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La première "opération estimation" d'un institut de sondage en France le 5 décembre 1965.

 

 

Bonjour à toutes et bonjour à tous, :)

 

Dans moins d'un an, les dimanches 22 avril et 6 mai 2012 aura lieu en France la neuvième élection présidentielle au suffrage universel de la Cinquième République. J'ai pensé qu'il vous serait peut être intéressant -surtout si vous n'étiez pas encore né à l'époque ;) - de vous faire connaître comment s'est déroulée, durant la soirée du dimanche 5 décembre 1965, la première "opération estimation" d'un institut de sondage en France, l'opération "Estimation Europe-IFOP".

 

Bien entendu, ce sujet n'est qu'à but "historique", je demande aux Webastrams de s'abstenir absolument de toutes les remarques à caractère politique qui sont interdites par la charte de Webastro. Merci par avance. :)

 

Le dimanche 5 décembre 1965 dès 20h17, donc seulement 17 minutes après la fermeture des derniers bureaux de vote, l'IFOP (Institut Français d'Opinion Publique) délivrait, via Europe n°1, sa première "fourchette" d'estimation : le général de Gaulle obtiendrait "entre 35% et 55% des suffrages exprimés". L'élection du fondateur de la Cinquième République française dès le premier tour de scrutin semblait encore possible. (voir l'évolution des six sondages effectués par l'IFOP durant l'automne 1965 ; http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1966_num_7_2_1112) :

 

- 1°) sondage du 22 septembre 1965 :

* Charles de Gaulle : 68 % des intentions de vote ;

* François Mitterrand : 23 % des intentions de vote ;

* Jean Lecanuet : choix non proposé aux sondés (il n'annoncera sa candidature que le 19 octobre 1965);

* Jean-Louis Tixier-Vignacour : 7 % des intentions de vote.

 

- 2°) sondage de début octobre 1965 :

* Charles de Gaulle : 69 % des intentions de vote ;

* François Mitterrand : 22 % des intentions de vote ;

* Jean Lecanuet : choix encore non proposé aux sondés;

* Jean-Louis Tixier-Vignacour : 7 % des intentions de vote.

 

- 3°) sondage du 5 novembre 1965 :

* Charles de Gaulle : 66 % des intentions de vote ;

* François Mitterrand : 23 % des intentions de vote ;

* Jean Lecanuet : 4,5 % des intentions de vote ;

* Jean-Louis Tixier-Vignacour : 4,5 % des intentions de vote.

 

- 4°) sondage du 16 novembre 1965 :

* Charles de Gaulle : 61 % des intentions de vote ;

* François Mitterrand : 25 % des intentions de vote ;

* Jean Lecanuet : 7 % des intentions de vote ;

* Jean-Louis Tixier-Vignacour : 7 % des intentions de vote.

 

- 5°) sondage du 27 novembre 1965 :

* Charles de Gaulle : 46,5 % des intentions de vote (c'est la première fois que le ballottage devenait envisageable) ;

* François Mitterrand : 28 % des intentions de vote ;

* Jean Lecanuet : 14 % des intentions de vote ;

* Jean-Louis Tixier-Vignacour : 7 % des intentions de vote.

 

- 6°) sondage du 2 décembre 1965 :

* Charles de Gaulle : 43 % des intentions de vote (là, le ballottage devenait hautement probable) ;

* François Mitterrand : 27 % des intentions de vote ;

* Jean Lecanuet : 20 % des intentions de vote ;

* Jean-Louis Tixier-Vignacour : 7,5 % des intentions de vote.

 

En réalité il y eu en tout six candidats à cette première élection présidentielle : Pierre Marcilhacy et Marcel barbu concoururent aussi.

 

Sur Europe n°1, l'IFOP annonçait à 21h30 une deuxième "fourchette" d'estimation : le général de Gaulle n'obtiendrait que "moins de 48% des suffrages exprimés" et donc que son ballottage "ne faisait plus de doute".

 

Le coup de grâce fut asséné par l'IFOP qui à 22h50 annonçait, via Europe n°1, sa "fourchette définitive" : le général de Gaulle aurait "entre 43% et 45% des suffrages exprimés".

