me secoues, miss Julie!

 

Cela me rappelle François Mauriac, dans ses mémoires, quelque chose comme:

"Souvent je m'assieds au Soleil. A mon âge, la caresse du Soleil est la seule qui nous reste".

J'ai lu cela il ya bien longtemps, comme un coup de poignard avant l'heure; cette lucidité est terrible.

 

Mais on déplace le propos... et, s'il te plaît, excuse le désordre de mes idées!

 

:)

Modifié par GéGé
Posté (modifié)

Gégé,

 

Dans le Hors série de philosophie magazine, dont nous avons parlé dans un autre fil, Michel Serres nous donne la même étymologie pour le mot "désir".

D'autre part, je n'ai pas été spécialement emballé par cette intervention de André Comte-Sponville, que je n'ai par ailleurs (dans ses bouquins) jamais trouvé épatant. Pas de quoi bouleverser la pensée, je trouve.

Quant au magazine Nouvelles Clés, je préfère ne pas m'étendre...

Modifié par salviati
Invité Scopy
Posté
:)

Scopy, quel livre d'André Comte Sponti conseillerais tu? Je ne le connais pas, j'ai envie de le connaître.

C'est difficile de conseiller un livre parce que dans les livres j'aime picorer ;) .

Il y a des passages qui me parlent mais pas forcément tout le livre ... j'aime bien Comte-Sponville parce qu'il écrit clairement, sans pédanterie et que ce qu'il raconte me parle.

:)

 

"La peur du deuil de nos attentes nous fait agir". Il faut que je cogite cela!

Pour le coup, je ne suis pas d'accord et je trouverais cela d'une immense tristesse.

Je sais que la peur peut être un moteur, mais je la trouve plutôt délétère ... personnellement la peur serait plus paralysante qu'énergisante.

A mon humble avis, le désir, l'envie, la vie sont des moteurs plus puissants et plus réjouissants :) !!

 

Je crois que vieillir c'est renoncer. Renoncer, coup après coup, jusqu'à la disparition de l'espoir, puis du désir, même si le manque alors doit être terrible.

Effectivement, c'est une certaine forme de renoncement. Comme l'écrit encore Comte-Sponville :

 

C’est quelqu’un qui a renoncé au bonheur, en tout cas à celui qu’il espérait à 16 ans, qui n’y croit plus, qui ne s’y intéresse plus, du moins pour lui ou les gens de sa génération, mais qui ne peut s’empêcher, s’il a des enfants, de le rêver pour eux, de l’espérer pour eux, follement, anxieusement, désespérément…

Cette inconséquence est belle. C’est notre part de folie. C’est notre part de passion. C’est notre part d’enfance, là encore, mais projetée, à cœur perdu, dans une autre… Puis les enfants grandiront et feront des enfants.

Tout continue. Tout continuera. Le secret est bien gardé, même quand on le divulgue.

Ce n’est pas qu’on mente. Ce n’est pas qu’on se taise. C’est qu’on ne peut accepter, pour ses enfants, ce qu’on a mis tant d’années à comprendre pour soi, à accepter à peu près pour soi, à surmonter, le plus souvent, presque joyeusement…

 

 

Et puis ....

 

Cela ne l’empêche même pas d’être heureux, parfois, à sa façon, d’être plus ou moins heureux, ou presque heureux, disons de n’être pas malheureux. Cela ne l’empêche pas d’exister et d’insister, de durer et de perdurer. L’homme de 40 ans, l’homme de 50 ans, l’homme de 60 ans…

 

On sait bien comment cela finira. Mais ce n’est pas la fin qui importe. C’est le chemin. C’est le travail à faire. C’est l’amour à donner. C’est la vie qui continue, qui ne veut pas mourir, qui ne veut pas renoncer… “Le dur désir de durer”, disait Éluard.

 

C’est le désir même, en tout cas le plus fondamental, celui que tous les autres supposent, et le vrai goût de la vie.

C’est toujours le conatus de Spinoza, qui est la tendance de tout être à persévérer dans son être, qui est l’effort, en l’homme, pour jouir et pour se réjouir, pour vivre le plus et le mieux qu’on peut. Agendi potentia, lit-on dans l’Ethique, sive existendi vis : puissance d’agir, force d’exister. On ne vivrait pas autrement. On n’agirait pas autrement. On n’aurait même pas la force de se suicider. On n’en aurait pas besoin. On serait déjà mort.

 

:)

Posté
Pour le coup, je ne suis pas d'accord et je trouverais cela d'une immense tristesse.

Je sais que la peur peut être un moteur, mais je la trouve plutôt délétère ... personnellement la peur serait plus paralysante qu'énergisante.

A mon humble avis, le désir, l'envie, la vie sont des moteurs plus puissants et plus réjouissants :) !!

 

Heu...

Chuis d'accord avec Scopy! :D

Posté (modifié)

Yéééé! (expression berbère pour dire oui et pour dire oufti, selon l'intonation)

 

Vais lire tout cela plus tard, peut-être seulement à la prochaine grosse lune.

 

Pour l'instant j'ai un tas de boulot, désirs, angoisses (non, même pas peur!), attentes, envies, rêves...mais le temps ne presse pas.

 

Je me demande si cette tortue de mon avatar ne serait pas une parfaite représentation du patient Patte.

 

Bibi.

 

PS: vous n'allez peut-être pas me croire, mais au lieu de boucler mon truc qui devrait être fait pour domani matina prima hora, je suis en train d'essayer d'apprivoiser une grosse souris. Elle est très timide, mais adore tellement les cakes aux amandes/sésame qu'elle oublie sa peur.

Question musique, aucune idée encore de ses préférences. Eric Satie passe apparemment mieux que Wim Mertens.

Demain j'essaye les bois.

Modifié par syncopatte
Invité Julie Charland
Posté (modifié)

.

Modifié par Julie Charland
Posté (modifié)
Bonsoir!

 

Julie, qu'est ce que le zigonnage?

 

 

:D

 

 

De zigonner : en gros, sans perdre de temps, sans hésiter, du premier coup ! ;)

Modifié par Starfleet
Invité Julie Charland
Posté (modifié)

.

Modifié par Julie Charland

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