Comme beaucoup ici, il m'arrive de vouloir tirer le portrait de nos voisines les planètes. Suite aux commentaires que j'ai reçus à propos de mon site (où j'ai éprouvé le besoin de "tracer" les grandes étapes de la réalisation d'une image de planète pour l'amateur aux petits moyens que je représente), je mets le passage sur l'imagerie planétaire en partage sur le Wapedia. C'est un juste retour des choses au regard des nombreuses réponses que j'ai pu trouver sur Webastro. En espérant que ce petit balisage tentera encore quelques indécis à se lancer dans ce loisir particulièrement intéressant.
Le choix de la bonne période
Afin d'imager dans les meilleures conditions, il faut attendre que la planète soit le plus près de la Terre. Pour Mercure et Vénus, cela se produit plusieurs fois par an. Pour les planètes au-delà de l'orbite terrestre, il faut attendre l' opposition. C'est la position relative où la planète et le Soleil sont opposés par rapport à la Terre.
Les vitesses de révolution des planètes n'étant pas synchrones avec celle de la Terre, ces oppositions se produisent à intervalles à peu près réguliers (tous les 25 mois pour Mars environ, tous les 13 mois pour Jupiter, tous les ans et 10 jours pour Saturne, par exemple), mais donc pas à la même période de l'année.
Lorsqu'elles se produisent pendant l'hiver, ou à défaut en automne ou au printemps, les planètes sont alors assez haut dans le ciel vers minuit (>45°). C'est une position bien au-dessus de l'horizon qui évite d'avoir trop de turbulence atmosphérique, l'ennemie n°1 de l'imagerie planétaire.
L'opposition de Mars de 2018, par exemple, se produira en été, à seulement 16° de hauteur au-dessus de l'horizon en France, alors que deux ans plus tard, en octobre 2020, elle sera à plus de 48° au-dessus de l'horizon. Les images seront floues dans le premier cas (avec un diamètre appparent de 24"), et beaucoup plus nettes à coup sûr dans le second cas (malgré un diamètre appparent de 23"). Il faudra être patient jusque là...
Outre la forte turbulence, l'autre inconvénient d'une position trop basse sur l'horizon est la diffraction atmosphérique : les rayons lumineux sont déviés comme par un prisme par l'épaisseur de la couche atmosphérique. Ce phénomène est particulièrement marqué sur les images de Vénus, visible seulement au levé ou au couché du Soleil et généralement très basse sur l'horizon.
Mars assez basse sur l'horizon
imagée avec un Intes M715 depuis un balcon en ville
Les logiciels et le traitement d'image
Les grandes étapes de l'acquisition et du traitement sont succinctement détaillées dans ce qui suit. Il existe de nombreux tutoriaux sur le net qui décrivent plus en détail ces étapes.
Les logiciels utilisables sont très classiques dans la communauté des astonomes amateurs : Registax dans sa dernière version, Avistack2.0 ou encore Iris et une logiciel de retouche d'image permettant de manipuler dans des couches séparées les composantes RVB/TSL (teinte, saturation, luminance).
L'acquisition
L'objectif de cette étape est d'acquérir très rapidement le plus grand nombre d'images nettes et le moins perturbées possible par la turbulence.
Il faut rester le plus proche possible d'une cadence de 30 images par seconde, voire plus, et acquérir au moins 1000 images avec des vitesses d'obturation suffisamment faibles pour "figer" la turbulence.
La netteté doit être assurée par une mise au point (MàP) la plus précise, ce qui est assez difficile compte tenu de la turbulence et de la faible luminosité des objets. On peut profiter de la présence de la Lune, plus contrastée, pour le faire puis cadrer sur la planète à imager. Si des satellites sont visibles (Jupiter essentiellement), ils permettent de "vérifier" la MàP.
Lorsque la MàP est bonne, on peut enchaîner quelques prises avec la caméra Noir&Blanc pour obtenir des images de luminance. Afin d'éviter des perturbations apportées par les infrarouges auxquels les capteurs CCD sont sensibles, on adjoint un filtre qui bloque ces longueurs d'onde ( filtre IrCut).
Ces images de luminance seront ultérieurement combinées à des images de chrominance obtenues avec soit une caméra couleur, soit une roue à filtre équipée de trois filtres R, V et B. L'important est que, si la planète a une vitesse de rotation élevée (Jupiter, Saturne), il faut enchaîner sans tarder les séquences luminance-chrominance. Sinon, les détails en luminance ne correspondent pas aux détails de chrominance puisque la planète a tourné entre temps. Cette précaution est surtout valable dans un mode d'acquisition RVB (où les trois composantes sont acquises successivement). Pour les autres planètes, on peut largement prendre son temps...
Dans la suite on considère que la chrominance est obtenue avec une caméra couleur.
En réalité, des focales jusqu'à 5 mètres laissent une tolérance assez confortable pour ne pas avoir un rythme de manipulation infernal. De plus, à ce niveau de grandissement, on peut se contenter d'une chrominance dont la MàP peut largement être perfectible. De même, les problèmes de décalage et d'orientation différente des deux caméras ne sont pas primordiaux, pour le niveau de qualité visé, et peuvent être traités a posteriori avec les logiciels et non pendant l'acquisition.