 

Ces chiffres furent reçus en France comme un énorme coup de poing car le Ministère de l'Intérieur annonçait encore à cette heure la réélection dès le premier tour du général de Gaulle "avec au moins 52% des suffrages exprimés" (ce que confirmait les premiers résultats partiels décomptés dans les communes dont les bureaux fermaient à 18 heures et à 19 heures).

 

Il est vrai que Roger Frey, le ministre de l'Intérieur de l'époque, avait "manipulé" le dernier sondage des Renseignements Généraux qui - c'est du moins qu'il fut présenté à la presse - accordait 54% des suffrages exprimés au général de Gaulle (les véritables chiffres de cette enquête des Renseignements généraux ne lui accordaient que 46%... ; à ce sujet : http://www.polemia.com/article.php?id=2511).

 

Vers 23h30 Roger Frey dut, bien malgré lui, annoncer le ballottage du général de Gaulle... :confused:

 

Voici quels furent les résultats de ce premier tour :

 

* Charles de Gaulle : 10 828 523 suffrages exprimés (44,65 %) ;

* François Mitterrand : 7 694 003 suffrages exprimés (31,72 %) ;

* Jean Lecanuet : 3 777 119 suffrages exprimés (15,57 %) ;

* Jean-Louis Tixier-Vignancour : 1 260 208 suffrages exprimés (5,20 %) ;

* Pierre Marcilhacy : 415 018 suffrages exprimés (1,71 %) ;

* Marcel Barbu : 279 683 suffrages exprimés (1,15 %).

 

Quelle fut la réaction du général de Gaulle après cette mise en ballottage ? Eh bien, François Broche l'a très bien analysé dans la revue "Espoir" n° 145 de décembre 2005 dans un article intitulé “ l'élection présidentielle de 1965 : "Les dessous d'une campagne" ” (http://www.charles-de-gaulle.org/pages/revue-espoir/articles-comptes-rendus-et-chroniques/l-election-presidentielle-de-1965--les-dessous-d-une-campagne-par-francois-broche.php) :

 

« À Colombey, la soirée est sinistre. Le Général se tait. Au téléphone, Étienne Burin des Roziers confirme le ballottage. De Gaulle lui annonce qu'il va rester à la Boisserie le lendemain « pour réfléchir ». Le lundi matin, il téléphone à Pompidou, qui a près de lui Louis Joxe et Alain Peyrefitte. Le Premier ministre lui demande de poursuivre le combat ; comme le Général lui paraît peu enclin à l'écouter, il passe le combiné à Joxe, à qui de Gaulle annonce qu'il va se retirer. Peyrefitte intervient à son tour, parle chiffres, marge de manœuvre, déplacement de voix. De Gaulle ne dit plus rien. Peyrefitte a le sentiment qu'il est ébranlé. Le même jour, Jacques Vendroux se rend à la Boisserie ; il exhorte son beau-frère à se maintenir. Le Général rentre à Paris le mardi matin, lit la presse étrangère et surtout une note de François Goguel, où le secrétaire général du Sénat explique que, dans le nouveau système constitutionnel, le ballottage est inévitable, qu'il correspond aux « primaires » américaines et qu'il n'empêche nullement le Président élu au second tour d'être l'élu de tous les Français. Cette argumentation achève de le décider. Le 8, il ouvre le conseil des ministres par d'étonnantes confidences : « Je me suis trompé. C'est moi et moi seul qui ai confondu élection et referendum. Je mentirais si je disais que je n'ai pas été atteint. » Les ministres sont ravis de constater qu'il a retrouvé son dynamisme : « Bien entendu, je me maintiens », annonce-t-il sans aucun commentaire.

