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  • Starlink: visibilité dans le ciel et impact sur l'astronomie amateur

       (7 avis)

    Depuis le lancement du projet Starlink, les satellites de SpaceX sont devenus un objet de discussions intenses entre astronomes amateurs, ainsi qu’une source de questions pour les curieux qui se demandent ce que sont ces points lumineux très brillants qui bougent dans le ciel par grappes entières.

     

    Cet article a pour vocation de rassembler les informations sur ce sujet de manière objective, notamment les conséquences du projet Starlink pour l’observation du ciel et l’astronomie amateur.

     

    Mises à jour:

    • 29/04/2020: informations sur la solution pare-soleil + impact sur les concurrents
    • 02/05/2020: Ajout d'un exemple d'astrophoto avec traitement
    • 17/01/2021: Ajout d'informations sur  la visibilité des Visorsats, la nouvelle version de Starlink pour une luminosité plus faible. Ajout d'information sur la comparaison avec le réseau concurrent OneWeb

    Starlink, qu’est-ce que c’est ?

     

    Le projet Starlink est un projet de satellites de télécommunications, géré par SpaceX, dirigée par Elon Musk (fondateur de Paypal, Tesla, Hyperloop,  Powerall, The Boring Company…). Le projet vise à fournir des services de couverture internet à l’ensemble de la planète.

    Starlink repose sur une constellation de plusieurs milliers de satellites en orbite basse.

    La télécommunication par satellite

     

    Si ce projet est devenu médiatique, c’est parce que sa structure diffère radicalement des structures existantes. Jusqu’à présent, les satellites de télécommunication étaient traditionnellement des structures larges et complexes placées en orbite géostationnaires, pour couvrir de larges zones terrestres. Ceux-ci étant très éloignées et en faible nombre, leur visibilité dans le ciel nocturne reste relativement faible.

     

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    Le satellite de télécommunication Hispasat 36W-1, en situation de test d’antenne. Crédit : ESA–P. Sebirot

     

     

     Satellites Telecom et couverture réseau

     

    Le développement des technologies réseau sur la surface terrestre se fait de manière continue, comme en témoignent les évolutions vers la 3G, 4G puis la 5G. Ces réseaux couvrent cependant en priorité les zones à forte densité de population, dans lesquelles ils peuvent être utilisés au maximum de leurs capacités (notamment pour la 5G dont le but est de faciliter des communications décentralisées entre objets connectés du quotidien). Le développement des réseaux terrestres dans les zones peu denses et plus isolées représente un défi en termes de coûts et de structure. La télécommunication par satellite est donc privilégiée pour celles-ci.

    Les services satellites ne permettent par ailleurs pas seulement de créer une couverture internet, mais fournissent également les services suivants (liste non exhaustive) :

    -          Suivi et localisation des bateaux, des avions, des moyens de transports divers en zones isolées (exemple : traversée des océans)

    -          Passage des communications radio

    -          Retransmission TV, notamment pour les événements mondiaux (sport, journalisme, etc)

    La télécommunication par satellite est donc un outil complémentaire au déploiement de la couverture réseau terrestre.

     

    Pourquoi envoyer des satellites  Telecom en orbite basse ?

     

    Les satellites géostationnaires possèdent l’avantage de couvrir de vastes étendues terrestres. Ils ont cependant l’inconvénient de se trouver très loin de la Terre (36000km), ce qui retarde inévitablement les transmissions avec le sol. Lorsqu’un utilisateur tente une connexion, le signal est envoyé au satellite, retransmis sur la station terrestre, envoyé au centre de traitement réseau, puis renvoyé au satellite et enfin à l’utilisateur, après avoir donc parcouru environ 144 000 kilomètres. Le temps de latence est ainsi de plus d’une demi-seconde pour l’aller-retour des informations indispensable à la communication. Pour comparaison, le temps de latence d’une connexion ADSL ou fibre est de 50 millisecondes, et le temps de latence estimé pour une constellation de satellites en orbite basse est de 100 millisecondes.

     

    Là où un seul satellite géostationnaire peut couvrir en permanence une large zone, la diffusion par une orbite basse nécessite une large constellation de satellites. Ceux-ci évoluant à vitesse rapide (vitesse angulaire de 0.79deg.s-1 pour un observateur terrestre) doivent couvrir ensemble une même zone en s’alternant pour une position donnée.

