Avertissement : cet article a été rédigé en 2007 et utilise les caractéristiques de l'opposition de 2007, mais la plupart des informations présentées sont valables quelle que soit la date.
Après Saturne ( http://www.webastro.net/forum/showthread.php?t=17289 ), et n'ayant rien rédigé pour Vénus (bof, à part les phases), voici le Kesifovoir sur Jupiter. Il était temps, car l'opposition a eu lieu avant-hier...
Jupiter au télescope, c'est une petite boule ronde plus ou moins floue, avec quelques bandes parallèles sur le disque, entourée de trois ou quatre petits points brillants. C'est tout ? Non, c'est beaucoup plus que ça ! Mais pour bien apprécier la planète la plus intéressante du Système Solaire (en toute objectivité), il faut non pas la regarder mais l'observer. Je vais donc essayer de résumer toutes les observations faisables sur Jupiter avec du matériel pas trop haut de gamme, et dans un simple but contemplatif. Une feuille et un crayon seront très utiles à côté des oculaires...
Visibilité de Jupiter
Du fait que Jupiter est une planète externe, elle est visible lorsqu'elle est située à l'opposé du Soleil. Il s'agit de l'opposition. À cet instant, la distance Terre-Jupiter est minimale (en fait, pas tout à fait à cause de l'irrégularité des orbites, mais c'est du chipotage) et la planète offre son plus grand diamètre apparent et brille à son plus fort éclat. Lorsque Jupiter est située derrière le Soleil, c'est la conjonction, elle est invisible. Cette année, l'opposition a eu lieu dans la nuit du mardi 05 au mercredi 06 juin 2007 (à 0h13 TU). La prochaine opposition aura lieu le 09/07/2008 (à 8h13 TU). Comme Jupiter tourne autour du Soleil en presque 12 ans, chaque opposition est décalée d'une constellation : cette année dans Ophiuchus, l'an prochain dans le Sagittaire, en 2009 dans le Capricorne, et ainsi de suite. Les oppositions ont lieu tous les 1 an 1 mois : juin 2007, juillet 2008, août 2009. C'est facile à mémoriser ! (Plus précisément, la période de révolution synodique - c'est-à-dire la durée moyenne entre deux oppositions - est de 398,88 jours).
Cette année, Jupiter atteint la magnitude -2,6 : elle est plus faible que Vénus mais nettement plus brillante que toutes les étoiles (seule Mars peut rivaliser avec elle, et encore : uniquement lors des grandes oppositions périhéliques qui ne se produisent qu'une fois tous les 15 ans, et seulement sur une durée de quelques semaines). Avant et après l'opposition, Jupiter est un tout petit peu plus faible, mais l'écart est peu important. Il en est de même de son diamètre apparent : maximal à l'opposition (45,8" cette année), il décroît légèrement ensuite (jusqu'environ 40").
La ronde des satellites galiléens
En janvier 1610, Galilée ose regarder le ciel avec sa première lunette astronomique. Et que voit-il ? Un petit disque brillant entouré de trois petites étoiles. Les jours suivants, les trois étoiles suivent la planète dans son mouvement sur la voûte céleste, preuve qu'elles sont liées à Jupiter. De plus, il y en a en fait quatre : l'une d'elles était cachée le premier soir. Ainsi, Jupiter a des satellites, comme la Terre. N'importe quelle petite lunette grossissant au moins 20 fois peut réaliser cette observation.
La première observation, la plus facile à réaliser, consiste à noter la position des satellites galiléens de Jupiter de jour en jour, et éventuellement de trouver une valeur approchée de leur période de révolution. Vous pouvez même en déduire la masse de Jupiter, grâce à la loi de Kepler.
Les quatre satellites sont notés I, II, III et IV dans l'ordre de leur distance à Jupiter, il s'agit de Io, Europe, Ganymède et Callisto. Il est impossible de les reconnaître au télescope car ils ressemblent tous à une étoile (sauf à l'oculaire d'un télescope de grand diamètre où l'on peut commencer à distinguer leur taille apparente - voir plus loin). De plus, leur position de part et d'autre de la planète peut être trompeuse. Par exemple, si Callisto passe devant Jupiter, on la verra juste à sa gauche, ou juste à sa droite, ou même juste devant, et on pourrait croire qu'il s'agit de Io. Ne concluons pas trop vite...