 

Conformément à la Constitution, le second tour est limité à un duel entre les deux candidats les mieux placés. Pour l'entourage du Général, il n'est plus question de commettre la même erreur qu'avant le premier tour : il doit descendre de son Olympe, il doit répondre aux questions qui préoccupent les Français, en particulier ceux qui ont voté Lecanuet. Michel Debré et surtout Georges Pompidou pèsent de toute leur influence et convainquent le Général ; Peyrefitte, Burin des Roziers, Gilbert Pérol, le chef du service de presse de l'Élysée, étudient des plans de campagne ; Pierre Lefranc et ses comités départementaux font du forcing en province. Chacun a désormais acte de l'importance de la télévision : Peyrefitte songe à une interview du Général par Jacqueline Baudrier, rédactrice en chef du « Journal parlé » de l'ORTF, mais Pérol emporte le morceau en avançant le nom de Michel Droit, rédacteur en chef du Figaro littéraire, qui éditorialise à la télévision dans l'émission « À propos ».

 

De Gaulle l'apprécie ; il accepte de le recevoir ; un bout d'essai est enregistré. Le 13 décembre, deux dialogues sont tournés dans la matinée, un troisième dans l'après-midi. Le résultat est stupéfiant : la verve du Général fait merveille : « Les Français découvrent sur leurs petits écrans, écrivent Pierre Sainderichin et Joseph Poli, un de Gaulle qu'ils ne soupçonnent pas, allègre, bonasse, plein d'alacrité, l'œil et le style pétillants, redoutable dans sa rouerie malicieuse. Un numéro éblouissant, diaboliquement exécuté. » (Histoire secrète d'une élection, Plon, 1966) L'entourage est ravi : le Général se montre clair, simple, convaincant - et pourtant il n'est guère content de lui-même :

"Vous m'avez fait mettre en pyjama devant les Français, dit-il à Georges Galichon, son directeur de cabinet (Dans "C'était de Gaulle", Alain Peyrefitte raconte qu'après le conseil du 8, de Gaulle lui a lancé : « Vous voudriez que je parle aux Français en pyjama. »)

 

À Michel Droit, à la fin des tournages, il a confié qu'une fois lancé, il continuerait bien à « jaspiner comme ça pendant plusieurs heures » ! L'opération est un succès : le 17 décembre, un sondage lui attribue 55 % des voix. Dans Le Figaro Jacques Faizant dessine une petite Marianne sur les genoux de Grand-Père Charles : « Ah, si tu m'avais toujours parlé comme a, gros bêta ! », soupire-t-elle.

 

Pendant ce temps, dans son appartement-QG de la rue Guynemer, François Mitterrand croit de plus en plus à ses chances. Il a rassemblé toute la gauche, il lui faut maintenant rassembler tous les « républicains ». Il compte beaucoup sur les électeurs de Lecanuet, qui est désormais en butte à de très fortes pressions en sens contraire. Le candidat centriste ne se désistera pas pour Mitterrand, mais annoncera, le 16 décembre : « Je ne voterai pas pour le général de Gaulle et je demande à mes électeurs de ne pas voter pour lui. » Tixier-Vignancour, lui, n'hésite pas à faire voter Mitterrand et l'on peut penser que l'antigaullisme farouche de ses électeurs - flatté par d'habiles sous-entendus émanant de la rue Guynemer annonçant une amnistie générale pour le cas où… - est venu massivement appuyer, le 19 décembre, celui qui apparaît maintenant comme le principal adversaire du Général.

 

Mais l'avance du Général est trop forte : au soir du 19 décembre, il recueille 12 643 527 voix (54,5 % des voix) et Mitterrand, 10 553 985 (45,5 %). « Ce qui est étrange dans ce pays, plaisante Gaston Defferre, c'est que tous les Français sont antigaullistes, sauf les électeurs ! » Le Général reste à l'Élysée, mais ses adversaires ne se tiennent nullement pour battus. Jacques Fauvet, prophétise dans Le Monde : « La belle devrait se jouer au printemps 1967. » Tout sera à refaire pour le rendez-vous des législatives. Mais, cette fois, le Premier ministre sera en première ligne. »

 

Voici, grâce à l'INA, comment, depuis le "studio 3" du 15 rue Cognac Jay (Paris 7ème) la première chaîne de la télévision française annonçait vers 20h10 les tous premiers résultats du second tour de l'élection présidentielle, le dimanche 19 décembre 1965, concernant 67 301 suffrages exprimés (vous remarquerez comment à l'époque on faisait pour connaître les pourcentages des suffrages exprimés : grâce à une impressionnante et très lourde machine à calculer électro-mécanique) : http://www.live2times.com/1965-de-gaulle-bat-francois-mitterrand-au-deuxieme-tour-des-presidentielles-e--10934/.