     

    L’arrivée des projets de satellites en orbite basse est le résultat de l’évolution de plusieurs facteurs, en particulier de baisse de coûts de lancement et d’entretien. Ainsi l’évolution des fusées réutilisables via SpaceX a permis de baisser drastiquement le prix d’un lancement.

     

    Exemples de coûts de lancements, par kilogramme :

     

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    De même, la propulsion satellitaire électrique en lieu et place de la classique propulsion par ergols permet de baisser les coûts et augmenter la durée de vie d’un satellite, notamment via la forte réduction de la masse globale.

    La propulsion électrique n’est par ailleurs pas réservée aux satellites en orbite basse, mais fait l’objet de développements et d’applications sur tous les projets. Exemple des satellites Telecom Airbus.

    Le projet d’Elon Musk

     

    Le projet Starlink peut également être replacé dans la vision générale portée par Elon Musk sur le développement spatial. Le but final étant l’envoi d’êtres humains sur Mars, Starlink apporte plusieurs fonctions au projet. D’une part un financement commercial, d’autre part un outil de communication général servant de support technique pour le développement des communications avec les sondes d’exploration.

     

    Les buts de Starlink sont principalement dans l’établissement d’un réseau internet visant les populations en zones peu denses, et isolées des réseaux terrestres. De nombreuses personnes sont donc concernées, principalement  dans les zones à faible densité des pays riches (campagnes, montagnes…). Selon Elon Musk, le déploiement Starlink concerne les 3 à 4% des clients qui sont difficilement atteignables par les opérateurs classiques.

     

    La communication des satellites Starlink ne se fera pas directement jusqu’aux terminaux des utilisateurs, mais passera d’abord par des récepteurs centralisés spécifiques. A l’heure actuelle, SpaceX prévoit le déploiement d’un million de ces terminaux pour la mise en place 2020 dans les seuls Etats Unis d’Amérique.

     

    Le déploiement de la constellation se fait par des lancements de grappe : chaque lancement depuis une fusée Falcon 9 déploie 60 satellites simultanément. Ceux-ci sont répartis sur trois orbites :

     

    • 340 kilomètres d’altitude : 7500 satellites, sur la bande spectrale V (micro-ondes, 40 à 75Ghz)
    • 550 km d’altitude : 1584 satellites, pour les bandes spectrales Ku et Ka (12-18GHz, 26.5-40GHz)
    • 1100 km d’altitude : 2825 satellites, pour les bandes spectrales Ku et Ka

     

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    Grappe de 60 satellites Starlink lancés ensemble en 2018. Crédits: Starlink (licence CC BY-NC 2.0)

     

    La première phase de déploiement s’opère sur les 1584 satellites à 550 kilomètres d’altitude.

     

    Starlink a jusqu’à présent obtenu l’autorisation des autorités de régulation pour le lancement de 12000 satellites, et attend une nouvelle autorisation pour 30000 satellites supplémentaires (état d’avril 2020).

    La mise en service de Starlink pour la couverture réseau est prévue pour les années 2020 et 2021, respectivement pour le continent américain et le reste du monde.

     

    Impact des satellites Starlink sur l’observation du ciel et l’astronomie

     

    Lorsque l’on observe les satellites Starlink dans le ciel, il faut bien dissocier deux conditions particulières :

     

    • Le lancement d’une grappe de satellites. Dans ce cas, plusieurs dizaines de satellites sont regroupés, et passent de manière très brillante dans le ciel. La plupart du temps, ce sont ces événements qui font réagir curieux comme astronomes amateurs.
    • Le passage de satellites « installés », c’est-à-dire l’observation des satellites sur leur orbite finale. Ici, les préoccupations concernent la visibilité permanente des constellations Starlink et l’impact à long terme sur le ciel et les observations astronomiques.

     

    Le problème principal du passage d’un satellite n’est pas tant sa présence instantanée dans le ciel que les traces de celle-ci. Les techniques d’astrophotographie utilisent régulièrement des images à longue pose, qui enregistrent donc la présence d’un satellite sur l’ensemble de sa trajectoire.