Voici la liste des satellites galiléens, avec quelques renseignements correspondant à la date de l'opposition :
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N° Nom magnitude diamètre période élongation
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I Io 5,1 1,17" 1,769 j 3,0
II Europe 5,4 1,00" 3,551 j 4,7
III Ganymède 4,7 1,68" 7,155 j 7,5
IV Callisto 5,8 1,54" 16,689 j 13,2
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Le diamètre apparent est donné en secondes d'arc. Rappelons que, théoriquement, le disque d'Airy d'une étoile (ou d'un satellite galiléen) a pour diamètre 28"/D(cm), soit par exemple 1,4" pour un télescope de 200 mm, ou 0,9" pour un 300 mm. Il est donc impossible de distinguer le vrai disque des satellites, sauf à l'aide d'un grand diamètre (sans doute au moins 300 mm). Pour ma part, j'ai vu les différences de diamètre assez souvent au 300 mm, mais je pense qu'il s'agissait des disques d'Airy : ils paraissent plus gros quand l'étoile est plus brillante parce qu'on voit mieux la base du disque (le disque est plus brillant au centre qu'au pourtour).
La période de révolution autour de Jupiter est d'autant plus grande que le satellite orbite loin de la planète. L'élongation donnée à droite est en fait le demi-grand axe de l'orbite exprimé en diamètres joviens. Vu au télescope, le satellite pourra s'éloigner à gauche ou à droite de la planète d'une valeur égale, au maximum, à ce demi-grand axe. On voit ainsi que Callisto peut aller assez loin de Jupiter : plus de treize fois le diamètre jovien (c'est compté à partir du centre de Jupiter).
Comme les satellites tournent tous à une vitesse différente, d'une nuit à l'autre il ne sont jamais au même endroit. Les éphémérides donnent les position relatives par des schémas de ce type :
(Ce schéma a été généré par le logiciel Coelix - voir http://www.ngc7000.com/fr/coelix/ ).
Sur ce schéma, le sud est en haut (vision dans un télescope de Newton). Chaque satellite est représenté par une courbe de couleur différente. La grande barre verticale, c'est Jupiter. En fait, c'est un diagramme d'espace-temps : Jupiter est un cylindre spatio-temporel... Si on veut connaître la position des satellites à la fin de la nuit du 06 au 07 juin, on regarde le schéma un peu en-dessous de la ligne du 7 (attention : pour le 7 au soir, il faut regarder juste au-dessus de la ligne 8, car les numéros des jours correspondent au début du jour, à 0h0 TU). Que voit-on ? Que les quatre satellites sont tous situés à droite de Jupiter. C'est rare, mais ça se produit de temps en temps. Pour savoir quand ça se reproduira, on regarde le schéma : en début de nuit du 29 au 30.
Le schéma montre bien que Io est très rapide. D'une nuit à l'autre, il peut changer de côté. Au contraire, Callisto reste longtemps du même côté de la planète, avant de s'en rappocher petit à petit et de changer de côté. Mais que se passe-t-il lorsque les satellites "traversent" Jupiter ? Le schéma montre bien qu'ils peuvent passer soit devant, soit derrière. Ces passages provoquent ce qu'on appelle les phénomènes des satellites de Jupiter.
Voici un schéma qui explique les quatre types de phénomènes (schéma tiré du Guide de l'observateur, tome 1, Société d'Astronomie Populaire, page 266) :
Voyons le schéma du bas. Le Système Solaire est vu depuis le pôle nord, donc puisque le Soleil est à gauche de la Terre, il reproduit ce qui se passe avant l'opposition, lorsque Jupiter est matinale. Après l'opposition, les phénomènes sont inversés.
Deux cas peuvent se produire :
Cas 1 - Le satellite passe derrière la planète. Comme le montre le dessin du haut, l'ombre de Jupiter provoque des éclipses : la planète disparaît parce qu'elle n'est plus éclairée par le Soleil. La pénombre n'est pas observable (à ma connaissance), donc on appellera éclipse le passage dans l'ombre uniquement. De plus, la planète est occultée par Jupiter : elle se cache derrière elle. Si nous étions situés sur le Soleil, les deux phénomènes seraient identiques. Mais nous sommes sur la Terre et celle-ci n'est pas toujours dans l'alignement Soleil-Jupiter. Si on superpose les deux dessins, on voit que le début de l'occultation a lieu pendant l'éclipse, et la fin de l'éclipse a lieu alors que la planète est encore occultée.