Illustration des deux étapes de l'acquisition : luminance puis chrominance
M715+barlow Zeiss 2x sur monture Heq5, le 9 avril 2011 vers 22h23 TU - turbulence moyenne
a) acquisition de luminance acquisition de luminance dans le canal rouge (filtreR23a + filtre IrCut)
c) acquisition de la chrominance d) recomposition TSL
L'acquisition de la luminance de l'illustration ci-dessus s'est faite à 30 i/s avec un temps de pose de 1/40s et à l'aide d'une caméra monochrome. L'acquisition a duré 100s. La chrominance a été acquise avec une MàP moins précise et avec des temps de pose plus longs (les caméras couleur sont environ trois fois moins sensibles que les caméras N&B ) de l'ordre de 1/15s avec une cadence de 10i/s pendant 100 secondes.
L'ajout d'un filtre rouge (de référence wratten r23a) permet de diminuer les perturbations de la turbulence. L'inconvénient est que cela dénature un peu l'information de luminance qui est sensée recouvrir l'ensemble du spectre visible. En réalité, le faible contraste des planètes (elles ne sont pas bariolées de couleurs vives !) rend assez praticable ce filtrage sans perturber trop le rendu des couleurs : ce sera donc une image esthétiquement agréable mais non valable sur le plan scientifique. Cette méthode est recommandée en cas de turbulence trop marquée, mais reste à éviter si l'on préfère des couleurs plus fidèles.
Un dernier point consiste à adapter le grandissement (la focale en mm) à la résolution de l'instrument (120/Dmm) et à la taille des pixels (en microns). La résolution angulaire de l'instrument ne doit pas correspondre à plus de deux pixels sur le capteur (d'après le théorème de Shanon...). Grandir davantage n'apporte aucune qualité supplémentaire, et visuellement, le résultat serait moins bon.
focale adaptée (mm) = 3,4 xTaille du pixel carré (µm) x Diamètre (mm)
Le tri des bonnes images
Une fois l'acquisition réalisée, il faut sélectionner les meilleures images. On peut le faire image par image. Le logiciel peut également proposer un tri par comparaison automatique avec une image désignée comme référence par l'utilisateur. C'est un peu plus rapide et on ne fait pas forcément mieux à la main. Une fois ce tri fait, la sélection des images à traiter est aisée.
Les meilleures images sont conservées
L'empilement
L'empilement consiste à recaler le mieux possible les images les unes par rapport aux autres (pour éliminer la dérive due à un mauvais alignement de la monture, mais aussi les petites imperfections de l'entraînement).
Il consiste ensuite à additionner les images, pixel par pixel. L'image résultante a alors un rapport signal/bruit bien plus important (proportionnel à la racine carrée du nombre d'images).
Disparition progressive du bruit en additionnant de nombreuses images
En effet, le bruit étant par définition aléatoire, il va se "compenser" localement au fur et à mesure des additions : au final, le bruit sera lissé, et donc aura été en grande partie éliminé si le nombre d'images additionnées est important. L'inconvénient de cette étape est que l'image résultante est floue à cause de l'effet cumulé de la turbulence.
addition d'un millier d'images
Le recalage des couleurs
Si la planète est basse sur l'horizon, le logiciel va permettre de recaler par translation les trois composantes RVB pour éliminer une grande partie de l'aberration chromatique atmosphérique. Ca ne marche pas en revanche si le défaut provient de l'instrument, car les couleurs ne sont pas focalisées dans les mêmes plans...
Cette aberration peut également être en grande partie corrigée avec un dispositif à deux prismes (ADC), qui produit l'effet inverse de l'atmosphère, à condition d'être bien réglé, et intercalé entre l'instrument et la caméra.
recalage RVB
La supression du flou
L'empilement des images génère du flou car chaque image élémentaire est un peu déformée par la turbulence. Cette déformation est aléatoire et le flou correspond à un étalement gaussien de la luminosité. Des techniques de traitement d'image (comme "le masque flou" emprunté à la photographie argentique) permettent d'éliminer une partie de ce flou en "refocalisant" les pixels (le terme qui convient est "déconvolution").
C'est assez efficace, mais pas autant qu'un traitement par "décomposition en ondelettes", mis au point par une équipe de recherche marseillaise à la fin des années 80, et qui a depuis connu un succès mondial, dans une multitude de domaines. Les logiciel Registax, Avistack ou Iris permettent de réaliser ces traitements de façon très intuitive, sans rien connaître des fondements mathématiques de cette techniques. Ouf !
après traitement par ondelettes, une grande partie du flou disparaît
Les ajustements finaux
Des retouches complémentaires portant sur la luminosité, le contraste, la balance des blancs, peuvent être encore effectuées pour améliorer ce qui peut encore l'être et rendre l'image très agréable à regarder.
En guise de conclusion
La technique à deux caméras ne produit sans doute pas les meilleures qualités d'image mais permet pour un investissement modeste, de produire des images couleur assez fines.
Pour mesurer les avantages du numérique comparé à l'argentique et les progrès ainsi offerts aux astronomes amateurs, il suffit de comparer les images obtenues avec des diapositives et les images numériques actuelles obtenues. Bien que l'instrument ait changé, avec un diamètre doublé, la comparaison est sans appel pour l'argentique...
Merci aux développeurs de ces magnifiques petits logiciels que sont Iris, Registax ou Avistack, mais aussi Astrocalc, Winstar, Carte du ciel, iMerge, winJupos... et tant d'autres pour le guidage ou le pointage.
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