     

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    Traces de satellites passant dans le ciel, avant Starlink
    Crédits : Eckhard Slawik / International Astronomical Union

     

    Si jusqu’à présent les satellites visibles étaient assez peu nombreux pour être évités lors d’enregistrements, l’arrivée de Starlink et des autres projets de constellations en orbite basse change la donne. Ce sont désormais des dizaines de milliers de satellites qui strieront potentiellement le ciel et les photos des astronomes amateurs comme professionnels.

     

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    Exemple de traces de satellites Starlink, ici après décollage (donc en phase très lumineuse).
    Crédit : Victoria Girgis/Lowell Observatory

     

    Pour étudier l’impact de cette nouvelle activité sur le ciel, l’astronomie, et l’astrophotographie en général on peut distinguer les cas suivants :

     

    • Observation du ciel à l’œil nu. Quiconque lève les yeux au ciel peut voir des satellites passer. Le ciel en sera-t-il désormais rempli, au point d’en gâcher la vision par une pollution lumineuse exacerbée ?
    • Astrophotographie de paysages. Les photos à longue pose pour obtenir des clichés nocturnes époustouflants sont les premières à être impactées par les traces de satellites.
    • Astrophotographie à grand champ : de manière générale, l’observation d’une région du ciel sur un champ plus grand.
    • Astrophotographie à champ réduit : zoom sur un objet céleste en particulier.

     

    On peut encore distinguer:

     

    • Les astronomes et astrophotographes amateurs, présents par millions dans tous les pays. Leur passion risque-t-elle d’être gâchée par les traces de satellites ?
    • Les astronomes professionnels, qui utilisent par exemple les très grands télescopes terrestres (VLT, Keck…) ou les observatoires professionnels (Pic du Midi…). Il s’agit ici de tout un pan de la recherche fondamentale, indispensable dans les études de l’Univers. On y retrouve aussi la surveillance des astéroides susceptibles de poser un danger pour la Terre.

     

    Impact sur l'observation astronomique : étude de l’ESO

     

    A l’heure actuelle (avril/mai 2020), la meilleure estimation des risques que fait peser la constellation de satellites sur le monde de l’astronomie est une étude de l’European South Observatory (ESO), disponible ici : https://www.eso.org/public/archives/releases/sciencepapers/eso2004/eso2004a.pdf

     

    Cette étude prend en compte l’impact de 26 000 satellites placés en orbite basse. Les conclusions en sont que :

     

    • Le nombre total de satellites illuminés au-dessus de l’horizon au coucher du Soleil serait de 1600
    • Au moment du crépuscule astronomique, ce nombre serait de 1100 satellites, 85% d’entre-eux étant proches de l’horizon (élévation inférieure à 30%)

     

    Sur ces satellites présents dans le ciel, la majorité resterait invisible :

     

    • 260 d’entre eux auraient une magnitude inférieure à 6 (visibles en conditions exceptionnelles)
    • 110 auraient une magnitude inférieure à 5 (visibles à l’œil nu en bonnes conditions)
    • 95% d’entre-eux seraient proches de l’horizon, laissant moins d’une dizaine de satellites visibles dans le ciel habituellement observé.

     

    Le nombre de satellites visibles restants continue à décroître avec l’avancée de la nuit.

     

    L’apparition de « flares », c’est-à-dire de brusques sursauts de luminosité lorsqu’un satellite pivote et reflète la lumière du Soleil aurait un impact négligeable sur les observations astronomiques.

     

    De manière générale, les télescopes de l’ESO sont susceptibles d’être affectés à hauteur de 3% pour les images réalisées en début et fin de nuit.

    Le problème se fait par contre plus pesant sur les télescopes à très grand champ, qui verraient leurs observations impactées de 30% à 40% dans les premières heures de la nuit et celles de fin de nuit.

    L’étude opère les remarques suivantes :

     