Voici ce qu'on observera (avant l'opposition) :
- La planète s'approche de plus en plus d'un côté du disque de Jupiter.
- Puis elle disparaît avant d'avoir atteint le bord de la planète (début éclipse avant l'occultation).
- Elle réapparaît un peu plus tard de l'autre côté de la planète.
Après l'opposition, le phénomène est inversé :
- La planète s'approche de plus en plus de Jupiter.
- Elle disparaît derrière elle.
- Elle réapparaît un peu plus tard, pas au niveau du bord opposé mais un peu plus loin, car à sa sortie de l'occultation l'éclipse n'était toujours pas terminée.
Les éclipses et occultations sont d'autant plus longs que le satellite est loin de Jupiter (Callisto), car alors il tourne moins vite. Les débuts d'éclipse d'avant opposition ont lieu assez loin de la planète lorsqu'on est plusieurs mois avant l'opposition. Les fins d'éclipse d'après opposition ont lieu assez loin de la planète lorsqu'on est plusieurs mois après opposition. Par contre, quelques jours avant ou après l'opposition, cela a lieu tout près de la planète.
Cas 2 - Le satellite passe devant la planète. Là encore, il y a deux phénomènes. Le transit correspond au passage du satellite devant la planète vu depuis la Terre. De plus, le satellite projette une ombre sur la planète. Le passage de l'ombre suit ou précède le transit.
Voici ce qu'on observera avant l'opposition :
- L'ombre du satellite apparaît au bord de la planète puis se déplace lentement vers l'autre bord. Elle forme un petit rond noir très contrasté, facile à distinguer et impossible à confondre avec une tache de Jupiter (sauf optique médiocre). Le satellite est alors tout près du bord de Jupiter et s'en approche.
- La planète passe à son tour devant le bord de Jupiter. Elle forme un petit rond blanc un peu plus clair que Jupiter car le bord de Jupiter est atténué. Mais dès que la planète rentrera plus à l'intérieur, elle va devenir de plus en plus difficile à distinguer du globe brillant de la planète et finira par disparaître (sauf dans un télescope de grand diamètre).
- L'ombre traverse tout le disque, suivi par la planète (invisible en général).
- L'ombre disparaît à l'autre bord.
- La planète, suivant l'ombre, s'approche à nouveau de l'autre bord de la planète (comme celui-ci est atténué, elle redevient visible) puis le dépasse et se retrouve à nouveau devant le ciel noir.
Après l'opposition, c'est le contraire : la planète précède son ombre. La distance entre planète et ombre dépend de la distance du satellite à Jupiter (elle est plus grande pour Callisto que pour Io) mais aussi de l'angle Soleil-Jupiter-Terre. Ainsi, à l'opposition, les ombres sont très proches des satellites (pas tout à fait au même endroit car Jupiter, la Terre et le Soleil ne sont jamais tout à fait alignés). Les transits et passages sont d'autant plus longs que le satellite est loin de Jupiter (car il tourne moins vite).
Ces phénomènes sont très fréquents, il y a en a presque un par jour (notamment parce que Io est très rapide). Mais comme Jupiter n'est pas toujours visible en permanence, les phénomènes qui ont lieu pendant qu'elle est levée sont un peu moins fréquents. N'importe quelle petite lunette peut permettre de distinguer les éclipses, les occultations et les passages des ombres. Un diamètre plus grand est nécessaire pour observer les transits (seuls les débuts et fins sont assez faciles).
Comme Jupiter est une planète peu inclinée (et de même pour ses satellites), les satellites passent toujours devant et derrière elle, jamais au-dessus ou en-dessous (comme c'est le cas des satellites de Saturne). Certaines années, quand le plan de l'équateur jovien est confondu avec celui de l'écliptique (ça se produit tous les six ans en moyenne), les satellites peuvent s'occulter et s'éclipser mutuellement. On appelle ça les phénomènes mutuels. Je n'en parlerai pas car il n'y en a pas cette année. Les derniers ont eu lieu en 2003.