 

NB : vous avez remarqué que le challenger du général de Gaulle était appelé alors par la majorité des journalistes de l'ORTF (sauf par Thierry de Scitivaux qui prononçait bien "Mitérand") "Mit'rand", il faudra attendre mai 1981 pour qu'il soit appelé par tous les journalistes de la télévision publique "Mitterrand"... ;)

 

Voici, toujours grâce à l'INA, comment la première chaîne de la télévision française annonçait vers 20h25 les résultats concernant 206 000 suffrages exprimés sur 250 communes : http://www.live2times.com/soiree-electorale-election-presidentielle-2eme-tour-19-decembre-1965-resultats-2eme-tour-plateau-paris-3--tv-radio-79325/

 

Voici enfin, toujours grâce à l'INA, comment était annoncés les résultats vers 20h45 concernant cette fois-ci 944 000 suffrages exprimés : http://www.live2times.com/soiree-electorale-election-presidentielle-2eme-tour-19-decembre-1965-resultats-2eme-tour-plateau-paris-5--tv-radio-79329/

 

Telles étaient les soirées électorales à la télévision française voici bientôt 46 ans. :)

 

Les résultats du second tour furent les suivants :

* Charles de Gaulle : 13 083 699 suffrages exprimés (55,20 %) ;

* François Mitterrand : 10 619 735 suffrages exprimés (44,80 %).

 

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté

Bonsoir à toutes et bonsoir à toutes, :)

 

Vous pourriez vous demander comment les Français qui n'avaient point encore accès à la télévision ont pu en décembre 1965 - outre par la lecture des journaux et par l'écoute de la radio - savoir comment s'était déroulée cette première élection présidentielle au suffrage universel sous la Cinquième République ? Eh bien, ils durent attendre le samedi suivant chaque tour de scrutin pour prendre connaissance des actualités dans les salles de cinéma, alors assez nombreuses en province par rapport à aujourd'hui.

 

 

Voici d'abord comment les actualités cinématographiques françaises présentèrent les résultats du premier tour de l'élection présidentielle du dimanche 5 décembre 1965 :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=UGBA-k2qijU" via YouTube
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Voici ensuite comment elles rendirent compte des résultats du second tour de l'élection présidentielle du dimanche 19 décembre 1965 :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=wTgPi9mJHqc" via YouTube
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Roger le Cantalien. :rolleyes:

Posté (modifié)

L'élection présidentielle suivante, en juin 1969, ne laissa quasiment aucun souvenir dans la mémoire électorale française... :( :( :( En revanche, la suivante, en mai 1974, fut la plus passionnante car elle fut celle dont les résultats furent les plus serrés au second tour... ;) La télévision française s'est alors lancée, elle aussi, dans une "opération estimation", avec la SOFRES. Les résultats furent excellents, lors des deux tours de scrutin, pour la précision des chiffres communiqués dès 20 heures précises.

 

 

Voici d'abord comment la première chaîne de la télévision française (en noir et blanc) présenta à 20 heures précises les résultats du premier tour de l'élection présidentielle du dimanche 5 mai 1974 (avec l'estimation ORTF-SOFRES) :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=4gVHPmfwYT8&NR=1" via YouTube
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Voici ensuite comment la deuxième chaîne de la télévision française (en couleur !...) présenta à 20 heures précises les résultats du second tour de l'élection présidentielle du dimanche 19 mai 1974 (avec l'estimation ORTF-SOFRES) :

 

 

"http://www.youtube.com/watch?v=q7D8iM2gi9M&feature=related" via YouTube
ERROR: Si vous lisez ce texte, YouTube est hors-ligne ou vous n'avez pas installe Flash

 

 

Roger le Cantalien. :rolleyes:

Modifié par roger15

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