    • Les trains de satellites tels qu’observables après un lancement groupé ne posent pas de problème pour l’observation au télescope. Bien que spectaculaires, ils sont de très courte durée et uniquement visible juste après le coucher du Soleil ou avant son lever.
    • Les flares sont suffisamment rares et courts pour avoir un impact négligeable sur les observations astronomiques.
    • Les observations à courte pose (~une seconde) ne seront globalement pas touchées par le problème. Les observations dans l’infrarouge ne seront pas gênées par l’émission des satellites.
    • Les observations de moyenne durée (100 secondes) sont faiblement affectées. 0,5% d’entre-elles seraient gâchées au crépuscule.
    • Les observations à pose longue (1000s) seraient gâchées à hauteur de 0.3 à 0.4% durant le début et la fin de nuit, et jusqu’à 3% au crépuscule.
    • Pour les instruments à grand champ, le taux serait de 1 à 5% en début et fin de nuit, et serait plus important au crépuscule
    • Les instruments à très grand champ sont les plus marqués, avec un taux d’échec allant jusqu’à 50% au crépuscule, principalement à cause de phénomènes de saturations et de « ghosts » optiques (lumière parasite faussant le signal). Ces télescopes sont plus fortement touchés de par la combinaison d’un très grand champ d’observation avec de très grands miroirs qui récoltent donc beaucoup de lumière, et sont combinés à des détecteurs particulièrement sensibles et sujets aux phénomènes de saturation.

     

    Ces résultats sont résumés dans le tableau ci-dessous :

    (note: le "grand champ", pour l'ESO, est déjà de l'ordre du degré au niveau du champ, la catégorie inclut notamment les instruments OmegaCam avec 1° de champ ainsi que le spectromètre  4MOST via le télescope VISTA avec 4.1°² de champ)

     

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    Limites de l’étude : Cette étude préliminaire a été réalisée avec un nombre de satellites choisi comme étant très grand, ainsi que des approximations conservatrices, c’est-à-dire dans le sens pessimiste. La réalité devrait donc être au pire similaire, au mieux plus optimiste que ces prévisions. Elle porte également uniquement sur l’observation en domaines visibles et infrarouge, le cas de la radio-astronomie n’étant pas ici abordé.

     

    Note sur les télescopes à très grand champs : Ces télescopes sont utilisés en repérage large pour transmettre des coordonnées d’objets à observer aux télescopes à faible champ. Leurs observations servent également de support à la détection d’astéroides dans notre système solaire, et donc à la prévention des risques posés par ces objets stellaires.

     

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    L'Observatoire Vera-C.-Rubin, ou Large Synoptic Survey Telescope est l'instrument le plus touché par le projet Starlink. Installé au Chili, ce projet américain en construction doit pouvoir commencer ses observations à partir de fin 2020.

    Crédit: LSST Project Office  (licence CC BY-SA 4.0, sans modification)

     

     

    De manière générale, on note donc un impact modéré sur les observations astronomiques. L’étude souligne par ailleurs que des mesures d’adaptation sont possibles pour améliorer la situation des grands télescopes, bien que provoquant quelques surcoûts.

     

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    Effect of satellite trails - tableau récapitulatif. Crédit: ESO

     

    Etude de Jonathan C. McDowell1, soumise dans The Astrophysical Journal Letters

     

    Source : https://arxiv.org/pdf/2003.07446.pdf

     

    Une autre étude publiée plus tôt en mars dans The Astrophysical Journal Letters s’intéresse aux variations de visibilité des différentes orbites de satellites Starlink en fonction de la localisation et de la période de l’année.

     

    L’étude dissocie les 3 couches orbitales :

    • Couche A ? à 550km
    • Couche B, entre 1130 et 1325km
    • Couche C, de 336 à 346 km

     

    La couche B étant la plus éloignée, c’est de celle-ci logiquement que les satellites sont les moins visibles.

    En prenant une ville européenne, Londres, celle-ci obtient les résultats suivants pour la zone du ciel au-dessus de 30 degrés d’élévation :

     

    • En été,
      • 50 satellites de la couche B avec une magnitude de 7.5 (invisibles à l’œil nu)
      • 25 satellites des couches A et C, de magnitude entre 4.5 et 5.5 (difficilement visibles à l’œil nu)
    • En hiver, près de 200 satellites au niveau de l’horizon qui disparaissent quand la nuit vient
      • Plus d’une dizaine de satellites sur les couches A et C qui ont complètement disparu  vers 19h
      • Une cinquantaine de satellites sur la couche B (moins visible) qui ont complètement disparu à 21h

     

    Globalement, les satellites se positionnent donc sur une magnitude de 5.5 dans l’état actuel du revêtement (voir chapitre suivant pour l’amélioration). Ceux-ci ne peuvent être visibles à l’œil nu que depuis des sites possédant de bonnes conditions d’observation (pas de pollution lumineuse).