Voici un tableau des phénomènes ayant lieu la semaine qui suit l'opposition (réalisé à l'aide du logiciel Coelix) :
Phénomènes des satellites de Jupiter
Les temps sont donnés en TU pour Paris (2° 20' 0" E, 48° 52' 0" N, zone A).
Cliquez dans une cellule donnant l'heure pour voir le phénomène à ce moment.
Date Heure # Satellite Phénomène Altitude de Altitude du
jj mm aaaa hh:mm Jupiter (°) Soleil (°)
8 juin 2007 20:33 II Europe Fin du passage 8,3 -5,9
8 juin 2007 20:42 II Europe Fin du passage de l'ombre 9,3 -7,0
12 juin 2007 00:46 I Io Début de l'occultation 16,9 -17,0
12 juin 2007 03:05 I Io Fin de l'éclipse 3,6 -6,0
12 juin 2007 21:16 III Ganymède Début de l'occultation 14,2 -10,1
12 juin 2007 22:04 I Io Début du passage 17,4 -14,1
12 juin 2007 22:14 I Io Début du passage de l'ombre 17,9 -14,8
13 juin 2007 00:07 III Ganymède Fin de l'éclipse 18,5 -17,9
13 juin 2007 00:15 I Io Fin du passage 18,2 -17,8
13 juin 2007 00:26 I Io Fin du passage de l'ombre 17,7 -17,5
13 juin 2007 21:34 I Io Fin de l'éclipse 15,9 -11,7
14 juin 2007 02:08 II Europe Début de l'occultation 9,4 -11,7
(Remarque : "altitude", c'est en fait "hauteur").
Exemple : pour la nuit du 12 au 13 juin, que verra-t-on ? À 23h16 (heure d'été), Ganymède passe derrière Jupiter. Son éclipse a lieu quelques minutes après mais elle est alors cachée. Comme c'est le satellite numéro III, il est assez lent, et il va rester plusieurs heures derrière Jupiter. Un peu plus tard, à 0h04 (toujours heure d'été) Io comence à passer devant Jupiter et forme un petit rond clair. Son ombre suit (car on est après l'opposition) seulement 10 minutes plus tard, elle est en effet très proche (car on est proche de la date d'opposition). Io finit par disparaître (sauf dans un télescope de grand diamètre) mais son ombre reste visible et traverse tout le disque. À 2h07, Ganymède apparaît soudain à côté de Jupiter, proche du disque car on est proche de la date d'opposition). Io est alors visible comme un petit rond clair tout près du bord de la planète, et termine son transit à 2h15, suivie de son ombre qui disparaît dix minutes plus tard.
Dans quelques mois, l'ombre de Io sera plus à la traîne, et les fins d'éclipse auront lieu bien plus loin de Jupiter (surtout pour Callisto).
Comment connaître à l'avance les dates des phénomènes ?
- Soit en consultant des éphémérides (voir Ciel et Espace, Astronomie Magazine ou Astrosurf Magazine).
- Soit à l'aide d'un logiciel spécialisé comme Coelix ( http://www.ngc7000.com/fr/coelix/ ). J'aime beaucoup Coelix car il fournit pas mal de schémas et aussi d'animations permettant de visualiser les mouvements des astres du Système Solaire, et il n'est pas cher du tout.
Pour terminer, voici une simulation réalisée avec le logiciel Guide - le nord est en bas - de l'exemple précédent.
0h00 TU :
0h20 TU :
0h40 TU :
1h00 TU :
À 0h00 TU, Io est situé en bas à gauche (vous arrivez à le voir ? pas facile...), juste à gauche de son ombre. Il s'approche du bord de Jupiter. À l'opposé de Io, on distingue faiblement Ganymède, qui est en fait éclipsé (le logiciel le représente de façon fantomatique dans ce cas, mais en réalité il sera parfaitement invisible). À 0h20 TU, Io a terminé sont transit et est maintenant visible juste à côté de Jupiter alors que l'ombre est encore dessus. Ganymède aussi est devenu visible, puisque l'éclipse s'est terminée. Sur la troisième image : tout est fini. Mais attendons encore un peu... et voici qu'apparaît la Tache Rouge, en haut à droite ! Malheureusement, Jupiter est sur le point de se coucher...