     

    L’impact de la constellation est de manière générale peu visible, sauf pour les observations à long temps de pose et large champ de vue (comme souligné par l’étude de l’ESO concernant les télescopes à très grand champ). Les impacts sont surtout sensibles au moment du crépuscule, plus particulièrement pendant la saison estivale.

     

    Etude de Anthony Mallama sur l'influence des VisorSat

    Source : https://arxiv.org/abs/2101.00374

     

    Une nouvelle étude publiée par Anthony Mallama s'intéresse à l'influence des nouveaux designs de Visorsat sur la magnitude observée des satellites. S'intéressant aux 415 satellites lancés depuis mai 2020 équipés du système de visière, l'observation de leur visibilité témoigne d'une baisse de magnitude à 31%, ceux-ci atteignant désormais la magnitude 5,92.

    Les Visorsat deviennent donc défintivement invisibles à l'oeil nu. Restant néanmoins en deça de la magnitude 7 (objectif de SpaceX), le problème de leur influence sur les grands télescopes, particulièrement en été, reste non-résolue. 

     

    L'étude compare par ailleurs la magnitude à celle des satellites de OneWeb, entreprise concurrent pour le réseau de satellites à basse orbite, qui opère ses propres instruments sur une orbite de 1200km d'altitude (avec donc une magnitude plus faible). La magnitude des satellites à orbite opérationnelle est la suivante:

    • Satellite Starlink originel: 4,63
    • Satellite Starlink Virorsat: 5,92
    • Satellite OneWeb: 7,58

     

    Concernant l’astronomie amateur 

     

    Ces études focalisant d’abord sur l’astronomie professionnelle, elles  ne donnent pas de réponse directe. Cependant ses éléments de calculs montrent un risque modéré :

     

    L’observation du ciel à l’œil nu sera très peu impactée, le nombre de satellites visibles simultanément étant inférieur à la dizaine et les ordres de magnitude avant même la prise en compte de mesures de  corrections sont à la limite de la visibilité oculaire.

     

    L’observation et la photographie au télescope: comme précédemment cité, les perturbations potentielles seraient surtout sensibles en début et fin de nuit.

    L’astrophotographie à grand champ peut être rapprochée de certaines conditions d’observation citées par l’ESO. Ainsi, l’OmegaCam utilisée avec des poses d’une centaine de secondes pour 1 degré de champ est impactée à hauteur de 5% à 7% en début et fin de nuit. En milieu de nuit, ce taux diminue.

     

    Evidemment, plus le champ est réduit, plus la probabilité d’être impacté par le passage d’un satellite est faible.

     

    Il est possible également que les orbites des satellites leur fassent emprunter des chemins répétés dans le ciel, notamment au zénith. La zone concernée serait alors plus exposée aux perturbations.

     

    Astrophotographie à grand champ et paysages :

     

    Ces catégories sont les plus touchées, puisqu’opérant sur de larges zones du ciel. A l’instar du LSST, dont les observations seront fortement impactées, ces photos n’échapperont probablement pas aux traces de satellites Starlink. C'est d'autant plus vrai que de nombreuses photos de paysages se font aux premières ou dernières lueurs du jour, afin de profiter d'un minimum de lumière et des conditions de rayonnements rasants. Il faudra ici compter sur les traitements logiciels et leur évolution en fonction de ces nouvelles conditions.

     

    Spectroscopie : l’observation en spectroscopie est également très exposée à de telles perturbations. Celle-ci se fait en effet avec de très longues poses, et la répartition de la lumière sur le spectre fait que les images sont bien plus sensibles à de potentielles perturbations lumineuses extérieures. L’étude de l’ESO montre par exemple que l’instrument Caveat sera affecté à hauteur de 10 à 20% en début et fin de nuit.

     

    Traitement astrophoto et logiciel

     

    Les traitements logiciel sont une étape importante pour enlever les passages d’avions et satellites, et font partie de la vie courante de l'astrophotographe. Ils permettent de détecter et enlever de telles traces lors de la compilation des photos. Il s’agit notamment du sigma clipping, qui permet d’enlever les traces temporaires en détectant les différences entre images. Ce procédé élimine toute valeur de luminosité supérieure à la médiane de l'image ajoutée de l'écart-type, c'est-à-dire toute valeur trop éloignée de la distribution de luminosité présente sur l'image.

     

    Les logiciels de guidage peuvent également être impactés : lorsqu’un instrument se centre sur une étoile-guide, le passage d’un objet brillant peut déranger la mesure, provoquer un ajustement du gain par le logiciel, et donc la perte de l’objet suivi. Des améliorations logicielles seront nécessaires pour éviter de telles perturbations.

     

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    Exemple de photo d'une pluie d'étoiles filantes devant la Voie lactée (Lyrides). Sur ce type de photo, le logiciel ne peut pas distinguer les filés d'étoiles et ceux de satellites (ici, des Starlink  particulièrement visibles après un lancement). Les deux se superposent donc, et la photo est gâchée.

    (Images réalisées avec 300 poses de 30 secondes)

     

    Ci-dessous, la même photo avec nettoyage des traces par le logiciel. Les traces de satellites sont alors complètement effacées, mais les étoiles filantes ont elle aussi disparu.

    Crédit: Spacetime Pictures

     

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    Amélioration physique des satellites pour diminuer la visibilité

     

    Utilisation d’un revêtement foncé

     

    Une telle solution n’est pas nécessairement triviale. Il existe effectivement des peintures d’un noir « quasi-parfait », telles que le Ventablack ou les revêtements Acktar, utilisés dans le secteur spatial (plus de 99% d’absorption). Mais ces revêtements sont normalement utilisés pour des parties intérieures aux satellites, pour améliorer les performances des instruments optiques. Placées à l’extérieur, elles seraient vulnérables à l’environnement spatial, et en particulier aux radiations solaires qui les dégraderaient plus ou moins rapidement.

     

    SpaceX étudie actuellement les différents revêtements capables de résister à de telles conditions, mais le bon compromis reste à trouver. Par ailleurs, un satellite peint en noir deviendrait invisible dans le spectre visible, mais acquerrait alors une présence infrarouge plus importante, il convient donc de trouver le meilleur compromis. Des revêtements foncés sans être au niveau d’un Vantablack seront probablement utilisés.

     

    De premiers tests ont indiqué qu’un tel revêtement testé sur un satellite apporte une réduction de la magnitude d’environ 1,2. Dans le cas du test, la magnitude totale est ainsi passée de 4.7 à 5.9, passant la limite de visibilité à l’œil en bonnes conditions ( source : https://iopscience.iop.org/article/10.3847/2515-5172/ab8234)

     

    Si l’on applique par exemple ce résultat à la 2e étude précédente, cela signifie que dans le pire des cas, en été environ 25 satellites resteront présents avec une magnitude de 5.5, donc très peu visibles à l’œil nu même en bonnes conditions d’observation.

     

    Optimisation des configurations d’antennes

     

    Autre solution envisagée par Starlink après discussion avec les communautés d’astronomes, il est possible d’installer des pare-soleil sur les satellites. Le problème de luminosité venant notamment de la réflexion des rayons sur les antennes, une telle solution permettrait d’en réduire fortement l’impact. Il est ainsi possible d'installer un pare-soleil qui bloquera les rayons lumineux tout en laissant passer les ondes radio.

     

    La solution envisagée par Starlink s'appelle VisorSat. Elle consiste en un ensemble de panneaux qui se déploieraient après la libération du satellite. Ceux-ci sont constitués d'une mousse radio-transparente, qui bloquera donc les reflets créés par les antennes du satellite. L'impact sur la luminosité devrait donc être, selon Starlink, "massif". Cette solution est appliquée depuis les lancements de  mai 2020 .

     

    Des études ont montré que cette solution avait permis une réduction au tiers de la magnitude, les Visorsats atteignant environ la magnitude 6 à 550km d'altitude.

     

    Optimisation du positionnement des satellites

     

    Il est également possible d’orienter le satellite de manière à ce que les rayons du Soleil ne réfléchissent sur une zone réduite (par exemple sur le côté le plus petit des panneaux solaires ou de l’antenne). Que ce soit durant la phase d’ascension après lancement ou sur l’orbite finale. Sur orbite, ce changement peut notamment impacter la visibilité pendant les phases de coucher et lever du Soleil.