Jupiter au milieu des étoiles
À faible grossissement, Jupiter est voisine des étoiles du champ. L'éclat de la planète éblouit et sa diffusion de lumière éclaire le fond du ciel, ce qui fait perdre de la magnitude, c'est pourquoi il est difficile d'observer ce qui se trouve juste à côté de Jupiter. C'est le cas notamment du satellite Amalthée, de magnitude 14,2 cette année à l'opposition donc a priori observable par un télescope de 200 ou 300 mm. C'est en fait impossible, car il est toujours très proche du disque de la planète, encore plus que Io (élongation maximale = 1,3 diamètre jovien).
Néanmoins, un autre satellite est peut-être observable dans un grand diamètre. Préparer ce texte m'a permis de m'en rendre compte et je vais tenter l'observation. Il s'agit de Himalia. Ce satellite est beaucoup plus loin de Jupiter que les satellites galiléens (il tourne autour de Jupiter en 250,6 jours). Ainsi, au moment de l'opposition il était à 31'. Est-ce suffisant pour ne pas être gêné par la diffusion de la lumière jovienne ? Sa magnitude à l'opposition est de 14,9 donc à la limite pour un 300 mm. Un miroir très peu diffusant est une aide précieuse pour ce genre d'observation. On verra...
Cette année, Jupiter passe dans une région riche en amas globulaires. Il s'est approché de NGC 6235 (magnitude 8,9) juste avant l'opposition. Voici une carte montrant sa position dans la nuit de samedi 9 à dimanche 10 juin, pour 0h TU (2h heure d'été) :
(Vision dans un Newton, nord en bas - le champ fait environ 30' en longueur.) On y voit en bas à gauche Jupiter (J5 = Amalthée) avec ses quatre satellites répartis autour. À droite, J6 est Himalia, et l'amas globulaire est en haut à droite. Est-il visible dans le même champ que Jupiter, ou bien celle-ci éblouit-elle trop le fond du ciel pour cela ? Je ne sais pas, mais c'est peut-être à tenter ?
À la surface de Jupiter
Pour étudier la planète Jupiter, on devra cette fois disposer d'un instrument pas trop petit. Galilée n'y a rien vu d'autre qu'un petit disque rond, mais la plupart des instruments d'amateur permettent d'aller plus loin. Attention : les formations sont peu contrastées. Jupiter est difficile à étudier car les formations sombres sont à peine plus sombres que les formations claires. Le cas de la Tache Rouge est un bon exemple, et souvent les débutants ont du mal à la voir alors qu'elle est bien là. Pour Jupiter, la qualité optique du télescope (ou de la lunette) est très importante. L'instrument ne doit pas faire perdre de contraste. Parmi les phénomènes qui tuent le contraste :
- le chromatisme des lunettes ;
- une qualité optique médiocre ;
- une très légère décollimation ;
- l'obstruction centrale.
Ne vous focalisez pas sur l'obstruction, c'est sans doute le critère le moins important. C'est seulement si vous avez une optique apochromatique de très bonne qualité et très bien réglée que l'obstruction fera la différence. De plus, un grand diamètre améliore le contraste (grâce à l'apport de lumière). Mais un télescope de grand diamètre médiocre, ou mal réglé, ne donnera pas de bonnes images. Bien sûr, les oculaires devront aussi être de qualité. Enfin, l'atmosphère a son mot à dire : cette année, avec Jupiter très basse, elle risque de dégrader fortement les images. Bref, Jupiter est peut-être la planète la plus intéressante à suivre, mais c'est aussi la plus exigeante.
Première chose à observer : Jupiter n'est pas ronde, elle est aplatie. Cela est dû à sa structure gazeuse et à sa rotation rapide (à cause de la force centrifuge). L'aplatissement est perceptible dans un 115/900. L'avez-vous remarqué ?
Comme c'est une planète gazeuse, elle ne tourne pas à la même vitesse partout. On parle de rotation différentielle. On distingue le Système I, à l'équateur, qui tourne en 9,841 heures, le système II, à plus haute latitude, qui est un peu plus lent (c'est là qu'on trouve la Tache Rouge), et le système III, interne, qui tourne en 9,925 heures.
La figure suivante (extraite du Guide de l'observateur, tome 1, Société d'Astronomie Populaire, page 217) montre la surface de Jupiter et ses bandes nuageuses. Le nord est en bas (vision dans un télescope de Newton).
Les deux bandes équatoriales (NEB et SEB ) sont visibles dans une lunette de 60 mm. Un 115/900 permet de distinguer (difficilement) deux ou trois autres bandes (ça dépend en fait des années), la Tache Rouge et les renforcements sombres de la NEB. À partir d'un 200 mm bien réglé et si l'image de Jupiter est stable, on peut distinguer bien plus de détails. Dans mon 300 mm, un soir de juin 2005, j'ai le souvenir d'une heure et demie où le ciel s'était figé. Jupiter ressemblait alors à une photo en couleur et était fantastique. Hélas, cette année elle est très basse et sera rarement stable.
Quelques remarques à propos du disque de Jupiter :
- La Tache Rouge (TR ou GTR en français, RS ou GRS en anglais) est une tache claire au milieu des bandes nuageuses foncées. Elle est donc difficile à distinguer. En général, les débutants ne la voient pas alors qu'elle est visible, car ils s'attendent à quelque chose de sombre. Dans un 115/900, c'est une sorte de trou dans le fond plus sombre des bandes nuageuses. Une fois qu'on l'a vue, et qu'on a compris le truc, elle devient plus facile ! Remarque : elle était plus sombre dans les années 1970-80 et s'est atténuée, devenant plus difficile à distinguer aujourd'hui.
- La Tache Rouge dérive peu à peu. Si on la dessine régulièrement, on s'en apercevra parce qu'elle ne suit pas la périodicité du système II alors qu'elle fait partie de cette zone. Les logiciels qui calculent ses passages au méridien central ou qui la dessinent doivent absolument en tenir compte, faute de quoi ils vont se planter. Comme sa position n'est pas prévisible, il faut pouvoir rentrer sa position à la main, et faire cela une fois tous les deux ou trois mois. On trouvera sa valeur précise à cette adresse, à ne surtout pas perdre : http://jupos.privat.t-online.de/rGrs.htm (les points rouges indiquent le centre de la Tache Rouge) . Aujourd'hui, j'ai remis à jour sa longitude à 118°. Au début des années 90, la longitude était proche de 0°. Il y a quelques années, elle s'est mise à dériver régulièrement de 60° à 100° et même plus de 100° depuis l'an dernier. Le plus simple pour mettre sa dérive en évidence est de noter l'heure du passage au méridien central (la ligne droite qui joint les pôles et passe par le centre du disque). Un logiciel peut fournir la longitude du méridien central pour n'importe quelle date, ce qui donne la longitude de la GTR.
- À droite de la GTR (dans un Newton, nord en bas), dans la SEB, il y a souvent des petites taches blanches presque collées les unes contre les autres, et qui se poursuivent en une espèce de serpentin nuageux blanc [je ne sais absolument pas comment s'appelle cette formation...] qui se déploie dans la bande sud. Je ne l'ai jamais vu dans un 200 mm, mais au 300 mm il était assez facile lorsque Jupiter était stable (il donnait l'impression d'être une chaînette de petites taches blanches).
- Au début du 20è siècle, on s'est aperçu que la bande STB était segmentée, et on a appelé les segments : [AB], [CD] et [EF]. Puis on a remarqué que les "trous" séparant les trois segments étaient en réalité de petites taches ovales blanches (WOS = white oval spots) qu'on a donc nommées BC, DE et FA. La figure précédente montre deux WOS : une à gauche et une près du méridien central. Ces WOS ne tournaient pas à la même vitesse que la GTR, et quand elle passait au sud de celle-ci, cela provoquait quelques perturbations. Leur taille n'a cessé de diminuer (FA très difficile à partir des années 1980) et elles se sont approchées petit et à petit, puis se sont mises à fusionner dans le courant des années 1990. Aujourd'hui, il n'en reste plus qu'une (je ne me souviens plus comment il faut l'appeler, peut-être BA). En 2004 et 2005, j'ai pu voir cette WOS à plusieurs reprises au 300 mm, mais elle était assez difficile. Je crois qu'il faut au moins un bon 200 mm pour la distinguer. L'été dernier, elle s'était rapprochée en haut à droite de la GTR (si le nord est en bas) et était devenue un peu orange-rouge. On l'a alors surnommée la "petite tache rouge". Je l'ai vue au 495 mm mais je crois qu'elle était assez difficile visuellement. Par contre, les photographes s'en sont donnés à coeur joie. Après l'opposition, elle a frôlé la GTR. Aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'elle est devenue...