     

    Cette solution n’a pas encore été testée

     

    Baisse d'altitude des satellites

     

    Le 17 avril 2020, SpaceX a posé une demande d'autorisation pour la baisse d'altitude de la couche supérieure de ses satellites. Le but est que ceux-ci disparaissent plus vite en brûlant dans l'atmosphère après leur fin de vie, ainsi que la réduction de la pollution lumineuse pour les astronomes. Cette proposition vise à rabaisser 2824 satellites de 1100/1300km vers 540/570km d'altitude.

     

    Les satellites en couche basse présentent une luminosité plus forte que ceux en orbite plus haute (selon la 2e étude précédente, magnitude 5.5 contre magnitude 7.5). Cependant, cette altitude leur donne une plus grande chance d'être dans l'ombre de la Terre et ne pas être éclairés par le Soleil. 

    Si l'on se réfère à cette même étude, les couches supérieures présentent 2 fois plus de satellites visibles que les couches inférieures, alors que ces dernières ont un total 4 fois supérieur de satellites. Cela aboutit donc à un rapport /8, qui s'appliquerait donc aux 2824 satellites de la couche haute après transfert (sous réserve d'approximations et de validité de l'étude citée, ceci est évidemment une évaluation très "brute").

    Par ailleurs, les satellites des couches inférieures étant plus soumis à l'ombre de la Terre, ceux-ci décroissent plus rapidement à mesure que la nuit avance (effet variable selon la latitude d'observation).

     

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    Dans le cas où des solutions efficaces seraient trouvées et appliquées, elles ne concerneraient que les satellites lancés après leur mise en oeuvre. Cependant, les satellites Starlink sont voués à être remplacés après 3 à 4 ans, ils finiraient donc par disparaître.

     

    Note supplémentaires sur les projets de constellations en orbite basse

     

    Bien entendu, Starlink n'est pas seul. D'autres projets existent, et si Elon Musk semble jusqu'à présent faire preuve de bonne volonté en discutant avec les communautés d'astronomes (International Astronomical Union, ESO...) et en apportant des modifications à ses satellites, il faut espérer que de potentiels autres responsables fassent également preuve de prudence. L'établissement d'une telle constellation de satellites n'est cependant pas à la portée de tous, comme l'illustre la récente mise en faillite de OneWeb. Starlink lui-même doit encore faire ses preuves, comme le souligne Elon Musk: "le premier objectif est de ne pas faire faillite".

     

    Cependant et malgré les potentielles difficultés de conciliations à venir, il reste un point à souligner: SpaceX et Elon Musk restent en discussion avec les astronomes, notamment via les grandes organisations que sont l'ESO et l'IAU. Des solutions sont recherchées, et mises en oeuvre. Cela témoigne au moins d'une certaine considération et d'un effort de la part de SpaceX. Si les résultats devaient en être suffisants pour éviter à l'astronomie amateur et professionnelle de trop grandes complications, cela créerait des bases saines pour les futurs projets similaires. Ceux-ci pourraient alors s'appuyer sur cette expérience pour à leur tour prendre des dispositions. Etant donné le rôle de précurseur de Starlink, tout ceci créera de manière officielle ou non une sorte de standard. Cela rend d'autant plus importante la conciliation actuellement en cours et les résultats qui en seront obtenus. 

     

    Le repérage des satellites Starlink

     

    Il est possible de prévoir le passage des satellites grâce à divers outils.

     

    Sur le lien suivant, le site Heavens-Above permet de lister pour une position donnée le passage des satellites Starlink d’un lancement donné. Il permet ainsi d’obtenir également des informations sur la magnitude, et l’évolution de celle-ci en fonction du statut des satellites (fraîchement lancés ou installés sur leur orbite définitive)

     

    https://www.heavens-above.com/StarlinkLaunchPasses.aspx

     

    Le lien suivant permet d’obtenir de manière rapide l’aperçu des prochains satellites Starlink à passer dans le ciel pour votre position. Il montre visuellement le résultat et la forme du chapelet de satellites.

     

    https://james.darpinian.com/satellites/?special=starlink

     

    Questions diverses

     

    Les satellites usagés sont-ils destinés à rester en orbite et l’encombrer de déchets ?

     

    Non. Aujourd’hui, les satellites sont conçus pour être désorbités en fin de vie. Ainsi ils retombent dans l’atmosphère et s’y consument entièrement. Les satellites Starlink ne font pas exception et son prévus pour être détruits en quelques mois après la fin de vie. Dans le cas où le système de propulsion serait en panne, ils retomberaient tout de même sur Terre, mais sur une période de quelques années.