- Certaines années, la bande sud (SEB ) disparaît. Il est alors plus facile de distinguer la Tache Rouge. Cela s'était produit durant l'opposition 1989-90. À l'époque, j'étais un jeune astronome amateur qui commençait à ne plus être trop débutant, et je venais juste d'acquérir un Newton 200 mm (assez médiocre). J'ai dessiné Jupiter le plus souvent possible et j'ai fait pas mal de progrès dans le dessin de la planète (aujourd'hui, je n'y arrive plus et je ne suis plus aussi courageux qu'autrefois...) Voici deux dessins réalisés le soir du 24/11/1989 :
Comme on le voit, en une heure de temps, la planète a tourné rapidement. La rapidité de sa rotation apparaît lorsqu'on dessine : une formation située au méridien central se retrouve légèrement décalée un quart d'heure après, suffisamment pour que cela se remarque. Quand on dessine Jupiter, il faut mettre en place les principales formations le plus vite possible !
Le dessin montre la disparition de la SEB. La petite tache visible en haut à gauche n'est pas la GTR (juste une zone qui m'a semblée un peu plus sombre). La NEB est parcourue de renforcements sombres qui sont souvent situés du côté de l'équateur et "dépassent". C'est à partir de ces renforcements que jaillissent les panaches équatoriaux, normalement visibles dans un bon 200 mm. Non seulement la SEB a disparu, mais de plus la NEB est plus étroite que d'habitude. En fait, sa composante nord (NEBn, environ moitié moins large que la NEBs) a disparu elle aussi. La disparition avait eu lieu durant la conjonction précédente et avait surpris tout le monde : l'année précédente, les deux bandes étaient visibles, et après la conjonction, voilà qu'il en manque une !
Cette année là, j'ai pu également utiliser le télescope de 250 mm de la fac. de sciences de Nancy, ce qui m'a permis de suivre la planète assez régulièrement avec un télescope de bonne qualité. Voici trois dessins le soir du 5 mars :
On distingue la rotation rapide de la planète, un panache équatorial, la Tache Rouge qui apparaît à droite dans le dernier dessin (notez comme elle est claire, bien plus claire que les renforcements sombres de la NEB ) et, surtout, la reconstitution de la NEBn, segment par segment. C'était passionnant ! De jour en jour, en février puis mars, la NEBn se reconstituait petit à petit. De nouveaux segments apparaissaient, et fin mars, elle était entièrement reconstituée. Ce genre d'observation est facile même dans un 200 mm médiocre (mais Jupiter était alors très haute dans le ciel, il est vrai). À condition de réaliser des croquis ou des dessins, bien sûr.
- Cette année, il me semble que la SEB s'est affaiblie (celle qui "porte" la Tache Rouge). Je dois avouer que je ne suis plus trop l'actualité de Jupiter, donc je ne pourrai pas en dire plus. Conclusion : dessinez sa surface ! Au début c'est difficile, mais l'expérience fait faire des progrès ! De simples croquis permettent de noter l'évolution de la planète. C'est qu'il se passe des choses à sa surface, et de façon permanente !
Voici par exemple de magnifiques dessins réalisés par Nicolas Biver :
(L'adresse de son site est http://wwwusr2.obspm.fr/~biver/ - à ne pas manquer si vous aimez le dessin planétaire !) On note sur le dessin en haut à droite l'ombre d'un satellite, bien ronde et noire. Ce dessin montre un peu plus de choses que ce que j'ai vu au 300 mm lors d'une nuit exceptionnelle de juin 2005, ou en mai 2006 durant les trous de turbulence au 495 mm (mais quand ça turbule, ce sont plutôt mes dessins de 1990 qui évoquent ce qu'on doit voir dans un grand télescope). Sauf que le dessin exagère les contrastes, et que pour moi les couleurs étaient différentes à l'oculaire (et plus belles, plus proches d'une photo réussie).
- Le Guide de l'observateur signale plein d'autres phénomènes possibles. Ça dépend des années ! Ainsi, 2006 a été marqué par l'approche de la dernière WOS avec la Tache Rouge, qui l'a bien perturbée. En 2005, je me souviens que la bande située au-dessus (sud) de la Tache Rouge faisait une "marche d'escalier" juste à sa gauche (bien visible sur les dessins de N. Biver), et il me semble que c'était apparu dans l'année (en fait, c'est la STB qui n'était pas visible entièrement mais était en train de reconstituer, d'ailleurs on voit sur les dessins de N. Biver que la "marche d'escalier" s'est rapproché de la Tachr Rouge - c'est la STB qui se reforme de plus en plus). Faites attention à ce genre de chose, par exemple en effectuant un croquis (ce que je fais de temps en temps), sinon vous passerez à côté. Que ceux qui avaient remarqué la marche d'escalier, en 2005, lèvent la main ! C'est tout ? Pourtant il était assez facile au 300 mm, donc sans doute visible dans un 200 mm.
Pour savoir où en est Jupiter cette année, on peut consulter cette page : http://lastrophoto.fr/jupiter2007.html (attention : cette page ouvre une fenêtre publicitaire). Elle montre aussi qu'il faut analyser ses photos !
Pour résumer
Quoi voir avec quel instrument ?
- Lunette de 60 mm : deux bandes sur le disque, ronde des satellites galiléens, éclipses et occultation, peut-être passages des ombres ?
- Télescope 115/900 : aplatissement de la planète, renforcements dans la bande nord, deux ou trois bandes tropicales quand elles sont contrastées, Tache Rouge (difficile pour les débutants) et sa forme allongée (quand elle est au méridien central), les transits près du bord du disque jovien, passage des ombres.
- Télescope de 200 mm : détails dans les deux bandes, panaches équatoriaux, transits des satellites presque sur tout le disque (uniquement si très bonne qualité optique), différence d'aspect des deux bandes équatoriales.
- Télescope de 300 mm : belles couleurs, notamment la Tache Rouge qui est rose-saumon, détail dans la Tache Rouge (qui ressemble un peu à un oeil), taches blanches et "serpentin blanc" à droite de la GTR, WOS, autres petites taches moins importantes (difficile) notamment dans la SEB, nombreux détails dans les bandes équatoriales quand le ciel est stable, peut-être le vrai diamètre de satellites (qui n'ont pas tout à fait la même couleur).
- Télescope de 500 mm : nuances de couleurs (les panaches, les bandes équatoriales, les renforcements sombres de la NEB, la Tache Rouge, ses alentours, les taches blanches, etc. tout cela a une couleur différente), bandes équatoriales très détaillées, vrai diamètre des satellites - mais tout ça seulement quand le ciel ne turbule pas, ce qui est rare !
Quelques idées d'observation pour les astronomes assidus :
- Noter régulièrement la position des satellites galiléens, en déduire leur période de révolution, et en déduire la masse de Jupiter (lunette de 60 mm).
- Suivre la dérive de la Tache Rouge en notant l'heure de son passage au méridien central (115/900).
- Étudier l'atmosphère de la planète (200 mm + bonne qualité optique de préférence) : forme et dimensions des bande, leurs positions relatives, leurs disparitions et reconstitutions, leurs affaiblissements...
- Calculer la vitesse de la lumière à partir des avances ou retard des heures d'éclipses (je n'en ai pas parlé, c'est l'expérience historique d'O. Römer, qui doit être faisable par des amateurs).
Les astronomes amateurs souhaitant observer sérieusement la planète auront intérêt à lire le Guide de l'Observateur, tome 1 qui décrit dans le détail toutes les observations "sérieuses" à la portée des instruments d'amateur. Ce livre date de 1987 et n'intègre pas les progrès de l'imagerie numérique, mais ce n'est pas important car son but est surtout de décrire ce qu'il faut observer sur Jupiter, pas comment l'on fait. On pourra aussi contacter le commission des planètes de la S.A.F. ( http://www.saf-lastronomie.com/grpjupi.htm ).
Modifié par kiwi74