     

    Starlink est-il vraiment ce qu’il dit ? Ou est-ce que ce ne serait pas plutôt une couverture pour des activités para-militaires basées sur l’utilisation de la 5G avec l’aide de l’IA pour diffuser le Coronavirus via chemtrail et anéantir l’humanité pour la gloire des Illuminatis reptiliens ?

     

    Non. Starlink est voué à être un fournisseur commercial de connexion internet au même titre que Nordnet, SkyDSL ou Europasat.. Sauf que Starlink sera mondial. Pas besoin de théorie du complot, l’internet par satellite sera bien suffisant pour ramener un max de pognon dans les caisses de SpaceX.

     

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    Retour utilisateur

    Invité

    astroneuro

       1 sur 1 membre a ou ont trouvé cet avis utile 1 / 1 membre

    merci beaucoup pour un exposé clair et complet avec des references précises

    quelle est la raison qui fait que ces satellites suivent la course apparente du Soleil dans le ciel puisque vous dites que leur visibilité est surtout gênante près de l'horizon au crepuscule ou à l'aube ; je suppose que ceci est lié à une combinaison de l'altitude de l'orbite et de la vitesse de ces satellites mais j'ai un peu de mal à le concevoir

    par ailleurs, il se trouve que je suis un ami proche d'un astronome professionnel qui me dit que le problème est effectivement très sérieux, y inclus pour la radio-astronomie et pour l'observation de la Terre depuis d'autres satellites et qu'un groupe de travail dont il fait partie suscité au sein de l'Academie de l'Air et de l'Espace est en train de préparer un rapport à ce sujet

    • J'aime 1
    Ericm75

       1 sur 1 membre a ou ont trouvé cet avis utile 1 / 1 membre

    Merci pour toutes ces précisions. Très intéressant et instructif !

    Fred_76

      

    Paysages de nuit

     

    Tu écris : « paysages C'est d'autant plus vrai que de nombreuses photos de paysages se font aux premières ou dernières lueurs du jour, afin de profiter d'un minimum de lumière et des conditions de rayonnements rasants. Il faudra ici compter sur les traitements logiciels et leur évolution en fonction de ces nouvelles conditions. »

     

    Non, le traitement logiciel ne permet pas facilement l’élimination des traces. En Pdn, on fait très peu de poses, souvent 1, sinon 3 ou 4 pour juste réduire un peu le bruit. Et le champ photographié est tel que sur chaque pose on aura de très nombreuses traces. Pour mémoire, avec un objectif de 14 mm sur un plein format, on couvre un champ de plus de 100° en largeur et de l’ordre de 40 à 60° en hauteur pour la zone de ciel.

     

    Cest encore pire pour les filés d’étoiles. Dans ce cas on cumule de nombreuses poses en mode additif max. On conserve donc toutes les traces de satellite et d’avions. Jusqu’à présent, on pouvait nettoyer à la main les images, en retirant de jusqu’à 10 traces sur chaque image avant empilement ce qui était déjà très fastidieux. Mais avec les constellations, ce seront de 50 à 200 traces qu’il faudra effacer sur chaque image avant empilement. Et aucun logiciel ne pourra faire ça automatiquement. 
     

    Le problème est le même avec les timelapses.

    willjesuis

      

    J'aurais tout de même tendance à modérer les conséquences sur l'impact des satellites. Il n'y a à ma connaissance encore aucun des satellites de la couche inférieure en orbite. Étant bien plus bas ils seront forcément les plus lumineux, mais aussi ceux qui passent le plus vite sous l'ombre de la Terre. Donc en hiver ça ne pose aucun problème. En revanche en été ça ne sera sûrement pas la même chose. À cette époque on peut voir des passages de l'ISS même au cœur de la nuit, ça devrait être semblable pour ces 7500 satellites. Une étude indiquait ~70 satellites de cette couche, éclairés et à plus de 30° de hauteur à minuit, au solstice d'été pour la latitude de Londres.

    polorider

    · Modifié par polorider

      

    Joli travail. Merci d'avoir fait le point sur ce sujet ;).

    dob250

      

    Merci dossier très complet et très instructif. ça nous soulage en grande partie 

    gehelem

      

    Ahhh merci

    On en avait besoin ici

    Gilles


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